Katyn ! Le tragique accident qui a coûté la vie au président Lech Kaczynski, à son épouse et à son entourage prestigieux de personnalités, se trouve symboliquement associé à un événement capital de l’histoire polonaise, à une blessure d’autant plus brûlante qu’elle fut longtemps l’objet d’une dissimulation mensongère. Le drame a lieu précisément au moment et à l’endroit où la Russie d’aujourd’hui, par l’intermédiaire de son premier ministre Vladimir Poutine, reconnaissait enfin la responsabilité soviétique dans l’assassinat en 1940 de 22 000 officiers polonais dans la forêt de Katyn. Comment ne pas voir dans cette conjonction un signe d’interrogation qui dépasse l’avenir commun de la Pologne et de la Russie pour s’identifier à la question européenne elle-même ?
À la fin du dix-neuvième siècle, le théologien Vladimir Soloviev écrivait, se plaçant du point de vue russe : « Sous sa forme immédiate, notre devoir historique se présente à nous, comme la question polonaise. » Et il posait en principe que la réconciliation des deux peuples constituait la condition même de l’unité spirituelle de l’Europe, en imaginant ses conditions pratiques. On sait que ce rêve de paix a été durablement ajourné par la révolution soviétique et, plus tard, par l’infernal pacte entre Staline et Hitler, fondé sur le dépeçage de la Pologne. Les deux systèmes totalitaires s’acharnèrent sur le malheureux peuple, avec des millions de mort. Il fallut la perestroïka de Gorbatchev, pour qu’enfin la vérité soit reconnue, une vérité qui avait du mal à se faire entendre jusque chez nous. Enfin, le grand film de Wajda est venu rendre témoignage au sacrifice des officiers polonais et Vladimir Poutine lui-même, qu’on disait pourtant réticent, a voulu, en sa personne, marquer la volonté russe de reconnaître la pleine vérité de l’histoire.
La mort du président Kaczynski ne saurait être interprétée comme un désaveu de la réconciliation. Le sacrifice de la nation polonaise peut déboucher sur un autre avenir. La transformation profonde des relations entre Varsovie et Moscou peut conduire aux retrouvailles entre les deux parties de l’Europe. N’était-ce pas le vœu de Jean-Paul II dont on célèbre aussi le cinquième anniversaire de la mort et dont la Pologne entière conserve le souvenir lumineux ? L’épreuve de tout un pays ne suscite pas seulement notre compassion, elle appelle à une volonté qui concerne tous les peuples européens. n