Mes précédentes chroniques reflétaient le scepticisme de l’époque, une époque qui a tourné le dos à certains projets prométhéens, comme celui défini par le philosophe Alain Badiou pour le XXe siècle. Un siècle qui serait caractérisé par l’action, la transformation forcenée des choses au risque des catastrophes totalitaires. Badiou, d’ailleurs, n’a pas renoncé et continue à militer en faveur d’une action totalisante au service d’une révolution mondiale. Mais il ne recevra plus l’aide des instruments d’hier, et on a beau jeu de lui opposer, à lui et à tous les partisans d’une option révolutionnaire, l’exemple repoussoir de la Corée du Nord. La question est de savoir si on est, du coup, voué au morne ressassement de l’à quoi bon.
Or, il est quelqu’un qui résiste remarquablement à cet à quoi bon et qui n’a pas renoncé à proposer des voies de résolution, même modeste, aux impasses d’aujourd’hui. Ce quelqu’un, c’est notre pape Benoît XVI, dont je vous invite à lire ou à relire les vœux récents au Sacré Collège et aux membres de la Curie romaine :
« L’Église, a-t-il déclaré, représente la mémoire de l’humain face à une civilisation de l’oubli, qui désormais connaît seulement elle-même et son propre critère de mesure. Mais de même qu’une personne sans mémoire a perdu sa propre identité, de même une humanité sans mémoire perdrait sa propre identité… Dans le dialogue avec l’État et la société, l’Église n’a sûrement pas de solutions toutes faites à chaque question. Avec les autres forces sociales, elle luttera en faveur des réponses qui correspondent à la plus juste mesure de l’être humain. Elle doit défendre avec la plus grande clarté ce qu’elle a identifié comme valeurs fondamentales, constitutives et non négociables de l’existence humaine. Elle doit faire tout son possible pour créer une conviction qui puisse ensuite se traduire en action politique. »
Dans l’incertitude et le désarroi ambiants, ce discours offre une densité singulière. Il n’a pas la prétention démesurée de l’utopie. Il veut simplement éclairer les situations et défendre le poids d’humanité sans lequel il n’y a que dérive et désintégration. C’est d’un tel message de sagesse que nous avons le plus besoin aujourd’hui.