Agriculture : « la terre est un don de Dieu » - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Agriculture : « la terre est un don de Dieu »

Il y a 4 ans, Jean-Louis Laureau, ancien viticulteur, cofondateur des Journées paysannes, et Matthieu Thabard, jeune paysan-boulanger, nous avaient accordé cet entretien sur l’état du monde paysan. Il est toujours d'actualité.
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Y a-t-il une différence entre agriculteur et paysan ?

Jean-Louis Laureau : Agriculteur est un métier, et paysan est plutôt un état de vie. Aujourd’hui, en 2020, on peut être agriculteur sans être paysan et vice versa. Il est important de le dire !

Matthieu Tabard : L’agriculteur est celui qui travaille aux champs, tandis que le paysan est l’homme du pays, attaché à un lieu, une culture.

J.-L. L. : Et paysage aussi ! Le paysan est donc l’homme de la terre, façonné par un pays, par le sol sur lequel il vit, le climat, l’Histoire… Puis, à son tour, le paysan façonne le paysage. Il vit une osmose avec la terre. C’est essentiel !

M. T. : Paysans et agriculteurs ont un rôle privilégié dans la vitalité de leur lieu de vie, car ils nouent une relation durable, indissociable et vitale avec le bout de terre qu’ils cultivent. Ils sont appelés à rester toute leur vie au même endroit, et portent donc intrinsèquement un désir d’embellir et de veiller à la bonne gestion de ce lieu.

Le paysan a-t-il changé ?

J.-L. L. : Pendant des siècles, le paysan était celui qui vivait sur sa terre pour faire vivre sa famille. Il se contentait de vendre quelques surplus. Aujourd’hui, cette situation devient à peu près impossible, bien qu’il y ait de tout petits essais qui essayent de refaire cela. On est passé de la forme vivrière à l’entreprise agricole.

M. T. : Il y a aujourd’hui deux voies principales : le modèle de la grande ferme qui repose sur une commercialisation en circuit long, soumise aux prix du marché mondial et à des financeurs qui permettent la subsistance, le renouvellement et la croissance du capital, avec agriculteurs devant faire attention aux rendements. Et puis le modèle de la petite ferme en circuit court, c’est-à-dire en vente directe ou en autoconsommation. Pour eux, une attention toute particulière est à porter sur la qualité des produits et la relation avec les clients.

Que reste-t-il de cette agriculture vivrière ?

M. T. : Il reste la vertu de pauvreté, qui caractérise la vie paysanne. L’agriculteur reste toujours soumis aux lois de la Création, il reste dans les limites de ce que la nature lui impose. Sans Dieu, il ne peut rien faire : cette expérience est quotidienne pour lui.

Cette mentalité que vous décrivez est-elle compatible avec le productivisme ?

J.-L. L. : Quand on se lance dans le productivisme comme le font beaucoup d’exploitations, on oublie l’essentiel : la terre est un don de Dieu. Il faut la connaître, la respecter, l’aimer, pour non seulement donner des aliments à tout le monde, mais aussi pour en vivre avec sagesse.

N’est-il pas utopique de penser s’affranchir du système productiviste ?

M. T. : Le grand nombre d’agriculteurs qui vivent déjà de ce système de proximité vous diront plutôt qu’il serait utopique de vouloir persister sur le marché mondialisé et de construire le développement agricole sur l’exploitation des ressources fossiles !

Quel est le mal-être paysan d’aujourd’hui ?

J.-L. L. : La question est essentielle, car elle est la raison d’être des Journées paysannes. On a cassé, entre 1900 et 2020, le monde paysan. On a creusé un abîme entre l’amour de la terre et de la famille d’un côté, et la nécessité d’avoir un minimum de revenu pour faire vivre sa famille de l’autre. Avant, ça ne faisait qu’un. On a forcé les agriculteurs à emprunter, investir, pour pouvoir subsister. Au fur et à mesure qu’un grand nombre disparaissait, ceux qui restaient, pour survivre, devaient investir dans le matériel, les engrais, les produits chimiques, les semences sélectionnées, etc. Et faire des emprunts. Les agriculteurs croulent sous les dettes à rembourser, les charges sociales insupportables… On leur impose des techniques. Ils ne sont plus maîtres chez eux. Ce sont les coopératives et les industries agroalimentaires qui imposent des techniques. On leur dit : « Avec ça, vous allez vivre. » Et on s’aperçoit qu’ils n’y arrivent pas. Face à toutes ces dérives et difficultés économiques qui sont considérables, et que le monde paysan ignorait complètement il y a plus d’un siècle, un désespoir s’est créé.

S’est aussi ajoutée la désertification humaine…

J.-L. L. : Avant, dans n’importe quel village, il y avait 40, 50, jusqu’à 100 exploitations agricoles. Maintenant, deux ou trois ! C’est devenu un désert humain. Et, au sommet de tout : un désert spirituel. Moi qui suis âgé, j’ai connu dans ma campagne angevine, cette époque où chaque petit village de 1 000 habitants avait son église et son curé. Aujourd’hui, vous avez un curé pour 15, 16, 20, parfois 40 clochers ! Il n’y a plus de raison d’être. C’est la crise économique et le désert complet.

