Au lendemain d’un événement comme celui de dimanche, les réactions sont à la mesure du choc qu’il a produit dans les esprits. Cela va de l’enthousiasme à la rage, de l’admiration à l’insulte. Il est aussi intéressant d’analyser les unes que les autres. Que l’on compare, par exemple, l’éditorial d’Alexis Brézet dans Le Figaro et celui de Nicolas Demorand dans Libération, et l’on mesure la distance qui sépare non seulement des sensibilités mais aussi des convictions intellectuelles. Pour le premier, il y aura un avant et un après la Manif pour tous. Une génération nouvelle vient « de découvrir les vertus de l’action civique, la grandeur de l’engagement politique ». C’est à un point tel qu’à droite la donne est en train de changer. C’est désormais le terrain des valeurs qui déterminera la nouvelle configuration du paysage politique.
À l’inverse, Demorand n’a pas de mots assez durs pour stigmatiser et essayer de ridiculiser un mouvement qui, d’évidence, le révulse. Mais sa rage, qui s’exprime avec les mots les plus outranciers, constitue un symptôme particulièrement remarquable d’une inquiétude. Un monsieur qui a cru voir ressurgir les fantômes du fascisme aux Invalides peut être suspect d’hallucination. Il démontre surtout son inaptitude à mesurer rationnellement la nature du phénomène qu’il ne veut même pas prendre le temps de considérer en lui-même. Pire encore. Après avoir voulu dégonfler le plus maladroitement qui soit ce qu’il appelle « la baudruche Manif pour tous », voilà ladite baudruche qui se met à gonfler de façon démesurée. Demorand s’effraie d’un gouffre qui menacerait non seulement la droite mais le pays tout entier.
Tant d’outrance peut irriter ou amuser. Elle montre la propension de tout un secteur des médias à fantasmer pour discréditer, à insulter pour déshonorer. Le procédé n’est pas nouveau. Demorand a le culot d’en appeler à la mémoire du général de Gaulle pour l’opposer à ses adversaires. Il oublie simplement que le même général fut aussi traité de fasciste par les staliniens en des temps anciens. Avec le recul, cela s’avère assez misérable. Employée aujourd’hui, l’insulte est surtout révélatrice d’un désarroi profond face à une réalité inattendue qui bouscule toutes les bien-pensances.