FC – Hubert Debbasch, vous venez de participer, le 3 juillet, à l’ordination du nouvel évêque irakien Mgr Bashar: d’où vient votre intérêt pour l’Eglise en Irak?
Hubert Debbasch – Je suis venu à l’ordination d’un ami très cher, un homme pour lequel j’ai une immense estime. Il y a un peu plus de deux ans, j’ai souhaité visiter l’Irak pour me rendre compte par moi-même de la situation des chrétiens dans le pays. J’avais été informé régulièrement et très directement des persécutions insoutenables que subissaient les communautés chrétiennes et je me demandais si les conditions de sécurité dans le pays pouvaient me permettre d’envisager des voyages de soutien aux chrétiens d’Irak. Honnêtement, ce qui était au début un intérêt pour l’Eglise en Irak s’est rapidement transformé en une réelle passion, un amour non seulement pour les chrétiens mais aussi pour le pays lui-même et toutes les communautés qui le composent. Ce qui n’était au début qu’une visite s’est transformé rapidement en un engagement. J’ai été séduit par l’intelligence des Irakiens, par leur profondeur. A ces qualités, les nombreux chrétiens que j’ai rencontrés dans différentes régions du pays ajoutent le plus souvent une ouverture d’esprit et un humour incroyables. Ils m’ont séduit. Malgré l’exode d’un très grand nombre de chrétiens, les églises sont pleines à craquer. Tous les âges sont représentés et les jeunes ont un dynamisme inouï. Très rapidement, je me suis lié d’amitié avec un certain nombre de prêtres. Le Père Bashar fait partie de ceux-là.
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FC – Qui est ce nouvel évêque?
HD – Mgr Bashar Warda est d’abord un homme jeune puisqu’il a à peine plus de quarante ans. Il est entré chez les Frères Rédemptoristes en 1994 à la suite de la visite en Irak du supérieur de la Congrégation, ce qui l’a conduit à faire son noviciat et une partie de ses études à Dublin (Irlande). Il a aussi fréquenté une autre ville d’Europe, Louvain (Belgique) de laquelle il est revenu en 1999 avec un doctorat de théologie morale. C’est notamment cette discipline qu’il a enseignée au grand séminaire chaldéen de Dora (Bagdad) dont il est rapidement devenu supérieur. En 2006, il a entrepris une œuvre redoutable : l’exode du séminaire de Bagdad vers Erbil. La vie, à Dora, était devenue impossible pour deux raisons : les pressions permanentes des islamistes et la présence des Américains qui convoitaient le territoire du séminaire en raison de son emplacement stratégique. Le séminaire est donc parti vers Erbil, au Nord du pays, où les séminaristes et toute l’équipe d’encadrement ont vécu dans des conditions d’extrême précarité. A l’automne 2008, le séminaire saint Pierre s’est installé dans ses nouveaux locaux. Le Père Bashar a mené de main de maître un chantier gigantesque pour construire dans les meilleurs délais le nouveau séminaire et d’autres locaux au service de l’Eglise Je dis Erbil, mais pour être plus précis, je devrais parler d’Ankawa. Cette bourgade à la périphérie de la capitale du Kurdistan s’est considérablement étendue depuis quelques années et maintenant les deux villes se touchent. Ankawa est devenu le grand quartier chrétien d’Erbil, avec une population qui n’a cessé d’augmenter au fur et à mesure que les chrétiens fuyaient les endroits du pays où leur vie était en danger. Pendant toutes ces années d’épreuve, le Père Bashar a manifesté une capacité peu commune d’organisation et de gestion. D’un point de vue spirituel, il a veillé à l’ensemble des séminaristes et à chacun d’eux avec un discernement très subtil et avec une profonde humanité. Il se trouve aussi que je fréquente régulièrement la paroisse Saint Elie à Bagdad dont Bashar a été curé pendant plusieurs années. Quand vous allez dans les maisons des chrétiens, vous trouvez toujours une photo de leur ancien curé entre une photo de sainte Thérèse de Lisieux et une icône de la Vierge. Ils ne l’oublient pas et ils sont venus très nombreux de Bagdad pour assister à l’ordination, alors que ce voyage n’était ni simple ni sans danger.
FC – Quel est le message d’une telle ordination?
HD – Pendant plusieurs années, il n’y avait plus d’évêque à proprement parler à Erbil. C’était l’évêque d’Amadiye, Mgr Rabban Al-Qas, qui avait la charge de l’administration du diocèse. Cette ordination donne beaucoup d’espoir : les chrétiens qui vivent dans cette région, qu’ils en soient originaires ou qu’ils y soient arrivés par nécessité, ont un évêque. Celui-ci est jeune, brillant, humble et très dynamique. Il y a donc une espérance pour les chrétiens d’Irak et cette espérance réside dans leur pays. Je crois que le message essentiel est là. Le fait que le patriarche de Babylone des Chaldéens, Emmanuel III Delly, se soit déplacé à Erbil pour l’ordination manifestait d’une manière plus éclatante l’importance du message. Jusqu’ici, il ordonnait les évêques à Bagdad et la communauté locale les accueillait à leur retour dans un esprit de fête et d’action de grâces. Cette fois-ci, le patriarche s’étant déplacé, tout s’est concentré sur le même lieu et, malgré une chaleur extrême, des milliers de chrétiens ont vécu en direct cet événement.
