En ce Jeudi saint, fête de la création de l’Eucharistie, du souvenir du lavement des pieds et du jardin de Gethsémani, la politique recouvrira-t-elle totalement la liturgie qui actualise les événements fondateurs du Salut ? Je posais déjà hier la question, en souhaitant vivement que la hiérarchie des ordres soit respectée. Ce n’est pas évident, mais j’ai pu, comme beaucoup d’autres, participer à la messe chrismale du diocèse où je réside en ce moment, et j’ai été témoin de la ferveur d’une assemblée qui visiblement n’était pas disposée à se laisser submerger par l’occupation de l’espace public par le seul souci civique. En même temps, je suis bien persuadé que tous les fidèles présents iraient remplir leur devoir électoral, car il leur est impossible, du fait même de leurs convictions, de se désintéresser du bien commun.
Surgit là-dessus la question des interférences de la foi et de la politique. Séparation des ordres ne signifie pas indifférence mutuelle, bien au contraire. Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ne signifie pas que la légitime autonomie du politique implique l’oubli de la loi divine. Malheureusement, certaines polémiques contemporaines n’ont pas aidé à ce que soient clarifiées les relations du spirituel et du temporel. Que le ministre de l’Intérieur se scandalise que l’on puisse mettre la loi de Dieu au-dessus de la loi de la République n’aidera pas les musulmans français à admettre l’autonomie du politique mis en concurrence avec l’ordre religieux.
Sans doute y a-t-il une difficulté propre à l’islam dans ce domaine, mais il serait beaucoup plus judicieux de faire comprendre que la législation nécessaire au bon ordre de la cité et de la fraternité des citoyens n’est nullement contradictoire, en soi, avec les commandements divins. Sans doute y a-t-il parfois, et même souvent, en ce qui concerne la bioéthique et le sociétal, des conflits très sérieux qui peuvent aller jusqu’au désaccord absolu. Mais alors la contradiction évidente est significative de l’abîme de la liberté devant les plus graves enjeux. Il y a des moments où le face-à-face de Jésus et de Pilate impose l’évidence d’un autre royaume qui n’est pas d’ici-bas et qui invite le royaume d’ici-bas à s’ouvrir à une autre perspective.