Le secret avait été bien gardé. Selon le père Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, cela faisait deux ans que se négociait entre Rome et Moscou la rencontre du pape François et du patriarche Cyrille. Qu’elle ait lieu à La Havane, capitale de Cuba, ajoute à la surprise. Qui aurait pu prédire que ce serait au pays de Fidel et de la révolution castriste que se produirait un événement d’une telle nature ? Même le grand Russe prophétique qu’était Vladimir Soloviev, apôtre de la réconciliation des confessions chrétiennes, n’y aurait pas pensé. Comment ne pas songer à lui, en ce moment présent, à cet ami de Dostoïevski, à cet avocat passionné de la rencontre entre l’Occident et l’Orient chrétiens, alors que s’ouvre enfin un véritable chemin permis par ces retrouvailles ?
Certes, la longueur des discussions, ne serait-ce que pour préparer un texte que le Pape et le Patriarche signeront sur l’aéroport de La Havane, démontre à quel point les obstacles demeurent et qu’une réelle opposition subsiste dans la Russie orthodoxe face à toute perspective de conciliation avec le monde catholique. Une telle opposition s’enracine dans l’histoire, elle se trouve aujourd’hui confortée par la situation politique internationale, singulièrement le conflit ukrainien, qui lui-même, contribue à perpétuer une division que symbolise le seul nom d’uniatisme, exécré par l’orthodoxie. On sait aussi qu’en dépit de l’intérêt prodigieux que le saint pape Jean-Paul II portait à la Russie et à l’orthodoxie, le simple fait qu’il fut polonais constituait une sorte de casus belli.
Il faudra étudier sur pièce le document de La Havane pour apprécier la nature exacte du rapprochement et les possibilités ultérieures d’une coopération des Églises. Bien sûr, la question est essentiellement et même exclusivement religieuse, théologique. Mais comment ne pas penser aux enjeux politiques et civilisationnels d’une confrontation que l’on espère, de tout cœur, fraternelle ? La Russie de l’après-communisme demeure une énigme, dont la clé est largement spirituelle. L’immense pays demeure un monde en soi, dont la parenté avec l’Europe est aussi évidente que sa différence. La rencontre de François et de Cyrille pourrait bien avoir aussi des enjeux qui ne sont pas étrangers à la géopolitique et à la rencontre des civilisations. Il faudra vraiment l’assistance de l’Esprit d’unité pour qu’elle change ce qui s’apparente à la face du monde.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 8 février 2016.
Pour aller plus loin :
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- La stature politique du patriarche Cyrille Ier
- Voyage en Russie (août 2009)
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010