Autant la référence mitterrandienne semble aujourd’hui assez bénigne (chez Hollande), autant le « thatchérisme » continue à diviser les Britanniques. La sortie d’un film sur La Dame de Fer (le 15 février sur les écrans français), avec Meryl Streep (nominée aux Oscars) dans le rôle de Margaret Thatcher, a réveillé la controverse outre-Manche où on s’interroge sur l’organisation de ses funérailles – annoncées – et où l’on s’agace de l’ombre portée sur les célébrations des soixante ans de règne (en ce 6 février) d’Elizabeth II, sa contemporaine (85 ans).
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L’idée de base du projet de Margaret Thatcher quand elle arrive au poste de Premier ministre en 1979 est de redonner une « âme » au peuple britannique. Avec Mitterrand, avec lequel elle cohabitera (mal) jusqu’en 1990, ce sera « changer la vie », mais les deux projets sont rigoureusement antagonistes. Thatcher, c’est, au sens littéral, « l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » tel que l’a exposé Max Weber au début du siècle dernier. Le travail, ce n’est pas seulement pour gagner de l’argent ou pour vivre, c’est une fin en soi, la voie de sanctification sur la terre, au sens de son « méthodisme » profond, un « devoir », issu du fameux « beruf » luthérien. Pour qui n’a pas vécu le règne de Maggie, il n’y a qu’à se référer à celui d’Angela (prononcer anguela), Merkel, fille de pasteur luthérien. Une autre méthodiste célèbre, toujours active, dans le même registre, est Hillary (Clinton). Les trois femmes de poigne partagent une foi inébranlable dans la vertu du travail, la pratique de la « méthode » en vue du Bien, et donc l’esprit de sérieux, autrement dit une absence totale d’humour, ou de distraction, considéré comme du temps perdu.
Pour Thatcher, cela s’assortit d’une adhésion sans failles au modèle libéral (c’est moins vrai pour Merkel du fait de la tradition allemande de l’économie sociale de marché). Fidèle disciple d’Adam Smith, elle voit les valeurs morales soutenir l’activité économique. C’est là l’origine de son échec magistral : la mise en œuvre d’un libéralisme à tout crin a au contraire détruit les valeurs qui la sous-tendaient (processus bien décrit en son temps par Schumpeter). Le démantèlement industriel de la Grande-Bretagne (objet récent de controverse entre Sarkozy et Cameron) a brisé le tissu social de la société britannique qui a simplement implosé.
Or, Blair s’est reconnu héritier de Maggie, et Cameron aujourd’hui s’est situé comme héritier de Blair, non au sens où ils continueraient la même politique mais où ils s’inscrivent nécessairement dans la suite de son bilan qu’il n’est pas possible de renverser. Quoi qu’on fasse, nous sommes tous en France, même les « contre-révolutionnaires », les « héritiers » de la révolution française. De ce point de vue, l’ère Thatcher a bien marqué une « révolution ». La césure est totale : on ne reviendra pas au conservatisme d’avant 1975. Même si Cameron est le premier Premier ministre issu de la prestigieuse et élististe Eton depuis Alec Douglas-Home (1964), ce n’est plus la même Eton. Aristocratie mise à part, la nouvelle Eton n’a même plus rien à voir avec « Old Eton ».
La statue du Commandeur de la Dame de Fer continue de hanter le 10 Downing Street. Le retrait européen opéré par Cameron en décembre dernier en est imprégné, même si ce n’est qu’une pâle imitation des succès obtenus par Mme Thatcher sans jamais quitter le Conseil européen (le « rabais » britannique étant le meilleur exemple). Cameron, sans le dire, est obligé de faire du Thatcher alors que Londres n’en a absolument plus les moyens. Échec donc. Idem, ces jours-ci, d’une répétition de la crise des Malouines avec l’Argentine trente ans après.
Grandeur et décadence, c’est aussi la leçon du film et de la fin de vie de la Dame de Fer, affligée d’un Alzheimer. Le film fonctionne en flash backs. Si la vieille Lady ne se souvient plus très bien, les enfants de la révolution thatchérienne ont, eux, perdu leurs repères moraux et même identitaires. Il n’est pas sûr que le jubilé de la Reine suffise à redonner un sens au Royaume-Uni, et surtout un substitut du « Beruf » auquel ils ne croient plus.
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- INTRUSION DE LA THEORIE DU GENRE A L’ECOLE ET DANS LA SOCIETE
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- Les petites âmes souffrantes (2e partie : Margaret Leo de McLean)
- ÉLECTIONS : LA LEÇON D’ANGLAIS