Au lendemain du premier débat entre les sept candidats de la primaire de la droite et du centre, la plupart des politologues donnaient toujours l’avantage à Alain Juppé, admettant toutefois que les jeux n’étaient pas faits. Le niveau de participation demeurait en effet la principale inconnue. En cas de participation massive, au-delà des 2,6 millions d’électeurs qu’avait mobilisés naguère la primaire de la gauche remportée par François Hollande, l’actuel maire de Bordeaux paraissait assuré de prendre la tête. Au-dessous de ce niveau, c’était Nicolas Sarkozy qui, porté par les plus ardents militants de base ou petits soldats de l’ancienne UMP, se serait disposé à aborder le second tour dans les meilleures conditions.
Ce feuilleton, dont personne n’avait soupçonné qu’il serait ponctué de tant de rebondissements, a fait l’objet de deux émissions. À la première, intercalée entre le deuxième et le troisième débat, nous avons apporté une suite à quatre jours du second tour. Et c’est peu dire que, entre-temps, le contexte avait totalement changé. Au lieu de l’issue du duel Juppé-Sarkozy, il s’agissait de spéculer sur le dénouement de l’empoignade inattendue entre Alain Juppé et François Fillon, regardé comme un pâle outsider jusqu’à peu – par la volonté de médias aussi aveugles que bavards. Pour Éric Verhaeghe, Fillon en sortirait victorieux. Mais, et ce pronostic-là faisait la quasi-unanimité, le score promettait d’être serré. Il n’en a rien été, comme chacun sait. Alors, comment expliquer le cuisant revers qu’a essuyé le grand favori de ce steeple-chase politico-médiatique ?
Premier malentendu : Juppé a joué le centre et pris ses distances d’avec la droite. Mais quel électeur centriste l’a perçu comme une figure du centre ? Et quel électeur droitiste allait approuver ce pas de côté ? Deuxième maladresse : s’identifiant depuis toujours à un chef d’État, Juppé a perdu une occasion de se taire quand, après l’élection de Donald Trump, il a réagi à peu près dans les mêmes termes que le président Hollande. Troisième gaucherie : informé de la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron, il s’en est pris à ce dernier qu’il a accusé d’avoir poignardé le président Hollande. Là encore, Juppé a persévéré dans une posture à contre-emploi.
Ajoutons qu’à l’arrière-plan, l’état-major d’Alain Juppé a aussi joué avec le feu en priant son champion d’adopter un look et un ton qui jurent avec sa nature profonde. Qu’il clame qu’il a « la pêche » ou « la banane », qu’il prophétise « la surprise » que réservera le second tour, ou qu’il partage les servitudes et les joies de la vie domestique – faire ses courses à « Prisunic » – n’a pas suffi à le faire descendre de ses hauteurs.
Et que dire du spectacle qu’ont donné ses ralliés de dernière minute, Valérie Pécresse, Jean-Louis Debré, etc. Les frères Debré étaient d’ailleurs d’un avis divergent. Ainsi Bernard Debré, soutien de Fillon, a-t-il choisi d’interpeller sèchement Alain Juppé à quelques jours du dénouement : « As-tu perdu la tête ? Que t’arrive-t-il, toi qui as été, je le rappelle, à l’origine de l’UMP, toi qui as été Premier ministre de Jacques Chirac, toi qui as été ministre d’État de Nicolas Sarkozy ? (…) Tu voudrais faire passer François Fillon pour un extrémiste, à la limite fasciste, alors qu’il est tout le contraire, et tu le sais. » À cocasserie, cocasserie et demie ! Pour avoir dénoncé « la désastreuse politique pénale mise en œuvre depuis 2012 par Mme Taubira », le 3 mars 2015 à l’occasion d’une visite en Seine-Saint-Denis, à Bondy et à Montreuil, chez quel responsable politique candidat à la prochaine élection présidentielle le quotidien Le Monde avait-il décelé un « coup de barre à droite » ?
Dans sa bouche, la gauche était « fautive d’avoir rompu avec la politique de fermeté mise en œuvre depuis dix ans », et inconséquente pour avoir adressé « un message de relâchement de notre vigilance aux délinquants potentiels ». Enfin, il était reproché au président Hollande de ne pas « lutter contre l’assistanat pour inciter les chômeurs à reprendre un emploi ». Qui donc était l’auteur du « coup de barre à droite » ? Nicolas Sarkozy ? François Fillon ? Vous n’y êtes pas ! Il s’agissait d’Alain Juppé. Mais ça, c’était avant. Tant que tenir des propos aussi fermes que ceux de Nicolas Sarkozy paraissait encore avantageux.
La veille du second tour, Charles Gave, président de l’Institut des libertés, a soulevé trois questions. Alain Juppé est-il un homme d’honneur ? Est-il compétent ? Apprend-il de ses erreurs ? Ayant répondu à chaque fois par la négative, c’est par ce vœu qu’a conclu l’auteur de Sire, surtout ne faites rien (J.-C. Godefroy) : « Ne privons pas Bordeaux d’un si bon maire. »
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Pour aller plus loin :
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- Édouard de Castelnau