FC – Qu’est-ce qui vous a le plus frappé: quel « instantané » gardez-vous en mémoire?
HD – Au moment où Mgr Bashar Warda venait d’être ordonné et où il s’est retourné pour bénir et saluer la foule, il y a eu une explosion de joie et d’émotion. Des cris de joie et de fête retentissaient et les vieilles femmes les plus fidèles n’étaient pas les dernières à lancer ces cris. Il y avait beaucoup de larmes de joie en même temps. Je me rappelle ce moment où nos regards se sont croisés avec Bashar à ce moment. J’étais en larmes et j’ai bien saisi qu’il mesurait toute l’étendue de sa mission, toute l’espérance que son ordination suscitait et tout le poids que représentait cette nouvelle étape au service de l’Eglise.
FC – Un chrétien vient d’être assassiné à Mossoul: comment évolue la sécurité des chrétiens?
HD – Puisque vous évoquez Mossoul, parlons-en. La situation est toujours aussi inextricable dans cette province de l’Irak et les chrétiens sont les premiers à en faire les frais. Leur sécurité n’est pas du tout assurée par les autorités et les chrétiens qui ne se sont pas enfuis sont en permanence menacés. S’il était nécessaire de montrer l’attachement de la plupart des chrétiens à leurs racines, il suffirait d’aller à Qaraqosh. Là, entre province de Mossul et Kurdistan, se trouvent réfugiés des milliers de chrétiens qui attendent de pouvoir retourner chez eux. Mais qui voudra, qui saura enfin donner la paix à cette province et aux chrétiens qui y vivent ?
Dans les autres régions du pays, la réponse est plus contrastée. Tout à fait au Sud, la question ne se pose si j’ose dire quasiment plus parce que les chrétiens ont tous dû partir s’ils n’ont pas été assassinés sur place. Je pense par exemple aux provinces de Bassorah et de Dhi-Qar (où se trouve Ur, la patrie d’Abraham). A Bagdad, la situation s’est nettement améliorée mais la vie des chrétiens n’est pas facile pour autant. Tout dépend aussi des quartiers : Dora reste tout aussi dangereuse pour les chrétiens alors que c’était un de leurs principaux lieux de vie. Dans les paroisses du centre-ville il y a moins de danger mais la vigilance reste de mise.
Même si l’exode des chrétiens vers l’étranger n’est pas fini, on commence à entendre parler de leur retour. J’espère vraiment que, la situation du pays s’améliorant, de nombreux chrétiens pourront revenir chez eux. La quasi-totalité des chrétiens que je fréquente en Irak ont une partie de leur famille qui s’est enfuie à l’étranger. Ils sont fiers de leur côté d’être restés et rares sont leurs proches qui ont réellement trouvé le bonheur sont exilant. Cependant, pour que les chrétiens aient vraiment envie de revenir, le pays doit encore faire ses preuves et proposer une réelle stabilité politique. De ce point de vue, il y a lieu d’être inquiet face à l’absence de formation d’un gouvernement qui réponde aux aspirations exprimées par le peuple irakien aux élections qui ont eu lieu il y a maintenant quatre mois.
FC – Quelle espérance soulève la perspective du synode d’octobre prochain à Rome?
HD – L’Irak est loin de Rome. On ne parle pas de ce synode dans les communautés et on ne connaît pas encore son existence, sauf dans quelques milieux ecclésiastiques. Je pense que ce synode est extrêmement important pour les chrétiens d’Irak et de l’ensemble du Moyen Orient. Rome n’est pas si loin que ça de l’Irak. Si ce synode porte des fruits, ce que je crois et ce que j’espère, les chrétiens d’Irak ne tarderont pas à s’en réjouir et à en bénéficier.
FC – Comment les chrétiens de l’Eglise universelle peuvent ils se montrer solidaires des chrétiens du pays d’Abraham?
HD – Je vais prêcher pour ma paroisse en vous répondant puisque j’ai fondé l’entreprise Babel Tours en Irak. Celle-ci, une entreprise de droit irakien n’employant que des Irakiens, développe le tourisme dans le pays. Parce que je crois, parce que je suis certain que la meilleure manière de manifester sa solidarité envers les chrétiens d’Irak, c’est de leur rendre visite. D’autre part, je ne pense pas que ce soit rendre service aux chrétiens de ne rendre visite qu’à eux. Ce n’est pas ce qu’ils attendent. Tout ce qui favorise le repli identitaire développe les tensions. L’Irak est un pays dans lequel les différentes confessions ont su vivre en très bonne intelligence. Il en est encore capable, il a plus que jamais besoin d’ouverture et de dialogue. La visite, les rencontres facilitent ce chemin de paix.
FC – Quels sont vos projets pour les pèlerinages en Irak?
HD – Nous proposons de célébrer les grandes fêtes liturgiques avec les chrétiens d’Irak : les prochains événements sont donc organisés au moment de Noël puis de Pâques. Mais une autre porte s’ouvre avec des diocèses et des paroisses qui nous demandent d’organiser un pèlerinage à la rencontre des chrétiens d’Irak. Enfin, notre ouverture de bureaux en avril dernier à Nasiriyah, tout près d’Ur, nous permet également désormais de proposer des circuits en Mésopotamie, la patrie d’Abraham.