L’histoire de cette chorale est symptomatique de l’âme syrienne, où se mêlent art et culture millénaires, sensibilité et retenue orientales, engagement et talent lyriques, passion et tragédie. « Cette chorale est née il y a une dizaine d’années, sous la houlette du père Yeghiche Elias Janji, le chef de chœur », raconte Armelle Milcent, permanente de l’Œuvre d’Orient, qui a organisé la venue de la chorale en France. « Ce prêtre est hélas décédé en avril dernier, dans un accident de voiture près d’Homs. Sa voiture s’est disloquée… »
À l’église Saint-Nicolas-des-Champs à Paris, où la chorale se produit pour la première fois, la photo du prêtre est là, disposée sur un chevalet. Dans l’église pleine, plus de 500 personnes sont venues écouter « la chorale de l’Espérance » interpréter le répertoire classique du patrimoine religieux chrétien : des chants grégoriens mais aussi lyriques, Haendel, Bruckner, et l’Ave verum de Mozart. Parmi les neuf hommes et dix-huit femmes qui la composent habituellement, tous n’ont pas pu faire le voyage. « Il nous manquait cinq visas », explique Armelle Milcent.
Sur les chaises de l’église, une petite croix en bois blanc, qui provient de l’ancienne charpente délabrée de la cathédrale Saint-Élie. « J’étais à Alep, il y a quelques mois, la vie commence à reprendre », indique pour sa part Mgr Pascal Gollnisch, le directeur de l’Œuvre d’Orient. « En 2012, la cathédrale a vu son toit s’effondrer, et tout a été détruit à l’intérieur. »
Pour le prélat, d’autres besoins se font jour, comme la nourriture d’abord, ou le travail ensuite. « Ce qu’il faut, surtout, c’est réconcilier les cœurs : il faut que les chrétiens et les musulmans revivent et reconstruisent ensemble. » Avec ses 70 000 donateurs, son association envoie plus de 20 % de son aide à la seule Syrie.
Quant à l’évêque maronite d’Alep, Mgr Joseph Tobji, il est porteur d’un message pour la France : « Message d’espérance, message de paix, pour dire que notre peuple croit encore au Christ, à la résurrection, et que le mal n’a pas le dernier mot. Grâce à Dieu, la vie quasi normale vient de reprendre son cours à Alep. Mais il y a encore beaucoup de défis et de souffrances, comme la pauvreté accrue du fait de la guerre. Et il faut s’occuper aussi des personnes qui sont devenues handicapées. »
Pour lui, l’existence de cette chorale est un petit miracle, car elle a toujours réussi à se réunir, malgré le conflit qui a déchiré le pays. Œcuménique, elle représente, comme le souligne Mgr Tobji, « la diversité des Églises à Alep » : six Églises catholiques, trois orthodoxes et trois protestantes. On peut dire sans exagérer que cette chorale revient de l’enfer. Symbole à elle seule de la « résurrection » d’Alep, et finalement de toute la Syrie.
Comme l’explique, Maria choriste maronite, « nous chantons pour oublier la mort. Nous habitons dans le centre d’Alep. Notre maison n’a pas été touchée, grâce à Dieu. Nous avons beaucoup prié, chaque jour. Et le Seigneur nous a exaucés : je suis heureuse car la guerre se termine… » Anouar, lui, chante depuis une vingtaine d’années. Ce Syriaque catholique était entrepreneur avant la guerre. Économiquement, il a tout perdu. Pour lui aussi, cette chorale a été un port d’attache. Il raconte que pendant la guerre, il n’y avait plus ni eau ni électricité, mais que « nous allions à la messe tous les dimanches. »