«C’est en grattant la pierre et non en passant une nouvelle couche de peinture (…) que l’on restaure un édifice. De même, c’est l’homme éternel qu’il faut retrouver et émouvoir dans l’homme moderne. » Cette phrase de Gustave Thibon s’adapte parfaitement à l’immense – surhumaine ? – œuvre de restauration spirituelle entreprise par Joseph Ratzinger, devenu cardinal puis pape de la Sainte Église.
Déjà en 1958, avait révélé son biographe Peter Seewald, le jeune théologien de 31 ans décrivait à la mort du pape Pie XII un « nouveau paganisme » au sein de l’Église : « Elle n’est plus composée de païens qui sont devenus chrétiens, écrivait-il, elle est devenue une Église de païens qui se disent encore chrétiens mais qui sont devenus véritablement païens. » En bref, trop dans l’air du temps, pas assez spirituels…
Exigence de vérité
Le constat et les mots sont rudes, rugueux même, mais ils sont à la hauteur de l’enjeu. Et ils disent bien l’exigence de vérité qui guidera le défunt pape tout au long de son existence. Sans pour autant, notons-le, se départir de cette espérance surnaturelle qu’il a si bien décrite dans son encyclique Spe salvi – la plus personnelle de toutes. Ce n’était pas un décliniste.
Ainsi, il est l’un des seuls à avoir apporté une réponse argumentée et chrétienne au matérialisme athée, celui de Marx. Mais il ne se contente pas de dénoncer, avec raison, les conséquences désastreuses – des millions de morts – de cette idéologie. Il y répond sur le fond. Dans Spe salvi, il réhabilite la notion de Jugement dernier, pour démontrer que s’il est vain de vouloir instaurer le paradis sur terre, l’exigence de justice, elle, demeure. Mais qu’au final, seule la justice divine constitue une issue à la hauteur : « Au banquet éternel, les méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s’était passé », affirme-t-il.
Bien sûr, les historiens se pencheront sur les questions auxquelles il n’aura pas forcément apporté de réponse définitive : les rapports entre tradition et modernité, ou encore sa mystérieuse renonciation, lui dont les premières paroles, à peine élu sur le trône de Pierre, ont été : « Priez pour moi, afin que je ne me dérobe pas par peur des loups. »
Reste qu’il aura été une pierre milliaire – ces bornes utilisées par les Romains – sur la route du IIIe millénaire, donnant aux générations futures les armes intellectuelles et spirituelles pour affronter les défis du temps.
C’est ce que Joseph Ratzinger avait déjà exprimé, de manière prophétique, dans un livre, Foi et avenir», publié en 1971. « De la crise actuelle émergera l’Église de demain – une Église qui aura beaucoup perdu. Elle sera de taille réduite et devra quasiment repartir de zéro. (…) Mais quand les épreuves de cette période d’assainissement auront été surmontées, cette Église simplifiée et plus riche spirituellement en ressortira grandie et affermie. » En attendant que cette prophétie se réalise – ou non –, Benoît XVI aura fortement encouragé une génération de prêtres et de laïcs engagés, ce qu’il a appelé les « minorités créatives ». Il n’est pas anodin que dans son testament spirituel figurent ces mots qui sonnent comme une adjuration : « Restez fermes dans la foi ! Ne vous laissez pas déconcerter » par les tempêtes de l’histoire.
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