Le samedi 17 août 1751, Samuel Johnson écrivait dans “The Rambler“1] « En politique on remarquera qu’aucune forme d’oppression n’est aussi pesante et durable que celle infligée par une dénaturation exorbitante des autorités légales.» On peut bien se demander : « Pourquoi donc ? Les escrocs et tyrans ne sont-ils pas certainement plus dangereux que les autorités légitimes ?
Certes non : « le voleur peut être arrêté, l’intrus peut être chassé, dès qu’on met la main dessus ; eux qui ne reconnaissent que la force comme bon droit peuvent être punis ou expulsés par la force.» Et le Dr. Johnson poursuit : « mais quand le pillage porte le nom d’impôt, et le meurtre le nom de sentence judiciaire, alors le courage est défié, et la sagesse est confondue ; la résistance faiblit, réfugiée dans la rébellion ; le coupable est à l’abri dans l’habit du magistrat.»
Ce texte perspicace du Dr. Johnson précède d’un quart de siècle la Révolution Américaine. Il est particulièrement pertinent quand l’avortement “légal“ et les pouvoirs fiscaux sont encadrés par bien peu de barrières constitutionnelles. Aucune forme d’oppression n’est plus désespérante ni plus difficile à affronter que l’autorité dévoyée. On peut s’occuper des voleurs et des intrus. Mais il en va tout autrement face à des juges, des législateurs, des dirigeants injustes. Ils sont les représentants de la loi sur laquelle nous comptons pour mener une existence de justice et de raison.
Se rebeller est détestable. Serons-nous plus sages que nos dirigeants ? Oui, les procédures de révocation, les juges suprêmes, les élections, les recours judiciaires, ont été instaurés pour remédier à de telles dérives. Un coup d’œil sur le monde entier, y-compris chez-nous, montre souvent que la corruption dans les régimes constitutionnels pourrait bien être la question politique essentielle en ce monde. En définitive, la solution réside dans la vertu, et non dans le régime politique.
Voici quelques décennies, alors que j’enseignais à l’Université de San Francisco, parut une directive de l’administration de l’université stipulant que les clubs sur le campus devraient être ouverts à tous. Je ne me rappelle pas les motifs invoqués alors. La directive fut contestée par le “Club des Philippins“. En bonne logique, il pensait qu’admettre des membres non philippins reviendrait à rebaptiser le club en “Club des Non-Philippins“. Le motif d’adhésion pour un non-philippin me dépasse, sauf peut-êtrte s’il a l’intention d’y semer la pagaille. La logique illogique d’une telle directive m’est restée en mémoire.
L’an dernier, le Club Catholique à l’Université Vanderbilt, organisme universitaire agréé sous le nom de “Vanderbilt Catholic“ a décidé de quitter son siège sur le campus et d’abandonner son titre. L’université imposait à tous les clubs universitaires une politique non-discriminatoire. N’importe qui pourrait adhérer à n’importe quel club, et s’y présenter pour y exercer des responsabilités. Il n’y a pas besoin d’avoir inventé l’eau tiède pour comprendre ce que signifie une telle politique. Un club ne pourrait plus être lui-même. Nous entrons dans l’ère de la “discrimination non-discriminatoire“.
Cette évolution à Vanderbilt, une université privée, semblerait relever du domaine privé, sauf que l’université déclare s’inspirer d’une décision de justice concernant des associations à la Faculté de Droit de l’Université de Californie. Derrière tout cela, agitation des toges de magistrats et des chapeaux de dirigeants d’académies bien soumis.
Désormais certains États pratiquent les primaires ”ouvertes”, plus besoin d’avoir la carte d’un parti pour participer à ses primaires. On voit poindre le moment où il n’y aura même plus besoin d’être Américain pour voter en Amérique. Par la doctrine de non-discrimination, plus rien ne tient debout, pas même le centre. Selon la même logique, nous pouvons tous nous affubler du titre ”Phi Beta Kappa”. [NDT : la Société ”Phi Beta Kappa” est une association cherchant à récompenser les élites dans les domaines des arts, des lettres et des sciences]. L’excellence est, par définition, discriminatoire. Tout comme n’importe quoi d’autre.
Pourtant, le bien commun ne signifie pas que tout peut devenir autre, mais que les composants de la société ont le droit et le devoir de rester ce qu’ils sont. Quand tout est noyé dans la non-discrimination, plus rien n’existe vraiment. Une association Protestante avait expulsé un de ses membres, homosexuel. La réaction de l’université fut que tout devait être accessible à tous. J’imagine que les clubs homosexuels doivent admettre chez eux des hétérosexuels. On peut alors concevoir qu’un club homosexuel voie arriver à sa tête un militant ”pro-vie”, ou vice-versa.
Si toute cette question n’était pas absurde, on pourrait laisser courir. Un président d’université imposant une règle selon laquelle n’importe quel club peut être présidé par n’importe qui est sans doute imprégné d’une philosophie toute relativiste.
Mais les différences ont leur importance. Nous avons pu jadis être ce que nous sommes, les Catholiques étant catholiques, les Juifs étant juifs. Et maintenant voici une ”loi” sur-dominante qui nous dit que nous n’avons pas le droit d’être ce que nous sommes. L’université, qui fut un lieu de respect des différences et des divers modes de vie, est désormais une machine ne tolérant rien que sa propre définition de la diversité. Diversité signifiant alors que rien n’a le droit d’être différent.
Le Dr. Johnson serait épaté de voir ce que les anciens colons ont réussi à bricoler en Amérique, et pensons que çà se passe de même dans sa Grande-Bretagne.
James V. Schall, S.J., est professeur à l’Université de Georgetown.
Illustration : le Dr Johnson peint par son ami Joshua Reynolds.
Source :
http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-heaviest-oppression.html
Pour aller plus loin :
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