La peine capitale : Eppur non si muove - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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La peine capitale : Eppur non si muove

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La peine capitale est assimilable à un homicide en légitime défense, nous dit-on. Certains ont repoussé cette analogie, faute de l’avoir comprise. En effet, elle ne signifie pas que la société ne peut appliquer la peine capitale que lorsque c’est nécessaire pour protéger des membres de la société, mais plutôt uniquement lorsque c’est nécessaire pour protéger la société – notamment la justice dans une société donnée, l’ordre, ou tout autre composante fondamentale du bien commun.

(Remarquez que je n’ai pas écrit : « comme saint Thomas l’a enseigné », bien que son examen de la question soit très lucide. Ce que j’essaie d’expliquer n’a rien à voir avec ce qu’a dit saint Thomas à ce sujet. Il l’a fait parce que c’est la vérité. Je ne vais même pas dire « la vérité confirmée par la loi naturelle », comme si « la loi naturelle » était une autorité distincte des principes de la raison et de la conscience, en vous comme en moi).

La raison pour laquelle je peux tuer en état de légitime défense c’est que je peux à bon droit préférer ma survie à celle d’autrui. Pas que je dois la préférer. Un capucin peut préférer ne pas se défendre, en choisissant librement de s’identifier au Christ par son refus de l’autodéfense.

Mais supposez que je sois un père de famille avec dix enfants à charge : en ce cas, je suis moralement obligé de rester en vie en tuant mon agresseur. Je n’aurais pas le luxe de m’identifier au Christ en refusant de me défendre. Si l’abnégation est ce que je recherche, comme je le devrais, Dieu a déjà tracé pour moi la voie à suivre, la voie que j’ai choisie en prononçant mes vœux – en promettant d’aimer mon épouse comme le Christ a aimé l’Eglise.

Ce qui peut dépendre d’une préférence raisonnable dans mon cas, peut être obligatoire pour un représentant de la force publique. Un officier de police n’a pas à décider lui-même d’avoir recours à une arme létale pour protéger un innocent d’une agression, en cas de besoin. Il est tenu de le faire. Dieu, sa conscience et son devoir de chrétien l’y obligent.

Certainement pas un beau spectacle. Imaginez un bandit sans pitié déterminé à tuer. Un instant plus tard, il gît dans le caniveau dans une mare de sang. Qu’aurait fait le Christ ? On peut recommander aux religieux et à leurs semblables de ne pas exercer les fonctions d’agents de police.
Mais si l’homicide en état de légitime défense et la peine capitale sont analogues, alors ils suivent les mêmes courbes pour les mêmes raisons. Si l’une peut être abolie, il peut en être de même pour l’autre. Si l’une est inévitable du point de vue de la raison et de la conscience, il en va de même pour l’autre.

Il n’est pas difficile d’imaginer des circonstances dans lesquelles un agent de police peut effectivement être obligé, en toute conscience et avec juste raison, d’exécuter un malfaiteur. Vous êtes en première ligne et les déserteurs seront punis. Une loi sans sanctions n’est pas une loi. Une sanction qui ne peut pas être appliquée n’est pas une sanction.

« Si les moyens non sanglants suffisent, l’autorité s’en tiendra à ces moyens ».[Catéchisme de l’Eglise catholique, par. 2267]. Mais que faire si les moyens non sanglants ne suffisent pas ? Utiliser les moyens sanglants. Le prisonnier en régime cellulaire qui a l’occasion de tuer le médecin ou le prêtre qui lui rend visite. Le révolutionnaire qui demeure un point de ralliement. Hans Frank, Wihelm Frick, Julius Streicher, Alfred Rosenberg, Hermann Goering, Arthur Seys Inquart : pensez-vous que des moyens non sanglants suffisent pour appliquer la justice ? Vous avez le droit de professer cette opinion minoritaire, mais vous ne pouvez pas dire qu’avoir l’avis contraire soit opposé à la raison et à la conscience.

Il faut utiliser des moyens sanglants, exactement comme l’agent de police doit protéger l’innocent. Les capucins devront de préférence éviter la profession de bourreau. Le droit canon le leur interdit. Mais le bourreau laïc fait ce qui est juste et bon, bien que nécessaire.

Ce grand serviteur du bien public, Thomas More, a embrassé son bourreau, comme pour bénir son rôle : « Prends courage, homme et n’aie pas peur de remplir ton office ». Ce bourreau-là aussi ne pouvait sûrement pas se payer le luxe de se dérober : « Tu vois, j’ai le cou très court. Prends garde par conséquent de ne pas frapper de travers pour faire honnêtement ton travail ». Tels furent les dernières paroles du saint.

Mais la peine capitale comporte un élément de plus que la légitime défense : elle est nécessaire moralement plutôt que naturellement ou physiquement. Quand l’agresseur s’apprête à vous attaquer, vous êtes pris dans un engrenage infernal, et vous ne pouvez que foncer à droite pour le neutraliser et vous sauver, ou à gauche pour le laisser survivre et vous tuer. Ne pas choisir, c’est toujours choisir, contraint et forcé, en fonction de la circonstance.

Mais les crimes accomplis réclament un châtiment. Ils méritent une punition plutôt qu’ils ne la nécessitent. Ainsi, si quelqu’un s’avisait de dire que tuer en état de légitime défense est exclu, cela reviendrait à dire que préférer sa vie à celle d’autrui (quand il faut choisir) est exclu.

Mais si quelqu’un dit que la peine capitale est exclue, cela implique un certain nombre de conclusions : que l’opinion privée l’emporte sur le bien public ; que l’autorité publique est nulle et non avenue ; que la légalité survit sans sanctions ; ou même (et c’est là le point important) que la sanction ne comporte pas de châtiment.

En fait, certains s’élèvent contre la peine capitale avec des arguments qui excluraient aussi la détention, voire le concept même de sanction.

« Ce qui est juste par nature est immuable et a partout la même force », a dit Aristote il y a longtemps. Cicéron a comparé l’immutabilité de la loi naturelle avec le mouvement éternel et constant des cieux. Galilée, au contraire, a démontré avec un télescope le mouvement des astres.

Mais à notre époque, quand même les astres ne semblent pas se mouvoir, il nous faut un télescope d’un genre différent pour observer l’immuabilité de la loi naturelle – un télescope muni de la claire lentille de la raison et de la longue lunette de l’histoire, et situé dans un observatoire calme et paisible.
C’est exactement ce que nous donnent Edward Feser et Joseph Bessette dans leur dernier ouvrage, By Man Shall His Blood Be Shed, [Par l’homme verra son sang versé, Genèse, 9, 6], le dossier le plus exhaustif jamais présenté. Oui, on peut refuser de se laisser persuader en ne regardant pas dans ce télescope. Mais si on le fait, on peut clairement constater la nature immuable de la question et parodier la phrase de Galilée « Eppur non si muove ».

Samedi 4 novembre 2017

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/11/04/capital-punishment-eppur-non-si-muove/


Photographies : La Justice et son glaive [Old Bailey, Londres]. Couverture de l’ouvrage : By Man Shall His Blood Be Shed, A Catholic Defense of Capital Punishment, [Par l’homme verra son sang versé, Genèse, 9, 6] Edward Feser, Joseph M. Bessette.

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Michael Pakaluk, spécialiste d’Aristote et ordinaire de l’Académie pontificale de saint Thomas d’Aquin, est professeur à la Busch School of Business and Economics de la Catholic University of America. Il réside à Hyattsville (MD) avec sa femme Catherine, qui enseigne également à la Busch School, et leurs huit enfants.