M. T. : Je crois profondément que ce sont les liens d’amitié qui sauveront notre agriculture. Je suis tellement porté par mes clients sur les marchés où je livre mon pain, et dans les AMAPs [partenariat de proximité entre consommateurs et producteurs, NDLR] où certains s’engagent à m’acheter de mon pain en payant à l’avance… Ce sont ces relations d’amitiés « utiles » qui nous sauveront. Ces personnes sont tout aussi « paysannes » que celles qu’elles soutiennent.

Vous ne désespérez donc pas ?

J.-L. L. : Au sein des adhérents des Journées paysannes, nous avons des familles chrétiennes pauvres, mais heureuses. Elles ne sont pas dans la misère, mais elles sont pauvres. Et elles rayonnent leur bonheur. Notre but est faire en sorte que nos fermes soient des oasis, des foyers de santé et de lumière.

Iriez-vous jusqu’à parler des fermes comme lieux d’évangélisation ?

M. T. : Souvent, il nous est difficile d’aller porter la Bonne Nouvelle à ceux qui n’ont pas appris que Jésus était mort et ressuscité pour nous sauver. En revanche, de plus en plus d’hommes et de femmes s’intéressent à nos fermes, car ces personnes voient notre enracinement et notre stabilité. Par notre prière et notre travail, nous devons justement enraciner ces fermes dans la bonne terre de l’Évangile. Et faire en sorte que la Création dont nous sommes les sentinelles se voie annoncer l’Évangile, par exemple à travers la bénédiction des Rogations (voir p. 15).

J.-L. L. : C’est en effet relativement simple : les fermes doivent montrer ce qu’elles vivent. Plus on pratique cette triple alliance entre le travail, qui est très rude, la vie de famille et la prière, plus on évangélise.

Que discerne un paysan de la Création ?

M. T. : Le paysan a ceci de particulier qu’il peut percevoir une beauté tout intérieure de la Création : il collabore avec le Créateur, en sélectionnant ses semences ou ses plants, en travaillant la terre, en désherbant. Toutes ces actions, lors de la récolte, donnent lieu à une action de grâce pour une croissance qu’il ne maîtrise pas. Cette collaboration entre la toute-puissance de Dieu et le travail du paysan est très belle, quand ce dernier contemple le petit bout de terre qui lui est confié saison après saison, année après année.

J.-L. L. : L’agriculteur paysan ne va pas beaucoup s’extérioriser sur la beauté de la Création, ni ne va s’exclamer. Il va vivre de cette beauté, chaque jour dans le silence. Une contemplation intérieure. Le paysan est un taiseux ! Il vit de la beauté. Ce qui n’empêche absolument pas d’être en accord profond avec une personne de la ville qui s’extasie devant la beauté d’un paysage, ou de la mer, ou de la montagne. Ce sont deux formes différentes.

Quel regard un paysan porte-t-il sur l’écologie ?

J.-L. L. : Il ne peut pas y avoir de véritable écologie sans vie paysanne. C’est la plus vieille science du monde ! Lisez le verset 15 du deuxième chapitre de la Genèse : « Le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin d’Éden pour qu’il le travaille et le garde. » Pour nous, cultiver, c’est l’économie, et le fait de garder, l’écologie. Pour un paysan, pour bien cultiver et bien vivre, il faut qu’il adapte son travail au sol, au climat et à l’économie régionale.

M. T. : Ce que nous dit le paysan, c’est qu’on ne peut bien gérer que ce que l’on comprend, et que l’on ne peut comprendre profondément une chose que si on l’aime en vérité. Cette terre, ce jardin qui lui a été confié, le paysan fait le choix de l’aimer en restant fixé parfois toute sa vie sur une même parcelle.

Quelle est la vocation des paysans ?

J.-L. L. : C’est d’être les témoins, les prophètes de la nécessité du lien de l’homme à la terre. Pour tout le monde. Car tout le monde mange. Il faut que l’immense majorité des gens dans nos pays développés, qui sont des urbains, prennent conscience que notre nourriture vient de la terre. C’est un peu David contre Goliath… L’espérance théologale. Mais ce qui est extraordinaire, c’est que ce n’est pas une idée isolée… Dans nos réunions, nous avons un afflux de jeunes de moins de 30 ans. C’est nouveau.

M. T. : La vocation du paysan est aussi de travailler avec ses mains, au sens large : son labeur doit servir à la société, et particulièrement à sa famille. La famille paysanne forme un tout indissociable et le bonheur de cette cellule de vie a vocation à convertir la société tout entière : la simplicité d’une vie paysanne doit porter au bonheur et à l’espérance.

Retrouvez l’intégralité du dossier dans le magazine.

Les Journées paysannes

Les 17 et 18 février à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire)

Fondées à la fin des années 80, les Journées paysannes rassemblent 250 foyers adhérents et 3 000 sympathisants. Leur but : briser la solitude et favoriser des rencontres via des échanges en profondeur.

https://www.journees-paysannes.org/