On pouvait attendre avec intérêt les réactions des adversaires de la « Manifestation pour tous ». J’avais noté l’absence d’éditoriaux sur le sujet lundi matin dans Le Monde et Libération. Eh bien, les réaction sont venues, notamment dans Libération, sous la forme d’une sorte d’immense plainte des homosexuels, qui se sentent blessés par cette manifestation et qui expliquent comment ils vivent très mal ce refus du mariage pour eux-mêmes. L’intervention la plus radicale est parue sur le site du Nouvel Observateur : « Oui, je suis descendue dans l’arène. Happée, j’ai foulé la piste. J’ai senti le souffle et la rage des fauves. J’ai vu des gens qui manifestaient pour dire non à l’homosexualité sous couvert d’un refus à la filiation. » Il faut sans doute comprendre : d’un refus de rupture généalogique du processus de filiation. Mais l’extraordinaire véhémence de ce témoignage nous montre à quel point ce débat est existentiel et à quel point il peut être traumatisant.
J’ai relevé aussi les paroles d’une jeune fille dans Libé, qui raconte être allée dimanche sur le Champ-de-Mars avec trois amies, en portant une banderole : « En quoi ça vous dérange ? » « Tout ce qu’on voulait, c’était nous asseoir au milieu du Champ-de-Mars. Mais les contre arrivaient en masse, on n’a pas pu. J’ai été blessée, choquée par tout ce que je voyais et ce que j’entendais. Y avait des vieux, mais aussi des jeunes. Mais eux ne nous ont pas parlé. Quand on a voulu s’approcher de l’estrade, on s’est fait virer. Je me suis sentie comme un parasite. Comme déshumanisée. » Que répondre à une telle détresse dont il est impossible de nier la sincérité ? Il faudrait pouvoir parler face à face avec cette jeune fille, pour s’expliquer mutuellement. Par ailleurs, il est vrai qu’adversaires du projet Taubira, nous n’avons nullement à considérer l’homosexualité comme un non-problème et que la raideur de certains, qui rejettent et condamnent sans guère de discernement, est préoccupante. Mais attention, à partir de cette plainte spontanée, de cette indignation qui vient du cœur, se construit tout un discours idéologique, dont les intéressés ont du mal à s’apercevoir, qu’à force de systématisme, il est non seulement caricatural mais potentiellement totalitaire. Imaginent-ils quel monde ils veulent nous fabriquer, avec la récusation des normes et des distinctions ? J’ai envie de dire : j’ai horreur d’une mentalité qui méprise et fait souffrir les homosexuels. Mais je crains aussi l’étrange utopie d’un monde où tout ce qui serait sexuellement normé serait poursuivi et sanctionné par le ministère de la police de la pensée et des nouvelles mœurs.
Chronique lue sur radio Notre-Dame le 17 janvier 2013.
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Mariage pour tous et guerre du Mali
par Dominique Decherf, ancien ambassadeur de France