« Synodalité »- un terme qui a de plus en plus occupé le devant de la scène au cours de ce pontificat – est un néologisme en quête d’une théologie. Cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’un terme dépourvu de toute signification théologique, mais plutôt que dans la mesure où le mot décrit la « forme » que le Pape François voit pour l’Église au troisième millénaire, il s’agit d’un concept encore en devenir.
À partir d’octobre prochain, le Synode des évêques portera son attention sur ces problèmes lors de sa prochaine assemblée, sous le thème : »Pour une Église synodale : communion, participation et mission « . Le pape François est convaincu que la synodalité décrit la « forme »que l’Église doit prendre au cours du troisième millénaire. Ce que le Saint-Père entend par synodalité et par Église synodale n’est toutefois pas très clair.
Nous savons, pour commencer, ce que le pape François n’entend pas par synodalité. Il ne s’agit pas simplement de la synodalité des Eglises orientales. Il semble avoir à l’esprit quelque chose de plus que le Synode des évêques, qui s’est réuni pour conseiller les papes dans les années qui ont suivi le Concile Vatican II. Il ne considère pas une Église synodale comme une démocratie, ni un synode comme une sorte de plébiscite ou de parlement. Par synodalité, il entend bien « une Église qui marche ensemble »- une définition suffisamment vague pour rendre nécessaires toutes les précisions qui précèdent.
La Commission théologique internationale (CTI) a étudié le thème de la »synodalité dans la vie de l’Église »pendant plusieurs années pour aboutir à un rapport en 2018. Ce rapport, accueilli favorablement par le pape François, expose une vision plus robuste de ce que la synodalité signifie ou pourrait signifier pour l’Église latine – et aussi, dans une certaine mesure, de ce qu’elle ne signifie pas ou ne peut pas signifier.
La synodalité, nous dit-on, ne décrit pas un événement, mais un processus : « le modus vivendi et operandi spécifique de l’Église, le peuple de Dieu, qui révèle et donne corps à son être de communion lorsque tous ses membres font route ensemble, se réunissent en assemblée et prennent une part active à sa mission évangélisatrice« . Le peuple de Dieu, en union avec les évêques, avec et sous le pape, discerne la volonté de l’Esprit Saint pour l’œuvre missionnaire de l’Église.
Cependant, l’ambiguïté de la terminologie de la synodalité – sans parler du caractère litigieux des récentes réunions du Synode des évêques et de la situation délicate dans laquelle se trouve le « chemin synodal »de l’Église allemande – présente un certain nombre de problèmes théologiques et pratiques. Il y a, bien sûr, des raisons d’être sceptique quant à la façon dont certains pourraient mal interpréter la synodalité dans le but de déconstruire la doctrine, de saper la tradition et de mettre en danger la communion ecclésiale. Toutes ces préoccupations sont légitimes.
Mais si la synodalité est une sorte de vase vide, il n’y a aucune raison pour qu’elle ne puisse pas être remplie de bonnes choses. Il n’y a aucune raison pour que l’accent mis par le Pape François sur la synodalité ne soit pas une occasion de redécouvrir, ou de considérer à nouveau, la constitution doctrinale du Concile Vatican II sur l’Église, Lumen Gentium. Comme le dit l’ITC, « Bien que la synodalité ne se trouve pas explicitement comme terme ou comme concept dans l’enseignement de Vatican II, il est juste de dire que la synodalité est au cœur du travail de renouvellement que le Concile encourageait. »
En fait, la promesse d’une Église synodale est précisément qu’elle devient un moyen par lequel l’Église, dans tous ses membres, incarne plus pleinement son véritable caractère et sa mission : en s’appuyant sur l’Écriture et la Tradition, de sorte que le caractère de l’Église puisse se manifester de manière plus authentique, et que la mission universelle de l’Église puisse être accomplie, avec une plus grande efficacité.
En ce sens, une Église véritablement synodale ne consiste pas à « repartir de zéro« , ni à diviser l’autorité ecclésiale d’une manière plus attrayante pour les sensibilités modernes. Il ne s’agit pas non plus de remodeler l’Église pour l’adapter à l’esprit du temps, les synodes locaux et régionaux se taillant chacun leur propre part de vérité, rejetant ce qu’ils n’aiment pas ou ajoutant selon la mode locale.
Une synodalité authentique prendra au sérieux l’universalité de la mission baptismale : tous les fidèles, sans exception, doivent être pleinement engagés dans la mission de l’Église, même si la manière particulière dont cette mission est accomplie dépend des dons, des talents, des charismes, de la position et de la fonction de chacun.
Des exemples d’une synodalité saine, constructive et fidèle peuvent déjà être trouvés ici aux États-Unis. Selon mes calculs, au moins dix diocèses et archidiocèses américains ont annoncé, commencé ou achevé des synodes locaux ces dernières années : Bridgeport, Burlington, Dallas, Detroit, Milwaukee, Springfield, San Diego, Sacramento, St. Paul et Minneapolis, et Washington.
Les résultats ont été variés, mais généralement positifs. Un archevêque m’a dit qu’il considérait sa décision de convoquer un synode archidiocésain comme la plus importante et la meilleure décision pastorale qu’il ait jamais prise en tant qu’évêque. Le synode local a donné l’occasion à son Église locale de faire face ensemble à des défis importants tout en recentrant les efforts et les ressources sur les tâches les plus urgentes et surtout sur la tâche la plus fondamentale de toutes : « libérer l’Évangile. »
Il reste à voir comment ce type de synodalité, qui s’est avéré fructueux au niveau local, se traduit à l’échelle mondiale. Le processus synodal qui débute ce mois d’octobre commencera par une phase diocésaine, qui sera suivie un an plus tard d’une phase continentale et, enfin, d’une phase universelle en 2023. Il est loin d’être évident qu’une Église de plus d’un milliard d’âmes dispersées sur le globe puisse discerner ou « marcher ensemble » à travers un tel programme nécessairement impersonnel.
Les préoccupations concernant les pièges ou les abus potentiels de la synodalité doivent être reconnues, mais ce serait une terrible erreur de rejeter d’emblée la promesse de la synodalité. Si la revitalisation de la mission évangélisatrice de l’Église n’est pas une raison suffisante pour que les catholiques fassent de leur mieux au synode, une autre réflexion pourrait être faite : l’échec ou le refus des fidèles de s’engager dans le processus synodal ne fait que garantir que les voix les plus cyniques ou idéologiques seront les seules entendues.
Pour aller plus loin :
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- En vue du prochain Synode pour le Moyen-Orient
- Liberté et synodalité, le défi de l’assemblée « extraordinaire » sur la famille « Cum Petro et sub Petro »
- Une autre "révolution" dans l'Église
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918