Napoléon, brillant stratège, disait souvent à ses généraux de considérer le pape comme s’il disposait d’une armée de 200.000 hommes. Autrement dit, c’était une réponse anticipée à la remarque cynique de Staline — le pape, combien de divisions ? — à peu près une dizaine de divisions, parfaitement loyales et prêtes à mourir.
Ce qui n’empêcha pas Napoléon d’enlever Pie VI en 1799, qui refusait d’abandonner son pouvoir temporel (Pie VI mourut en France quelques semaines plus tard, en partie à cause de sa détention). Son successeur Pie VII croyait à la démocratie, et signa un Concordat avec le Premier Consul, futur empereur. Mais à son tour, il fut arrêté ainsi que plusieurs cardinaux. Tout cela finit plus ou moins bien, quand Napoléon fut exilé à l’île d’Elbe.
Depuis lors, les rapports entre l’Église et l’État en France ont conservé un côté caractériel, dont la confrontation de dimanche dernier face aux efforts des socialistes de François Hollande, qui tiennent actuellement tous les pouvoirs politiques, pour imposer le prétendu « mariage gay » au pays — et, sur la lancée, l’adoption par des couples homosexuels, et l’insémination artificielle (remboursée) pour les couples de lesbiennes. Pour beaucoup, la coupe débordait.
Dans un style bien français, une foule immense est descendue dans la rue — « descendre dans la rue » [en français dans le texte] est un geste politique quasi classique en France. Les chiffres sont toujours matière à contestation, mais environ 800 000, peut-être un million — le quintuple du chiffre énoncé par Napoléon — ont parcouru ce dimanche, en trois itinéraires, les rues de Paris vers la Tour Eiffel.
Il y a cinq ans, presque jour pour jour, je rédigeai un article sur le discours prononcé par le président Nicolas Sarkozy à l’occasion de son investiture comme chanoine honoraire à Saint-Jean de Latran à Rome. Il insistait sur un thème qu’il avait développé quelques années auparavant : les Français font fi de leur héritage en ignorant leurs racines chrétiennes. De plus, disait-il, l’Église devrait se manifester davantage. La France avait besoin de ce qu’elle seule pouvait porter en son sein.
Des amis français m’ont dit que ça ne changerait pas grand’chose. Ils avaient bien un peu raison. Mais ce n’est pas rien quand un président parle de l’importance pour tous de la religion dans un pays comme la France. Et ce n’est pas rien quand près d’un million de Français se dressent pour exprimer leur pensée, ce que beaucoup n’auraient pas imaginé de nos jours.
Un simple calcul fait réfléchir. La population de la France est d’environ un cinquième de la population Américaine, et donc cette manifestation équivaudrait à cinq millions d’Américains défilant à Washington.
Par une sorte de réaction reconnaissant l’évidence, le gouvernement socialiste a annoncé la création d’un organisme de surveillance, « Observatoire National de la Laïcité », qui veillera sur les groupes religieux (y-compris l’Église [catholique]) afin de mettre un terme aux cas de « pathologie religieuse ».
L’opposition — elle comporte bien plus que les catholiques et autres chrétiens — s’est élevée par la « Manif pour tous » [en français dans le texte, avec traduction en anglais] en contre-pied du mouvement « Mariage pour tous » [en français dans le texte, avec traduction en anglais] qui, comme son homologue Américain tente de promouvoir le mariage gay comme si c’était un sujet d’égalité. On n’évalue pas facilement l’influence d’une telle évolution en Europe — et particulièrement en France, tête de file culturelle européenne.
Selon les compte-rendus, un millier de cars et cinq TGV ont été affrétés pour faire venir du monde de la France entière. À lui seul, un imam du Nord de la France a rempli plusieurs douzaines de cars. Et les organisateurs avaient mis au point des directives précises pour expliquer aux manifestants les attitudes à adopter en cas d’attaques par des contre-manifestants gay dont des groupes avaient déjà tenté de perturber les manifestations de novembre et décembre. Il y avait même une artiste — Frigide Barjot — à la tête des manifestants.
Le débat s’est tenu à un niveau plutôt élevé, si on compare aux normes américaines. L’Église a défendu une certaine « anthropologie » du mariage, et la réponse de certains fut que l’anthropologie elle-même reflète bien des formes de mariage (mais, et il faut le souligner, pas de « mariage gay » au sens qu’on lui donne). Dans un article publié par Le Monde, la sociologue Danièle Hervieu-Léger révèle à l’Épiscopat français son souci hypocrite : de même que l’opposition à la contraception de l’Encyclique « Humanae Vitae », l’opposition au mariage gay est « une nouvelle étape de l’extinction du catholicisme en France. »
La réalité peut être tout autre. Les évêques français ont pris soin de ne pas ouvrir un conflit de doctrine religieuse, mais il n’a échappé à personne que des catholiques — tout comme des protestants, des juifs, des musulmans, et un petit nombre d’incroyants (et même quelques homosexuels) — ont participé à la démonstration. Comme d’habitude, selon le point de vue laïque, l’état est le « défenseur de la morale laïque », qu’il a promis d’imposer à la nation, en particulier dans les écoles. Mais les croyants ont bien été vaccinés.
Il reste que ce triste épisode aura de nombreux effets néfastes, le moindre n’étant pas le principe naguère universel selon lequel les États démocratiques sont faits pour tous. Les croyants traditionnels peuvent être un peu déçus dans l’affaire, mais on verra bien que, tout comme en Amérique, un état neutre n’est pas si neutre que cela entre la foi et l’irreligion.
L’éthique d’un État moderne consiste à imposer ses vues selon les méthodes classiques de la tyrannie : surveillance, destruction des nids de résistance, et pesante propagande pour imposer son idéologie.
Deux Français sur trois sont favorables à la légalisation du mariage gay 1. Mais comme partout ailleurs, les majorités démocratiques peuvent être tout aussi tyranniques que d’autres régimes. Et en l’occurrence, le gouvernement est allé trop loin en promouvant l’adoption avec le mariage gay, ainsi que l’insémination artificielle des lesbiennes.
Il faut remarquer que ces étapes sont proposées alors qu’environ 19 000 maires et adjoints se sont élevés contre le mariage gay et l’adoption par des couples homosexuels en créant un Collectif des Maires pour l’enfance [en français, avec traduction anglaise, dans le texte]. Un père et une mère pour les enfants (pas de maman, c’est la déprime), tel est un souci fondamental en France.
À moins d’un miracle, le gouvernement de Hollande imposera sa volonté aux Français — il s’est montré inflexible face à de nombreux opposants. Mais les opposants redescendront dans l’arène. Et, « certainement » [en français dans le texte] ils ne battront pas en retraite.
Source : http://www.firstthings.com/onthesquare/2013/01/francersquos-surprising-resistance-to-gay-marriage
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La traduction de cet article était annoncé ici