La monarchie suscite encore de l’amour. En dépit de l’ascension de l’homme du peuple, de l’ύβρις des masses et de la domination de la démocratie, il subsiste encore une vague et désuète nostalgie pour les palais et les princes, les empereurs, les potentats et les pontifes.
Nous aimons les cérémonies, le rituel et le romanesque. Que la vie serait ennuyeuse sans un peu d’apparat, de pompe et de faste. Mais n’y a-t-il là rien de plus que ce goût pour les grandes parades ?
J’avais vingt-trois ans quand j’ai quitté mon pays, l’Amérique, pour vivre en Angleterre. J’étais un snob en costume trois-pièces, las de la stupidité de la foule et de la médiocrité des masses. J’étais aussi affligé d’anglophilie – l’amour de tout ce qui est anglais. Ayant lu les grands écrivains, j’étais résolu à devenir un pasteur anglican de campagne comme le poète du XVIIe siècle George Herbert.
Grâce à un coup de chance et à l’aide de la divine providence j’ai pu aller étudier la théologie à Oxford, être ordonné prêtre de l’Eglise anglicane et devenir un pasteur de campagne. J’habitais un grand presbytère et j’ai même écrit des poèmes.
Pendant mon séjour en Angleterre, je me suis adapté au mode de vie anglais. J’ai pris goût au thé et je me suis habitué à l’humidité. J’ai appris à appeler un pantalon « trousers » au lieu de « pants » et un camion « lorry » au lieu de « truck ».
J’étais ravi et déconcerté par l’habitude anglaise de dire une chose en pensant exactement le contraire. Je me suis mis à aimer la campagne, ses tons verts et dorés, les villages apaisants, Kings College à Cambridge, les comédies anglaises farfelues, la nourriture bourrative, la bière tiède et la BBC. Et j’ai aussi fini par aimer la reine.
Au début, je considérais sa Majesté avec un mélange de léger amusement et de curiosité. Elle avait l’âge de ma mère et lui ressemblait un peu. Avec ses chapeaux et ses sacs à main elle réussissait à être à la fois majestueuse et très simple.
En dépit de ses palais et de ses limousines la reine semblait abordable et ordinaire. Son humanité se manifesta pleinement pendant que ses enfants contractaient des mariages désastreux. Elle observa la désintégration de la société britannique et le déclin de l’Eglise anglicane avec une espèce de détachement stoïque. Elle assumait son rôle avec dignité. Elle était toujours à son poste.
Lors de sa rencontre avec le pape François, je me rendis compte que ces deux personnages occupaient des fonctions historiques bien plus importantes qu’eux-mêmes. Le défenseur acariâtre de l’homme de la rue aurait beau jeu de grommeler : « Elle n’est que Mme Windsor et lui juste le père Bergoglio. Pour marcher ils mettent un pied devant l’autre comme nous tous ».
Oui, oui, nous le savons. Mais peut-être qu’un autre mystère plane au-dessus de Mme Windsor et de Père Bergoglio : le mystère de la monarchie.
La reine Elizabeth a toujours réussi à conserver à la fois son air royal et sa simplicité. Elle porte un foulard ou une couronne suivant l’occasion. Tous félicitent le pape d’avoir quitté le palais apostolique et d’avoir adopté un style de vie dépouillé, mais même le pape doit comprendre que la papauté le dépasse et que les traditions et l’apparat de la papauté monarchique ont bien une raison d’être.
Le successeur du prince des apôtres est l’Intendant du Roi des Rois. Il est juste qu’il habite dans un palais et se comporte en prince, de même qu’il est juste que la reine d’Angleterre voyage dans le carrosse royal, porte la couronne et l’hermine, ainsi que le sceptre et le globe lors de son couronnement et de la séance d’ouverture du parlement. A ces moments-là Mme Windsor et le père Bergoglio ne sont plus des êtres ordinaires et assument un rôle extraordinaire dans le drame de l’histoire : ils doivent le jouer.
Le rôle de monarque est ancien, riche et profond. Chaque société a une espèce de roi – une figure de proue qui est censée représenter l’identité et les idéaux de la communauté tout entière. Quand elle porte la couronne, Mme Windsor n’est pas Mme Windsor, elle incarne l’Angleterre. Quand le père Bergoglio porte la mitre, il n’est plus le père Bergoglio, il incarne le catholicisme.
En outre, le symbolisme de la monarchie est profondément gravé dans la tradition judéo-chrétienne. Le serviteur de Dieu Samuel oint le roi David, et le serviteur de Dieu Jean-Baptiste oint celui qui hérite du trône de son père David. Jésus, l’oint du Seigneur, parle du royaume à venir (et pas d’une future république) et dans les cieux, tels qu’ils sont représentés, les bienheureux entourent toujours le trône du roi d’éternelle gloire.
C’est pourquoi la monarchie est importante et que c’est une triste et superficielle innovation de la rejeter dans le but malavisé d’être « juste un type ordinaire ».
On pourrait soutenir que le mystère de la monarchie est même plus important dans un âge égalitaire et l’affection et adhésion universelles dont jouissent la reine et le pape plaident en faveur de cette thèse.
Mais il y a plus encore : le mystère de la monarchie nous rappelle que nous avons tous un rôle à jouer dans un drame plus vaste et plus mystérieux qu’on ne voit que rarement. Quand Mme Windsor et le père Bergoglio revêtent leurs habits de cérémonie et leurs couronnes et endossent leurs grands rôles, nous, les croyants, sommes amenés à nous rappeler que nous sommes aussi les fils et filles adoptifs du grand Roi des Rois. Nous sommes un peuple de prophètes, de prêtres et de rois – car princes et princesses de la cour du roi d’éternelle gloire, qui un jour reviendra chercher les siens.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/the-queen-the-pope-and-the-mystery-of-monarchy.html
Photographie. Sa Majesté et Sa Sainteté
— –
Le père Dwight Longenecker est l’auteur de nombreux ouvrages. Le dernier s’intitule The Romance of Religion – Fighting for Goodness, Truth and Beauty. Visitez son blog, parcourez ses livres et contactez-le sur dwightlongenecker.com