Comment ne pas éprouver une véritable angoisse devant la violence qui ensanglante la capitale de l’Ukraine ? Au durcissement du pouvoir, notamment à travers la promulgation de lois répressives à l’égard des manifestants, a correspondu une nouvelle mobilisation qui a tourné au drame. Trois morts suite aux ripostes des forces armées à Kiev, 200 blessés, c’est le signe d’une dégradation dont on peut craindre qu’elle n’entraîne un emballement des affrontements. Bien sûr, la solution immédiate à cette situation ne peut qu’être politique, et on espère que le gouvernement proposera une sorte d’armistice négocié avec ses opposants. Mais derrière le conflit, il y a une question de fond, historique et culturelle, qui concerne l’identité de l’Ukraine et la place qu’elle doit trouver dans l’espace européen.
À ce propos, on consultera avec profit la pétition proposée à l’initiative d’Alain Besançon et de Bernard Marchadier, qui a obtenu un grand nombre de signatures du monde de la culture. Dans un court texte d’explication, les deux promoteurs font une mise au point très éclairante sur l’appartenance de l’Ukraine à la civilisation européenne. Ce n’est pas pour nier les relations profondes de ce pays avec la Russie voisine. C’est bien à Kiev, au Xe siècle, que la Russie reçut le baptême et entra en chrétienté. Mais à cette période, il n’y avait pas eu la coupure opérée par les invasions mongoles du XIIIe siècle. Si j’ai bien compris Alain Besançon et Bernard Marchadier, l’impasse serait pour l’Ukraine de s’engager unilatéralement envers une Russie qui, elle-même, aurait choisi de vivre en dehors de l’espace européen. Plutôt que d’approfondir un schisme qui prolongerait une logique de guerre froide, il serait infiniment souhaitable que l’Ukraine entretienne ses liens vitaux avec l’Europe. Et cela dans l’intérêt d’une Russie qui, elle-même, ne serait plus en situation d’hostilité mais s’ouvrirait à la coopération avec l’Europe.
Chronique lue sur radio Notre-Dame le 23 janvier 2014.