La pauvreté de la richesse - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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La pauvreté de la richesse

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La parabole de l'homme riche et de Lazare, Bonifacio Veronese

La parabole de l'homme riche et de Lazare, Bonifacio Veronese

[galerie dell'Accademia, Venise, Italie]

Qui est le plus pitoyable dans cette parabole, l’homme riche ou Lazare ? Tout naturellement, notre cœur penche pour Lazare, le pauvre homme devant le portail, aspirant à des restes de nourriture et dont les chiens viennent lécher les ulcères (un détail attendrissant pour les actuels amoureux des chiens mais pas pour les anciens Juifs qui n’avaient pas la même affection). En fait, Richard (appelons-le ainsi) est le plus à plaindre, non seulement parce qu’il est pire de faire le mal que de le subir mais aussi à cause de ce qu’il est devenu suite à son péché. Nous devons donc évaluer l’état déplorable de Richard et le péché qui l’a amené là.

La description de Richard est brève mais éclairante : « il s’habillait de vêtements de pourpre et de lin fin et festoyait chaque jour ». Notez que nous entendons parler de vêtements luxueux et de bonne chère, mais pas d’amis ni d’invités. On ne mentionne personne d’autre. Il n’organise pas des fêtes ou des dîners. Il ne dissipe même pas sa richesse dans une vie de désordre comme quelqu’un d’autre que nous connaissons (le fils prodigue). Non, il n’y a que lui. Il y a une solitude et un isolement dans sa richesse.

L’état pitoyable de l’homme riche est révélé dans l’au-delà. De fait, ce destin est plus révélateur que punitif. Il est seul et isolé dans l’autre monde parce qu’il s’est rendu ainsi dans ce monde-ci. De son côté, Lazare est « dans le giron d’Abraham » (une meilleure traduction que le plat « à côté de lui »). Il est en communion avec un autre. L’homme riche est privé de cette communion en raison de son avidité (et non simplement comme punition de cette avidité). Il a vécu et est mort isolé des autres et entre ainsi dans l’isolement éternel.

L’isolement de l’homme riche ne nous est pas inconnu. Quand le vieux Ebeneezer Scrooge est sollicité pour des aumônes pour les pauvres, il répond : « je souhaite qu’on me laisse seul ». (NDT : allusion à « Un conte de Noël » de Charles Dickens). Son attachement à l’argent lui fait rejeter non seulement la générosité mais également la compagnie. De même, le pauvre Gollum (Le Seigneur des Anneaux), si attaché à l’anneau, fuit la compagnie des autres et passe des années au fond d’une caverne, seul avec son précieux.

L’avare est misérable parce qu’il est isolé par ses possessions. Il les veut toutes à lui et cela nécessite qu’il soit tout par lui-même. Son attachement à la richesse empêche qu’il puisse s’attacher aux autres. Les choses mêmes qu’il aime le privent de l’amour.

La cupidité place les possessions au-dessus des gens. Par sa nature même, elle nous isole les uns des autres. Nous nous habituons à posséder et à consommer, deux choses incompatibles avec des relations humaines authentiques. L’homme avide peut avoir des gens qui l’aident à gérer sa richesse ou à gagner plus, mais cela ne fait que prouver ce qui vient d’être dit. De telles personnes sont utilisées, non aimées.

Aucun péché n’est entièrement personnel. Il y a toujours une dimension sociale dans le péché parce qu’il implique toujours un repli sur soi et donc un éloignement des autres. Comme l’a exprimé Saint Jean-Paul II, « le mystère du péché est composé de cette blessure double que le pécheur ouvre en lui et dans sa relation au prochain : d’un certain point de vue, tout péché est personnel, mais d’un autre point de vue, tout péché est social dans la mesure et parce que il a également des répercussions sociales » (Reconciliatio et Penitenza).

Dans le cas de l’homme riche, la répercussion sociale est son aveuglement vis-à-vis de Lazare. Remarquez que rien dans la parabole ne dit que Richard a volé Lazare ou est de quelque manière responsable de sa pauvreté. Il ne l’a pas repoussé ni jeté dehors de sa maison. C’est là le problème. Ce n’est pas qu’il ne prend pas soin de Lazare. Il ignore qu’il existe. Ce n’est pas qu’il déteste Lazare, il ne l’a même pas remarqué.

Ainsi, l’avarice produit une indifférence aux souffrances des autres. « Malheurs aux contents de soi dans Sion » dit le prophète Amos (6:1,4-7). Il relie cette suffisance à la richesse. Cela affecte ceux qui reposent « sur des lits d’ivoire, vautrés confortablement sur leurs canapés… mangeant des agneaux pris dans le troupeau et des veaux pris à l’étable… buvant du vin directement des amphores et s’enduisant des meilleures huiles parfumées ».

Le vice de l’avarice isole les avares. Mais ce faisant il prive également les pauvres de l’attention dont ils ont besoin.

Richesse et isolement. Ces deux caractéristiques de notre culture ne sont pas sans lien. Plus nous possédons, plus nous devenons isolés et moins nous remarquons et prenons soin des pauvres. Les confinements du covid ont été planifiés et imposés par les riches, la « classe de l’ordinateur portable » comme on la nomme, ceux qui peuvent supporter de s’enfermer allègrement tout en poursuivant leur petit bonhomme de chemin. Il y avait une cruelle indifférence envers l’appauvrissement qu’un tel confinement procurerait aux pauvres. Les pancartes proclamant « nous sommes tous dans la même galère » étaient du grand n’importe quoi.

« Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent » proclamait notre Seigneur dimanche passé. Et il y a trois dimanches, il donnait un avertissement similaire : « quiconque parmi vous ne renonce pas à toutes ses possessions ne peut pas être mon disciple ». L’attachement à la richesse – si minime soit-il – empiète sur notre ouverture aux autres et nous isole. Nous devenons prisonniers de l’avidité.

Nous donnons aux pauvres parce qu’ils ont besoin de notre aide. Leurs vies en dépend. Mais nous donnons également parce que nos vies en dépendent. Quand nous donnons, nous nous débarrassons de ce qui nous appauvrit et nous nous libérons de ce qui nous isole. Nous nous rendons alors capables de voir, de connaître et d’aimer les autres.