Les années passant, j’ai appris que la fidélité la plus fervente au Seigneur à une époque de la vie ne garantit pas une fidélité permanente. Des couples fervents, tout feu tout flamme au commencement de leur mariage catholique, peuvent se désintégrer dans d’amers divorces. Des prêtres primitivement pleins d’énergie pour servir le Seigneur à leur ordination peuvent perdre confiance dans leur vocation et quitter la prêtrise. Trop de récits décrivent des catholiques connus qui quittent l’Eglise pour une autre religion, ou pour pas de religion du tout.
Il y a à large échelle des exemples dramatiques d’une réalité que nous avons probablement vue à plus petite échelle et contre laquelle nous devons rester vigilants de peur de prendre le même chemin : que nous laissions la lumière de la foi diminuer – ou pire, s’éteindre – dans nos âmes alors que nous parcourons le pélerinage de la vie.
Comment expliquer la désintégration spirituelle plus ou moins marquée chez une personne autrefois profondément engagée dans les sacrements et la vie spirituelle ? Toutes ces grâces n’auraient-elles pas dû préserver l’âme pour le reste de sa vie jusque dans la vie éternelle ? Dans le Sermon sur la Montagne, il apparaît que Jésus a à l’esprit les âmes qui lutteront pour rester fidèles :
« Entrez pas la porte étroite ; car large est la porte et aisé le chemin qui mènent à la perdition, et ceux qui s’y engagent sont nombreux. Car étroite est la porte et ardu le chemin qui conduisent vers la vie, et peu nombreux sont ceux qui les trouvent » (Matthieu 7:13-14).
Il semblerait, contrairement aux prévisions modernistes, que Jésus prédise que peu, et non beaucoup, seront sauvés. Ce n’est pas parce qu’Il est un horrible radin égoïste gardant Son royaume pour Lui-même et quelques amis triés sur le volet. C’est parce que nous, humains déchus, préférons le chemin de moindre résistance, lequel, Notre Seigneur nous en avertit, n’est pas le chemin qui mène à Lui. Le chemin descendant semble facile puisqu’il offre les séductions tangibles et matérielles du monde et de la chair, lesquelles étouffent nos aspirations spirituelles.
Et pourtant il mène à la destruction, à la mort éternelle sans Dieu, qui, mystérieusement, ne contraint personne à suivre le meilleur chemin. Les hommes et les femmes choisissent librement pour eux-mêmes. Ou pas.
Le chemin vers le salut, au contraire, est étroit, opine saint Augustin, parce que les hommes « ne mettent pas véritablement leur confiance dans le Seigneur lorsqu’Il déclare : ‘venez à moi, vous qui peinez, et je vous donnerai le repos… car mon joug est confortable et mon fardeau léger’ ». Puisque seule une minorité portera le joug du Seigneur, la porte est étroite ; il n’est pas besoin d’une large porte pour les accueillir.
Pourtant certains qui ont tout d’abord porté avec enthousiasme le joug du Seigneur et couvert avec zèle d’innombrables kilomètres luttent finalement pour garder leur équilibre sur un chemin ardu où la porte semble se rétrécir, et non s’élargir, à chaque pas en avant. Ils commencent à chanceler et trébucher. Ils deviennent de plus en plus découragés et frustrés. Ils envisagent d’abandonner. Certains d’entre eux le font effectivement.
Pourquoi ? Certains membres de ce groupe, nous dit nettement saint Jérôme, « après avoir trouvé le chemin de la vérité, séduits pas les plaisirs du monde, désertent à mi-chemin. » D’autres ressemblent à saint Pierre marchant sur les eaux : assaillis par les épreuves de la vie, ils détournent les yeux du Seigneur durant leur marche. Pierre a sombré ; eux dévient de la route, font demi-tour et cherchent un autre chemin de traversée.
Leur détresse est un avertissement qui donne à réfléchir à ceux, peu nombreux, qui peinent pour entrer par la porte étroite à la fin de leur existence. Pérégriner sur le chemin escarpé durant 50, 60, 70, 80, 90 ans, est rébarbatif et exigeant, avec la répétition jour après jour, semaine après semaine, des mêmes actions nécessaires au succès. Si nous devons achever le voyage, nous ne pouvons y arriver tout seul. Nous aurons besoin de l’aide de Dieu, qui nous parvient grâce à une vertu dont nous entendons peu parler mais qui est si profondément nécessaire : la persévérance.
Saint Thomas d’Aquin enseigne que, alors que les vertus de foi, d’espérance et de charité ont pour but la finalité de la vie, la vertu de persévérance, un dérivé de la force d’âme, nous permet de tenir bon dans ces vertus plus hautes. Mais la persévérance comme vertu ne peut réussir sur la base des seuls efforts humains. Elle « nécessite, non seulement la grâce habituelle mais également l’aide gratuite de Dieu qui soutient l’homme dans le bien jusqu’à la fin de sa vie. »
L’explication de la persévérance par le Docteur angélique nous rappelle, non seulement que la foi est un don que nous n’avons pas mérité mais également que demeurer dans l’amour de Dieu est également un don immérité. Nous travaillons à notre salut avec crainte et tremblement en partie parce que, à tout moment, nous sommes susceptibles de nous détourner de Dieu.
Cela se passe rarement comme un acte soudain de rébellion ; d’habitude cela arrive lentement – nous négligeons la prière, succombons à de petites tentations, plaçons quelque chose du monde au-dessus des prérogatives divines. Des impulsions négatives nous détournent de Dieu peu à peu et nous centrent sur nous-mêmes. Finalement, le don de la foi que Dieu nous a donné se dessèche, se fragilise, se refroidit. Aurions-nous appelé Dieu à l’aide, il nous aurait répondu. Mais nous avons perdu patience et dilapidé Son don dans le processus.
La version de la prière du matin que j’ai mémorisé il y a des années inclut un remerciement à Dieu pour « m’avoir appelé à la foi catholique ». Elle se conclut par sept requêtes, la première étant : « accorde-moi la persévérance pour vivre ma vocation chrétienne. » Plus explicitement, surtout dans une époque sécularisée, elle pourrait s’énoncer : « accorde-moi la persévérance pour vivre la foi que Tu m’as donnée jusqu’à la fin de ma vie. » C’est seulement avec cette vertu que nous aurons la grâce d’entrer par la porte étroite. Le Carême est le moment parfait pour commencer à la demander dans la prière.