Le mot compassion signifie « souffrir avec » quelqu’un, avec le sens de venir en aide à la personne. C’est une émotion interne causée par un mal ou une condition affreuse touchant quelqu’un d’autre que nous. Le Bon Samaritain en est un exemple mémorable. (Luc, 10:25-37) Le mot « pitié » désigne une sensation de tristesse ou de crainte devant la destinée d’autrui, que cette dernière soit ou non méritée.
L’art de la tragédie nous rend capable d’élargir notre expérience intérieure. En contemplant le drame de la souffrance d’un autre, nous pouvons voir et ressentir ce que nous pourrions ne pas expérimenter dans notre propre vie. La compassion comme la pitié nous incitent à ressentir la souffrance d’un autre. La sensation des chagrins ou des péchés des autres élargit notre univers au-delà des étroites limites de notre expérience immédiate. Nous devenons davantage humains quand nous connaissons plus que notre petite personne. Ce sont à la fois nos connaissances et nos sentiments qui nous permettent de prendre part à ce qui se passe dans l’âme des autres. Ils ne sont pas tout seuls.
Mais les notions de compassion, de sympathie, de sincérité, de miséricorde et de pitié nécessitent d’être surveillées de très près. Elles naissent plus de l’émotion que de la réflexion. Chacun de ces concepts fait référence à un ressenti. Cela vient de la confrontation entre notre être et la situation terrible (ou heureuse) d’un autre. Mais nous ne pénétrons pas entièrement l’âme de celui dont nous avons compassion. Personne ne veut d’un cœur froid. Dans Matthieu (9:36), le Christ a « compassion » des foules qui sont comme des brebis égarées. Luc évoque « la tendre compassion de notre Dieu ». (1:78)
Le mot compassion peut être proche du mot « miséricorde », qui habituellement a à voir avec ce qui est au-delà de la justice sans pour autant la renier. Manifestement, la compassion de Dieu prend place là où nos fautes s’arrêtent. Nous pouvons parler de « pitié » à l’égard des victimes d’un tremblement de terre, où ce n’est la faute de personne. Nous pouvons avoir pitié de ceux qui sont frappés par la foudre. La miséricorde, elle, commence là où existe la faute. Dieu ne peut pas dénier à quelqu’un la liberté de refuser de reconnaître que quelque chose nécessite le pardon.
Cependant, je m’intéresse ici à une particularité de la compassion et de la sympathie. Au sens littéral, compassion signifie « souffrir avec » un autre parce que l’on voit sa souffrance et que l’on peut imaginer qu’elle soit nôtre. Pourtant nous devons nous poser la question : « quelle est la cause de sa souffrance ? » Nous devons faire plus que simplement remarquer qu’il souffre. Si je dis : c’est terrible que quelqu’un souffre, et ce quelle que soit la raison, je vais bientôt me trouver à séparer la souffrance de sa cause.
Et partant de là, j’ai tôt fait de fusionner la souffrance avec sa cause naturelle. Il est tout à fait possible que ma souffrance soit causée par mes propres choix ou mes propres vues. Si je commets des actions que je sais mauvaises, peu importe ce que disent les lois civiles ou les coutumes, il faut que je souffre. Et c’est ce qui arrive. Platon disait qu’on devrait vouloir souffrir pour ses péchés. Alors si je divorce injustement, si je pratique des avortements, si j’ai des relations homosexuelles, si je tue, si je vends de la drogue, si je verse des pots de vin, si je mens, si je vole, tôt ou tard, même dans cette vie, je vais souffrir et causer de la souffrance autour de moi. La nature a ses propres voies pour nous punir.
Si j’agis contrairement à l’ordre naturel, cela entraînera pour moi de la souffrance. Neuf fois sur dix, je n’aurai pas à attendre jusqu’au Jugement Dernier pour expérimenter le chaos que je crée. Mais même lors du Jugement Dernier, il m’est tout à fait possible de refuser de reconnaître que la cause de mes souffrances réside dans mes propres actes, contraires à mon propre bien.
Je peux vouloir changer l’ordre du monde pour ne pas être tenu responsable de ma souffrance, pour qu’elle soit imputée à un monde déréglé. Je suis une « victime ». Soyez de tout cœur avec moi. Ce que la compassion peut faire, très subtilement, c’est de détourner notre attention intellectuelle de ce qui se passe, du dérèglement qui est la cause et de la souffrance qui est la conséquence naturelle de ce dérèglement. Je vais prétendre, et essayer d’en convaincre les autres en invoquant leur compassion, que ma souffrance est causée, non par mes choix et mes actions déréglés, mais par la proclamation que certains actes sont immoraux.
La compassion débute avec le ressenti des souffrances des autres. Elle peut conduire, étape par étape, à nier l’ordre naturel des choses. Cela arrive si je fais de la souffrance ressentie le facteur déterminant, en lieu et place de l’action dont la souffrance est la conséquence. Aristote avait raison. Il nous a enseigné que nos passions, nos sentiments, nos émotions doivent d’abord être gouvernés par notre raison avant d’être en mesure de nous aider à bien vivre. Et de fait, la plus grande part de notre vie morale consiste à discipliner nos passions, bonnes par nature, par notre raison, en vue d’un résultat pertinent. La compassion a sa place dans une âme bien ordonnée. Mais elle ne peut par elle-même nous dire comment faire l’ordre dans notre âme.
James V. Schall, S.J., qui a été professeur à l’université de Georgetown durant 35 ans, est l’un des écrivains les plus féconds des États-Unis.
Illustration : « Compassion », par William-Adolphe Bouguereau, 1897
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/02/17/compassion/
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