Pour prendre la mesure du caractère catholique de la Provence, il suffit de se référer à son grand poète Frédéric Mistral – dont on ne dit pas assez qu’il est non seulement un grand poète de l’amour et un grand poète civique, mais aussi l’un des plus grands poètes catholiques de l’histoire de la littérature française.
Dans Mireille, le onzième chant est entièrement consacré à l’histoire de l’évangélisation de la Provence par Lazare et les saintes Marie de la mer. Ce chant intervient au moment où Mireille, frappée d’insolation et agonisante, a été portée sur le toit de l’église des Saintes-Maries-de-la-Mer, pour que l’air marin la guérisse. Les saintes apparaissent à Mireille et vont la faire passer de l’amour de Vincent à l’amour de Dieu.
À l’ombre des verts térébinthes
Ce chant onzième s’ouvre sur une évocation étonnante :
Et des rues apaisées ne montaient plus les grandes clameurs. Le Cédron seul se lamentait au loin ; et le Jourdain, mélancolique, allait se cacher aux solitudes, pour dégonfler ses plaintes à l’ombre des lentisques et des verts térébinthes.
Et le pauvre peuple était triste, car il voyait bien que celui-là était son Christ qui, de la tombe haussant le couvercle, à ses compagnons, à ses disciples, était revenu se montrer, et puis, laissant les clefs à Pierre, s’était comme un aiglon enlevé dans le ciel ! »
Les saintes racontent ensuite à Mireille comment elles ont pris un bateau avec Lazare et comment leur servante Sara – qui deviendra la patronne des gitans – s’est jetée à l’eau pour les rejoindre. Ils quittent ainsi tous la terre de Judée : « Adieu, adieu, terre sacrée ! Adieu, Judée vouée au malheur, qui pourchasses tes justes et crucifies ton Dieu ! Maintenant, tes vignes et tes dattes, des fauves lions seront le pâturage, et tes murailles, le repaire des hideux serpents ! Adieu patrie ! adieu, adieu ! »
Lorsque, après une tempête où ils croient mourir, la terre de Provence apparaît, ils crient tous : « Nos têtes que tu as arrachées à la tempête, jusque sous le glaive, les voici prêtes à proclamer ta loi, ô Christ ! Nous le jurons ! » À ce seul nom du Christ, la Provence frémit « comme un chien qui, sentant son maître, court au-devant de lui et lui fait fête ».
Lazare entre dans les arènes où se tient un culte à Vénus. Il harangue la foule et, au froncement de son sourcil, l’idole chancelle et se précipite du piédestal où elle se trouvait. De son côté, Marthe dompte, à Tarascon, la Tarasque qui terrorisait la population. Madeleine se recueille à la Sainte-Baume et toute la Provence se donne au nouveau Dieu.
« Race latine, fraternise sous la Croix »
Dans l’Ode à la race latine que Mistral prononça à Montpellier devant des milliers de personnes rassemblées dans les jardins du Peyrou, le poète conclut : « Raço latino, en remembranço de toun destin, sempre courous – Race latine, en souvenir de ton destin, toujours courageux – aubourote vers l’esperanço – relève-toi vers l’espérance – Afrairo-te suto la Crous – Fraternise sous la Croix. »
La Provence, terre latine et grecque, était prédestinée à devenir terre catholique, ce qu’elle sera au temps de son apogée au XIIIe siècle et à sa renaissance avec Frédéric Mistral.