LA NUIT DES TEMPS - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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LA NUIT DES TEMPS

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Grande Vallée du Rift, Nord de la Tanzanie.

Grande Vallée du Rift, Nord de la Tanzanie.

CC by-sa : Clem23

Depuis plus d’un demi-siècle, les paléontologistes déterrent en Afrique Équatoriale, parmi les falaises et les vallonnements de la vallée du Rift où sont les Grands Lacs, des ossements qu’ils classent de leur mieux selon les règles de l’anatomie comparée. Certains de ces vieux squelettes ressemblent en tous points à celui de l’homme, sauf sur un « détail » que l’on peut, c’est le cas de le dire, qualifier de capital : leur tête n’est pas humaine. Leur crâne correspond à un cerveau deux fois plus petit que le nôtre, égal à celui des grands singes actuels, gorilles et chimpanzés. Non seulement il est petit, mais il est ordonné différemment : le cortex antérieur est très réduit. Grossièrement, on peut dire que ces êtres avaient un corps d’homme et une tête de grand singe. Ces découvertes ont donné lieu, surtout dans les pays anglo-saxons, à des querelles qu’on aurait pu croire dépassées, fondées sur l’idée qu’elles étaient « en contradiction avec les enseignements de l’Écriture ». Contradiction (prétendue) qui, selon les uns « réfutait les vieilles superstitions » et, selon les autres « démontrait les arrière-pensées diaboliques des savants », voire le « caractère diabolique » de la science elle-même, « ennemie de la religion ». A priori, on se demande comment la lente exploration de l’œuvre divine par les savants pourrait contredire la religion. J’ai exprimé plusieurs fois l’idée que l’étude de la Création était au contraire comme une deuxième révélation, très différente bien entendue puisqu’abandonnée à l’esprit critique de l’homme1. Mais voyons plutôt ce que dit la Genèse et comment elle pourrait être contredite par la science. La science actuelle (voir le Discours de la Méthode de Descartes, son père fondateur) a pour objet les phénomènes qui se produisent dans le temps et l’espace. Et c’est un fait que toutes les équations de la physique se ramènent à des formules où se trouvent les quatre lettres, x, y, z (coordonnées spatiales) et t (le temps), plus des nombres, c’est-à-dire des mesures et des fonctions impliquant le temps et l’espace2. La physique n’est certes pas la seule science, mais toutes les sciences visent à imiter la physique parce qu’elles ambitionnent de fournir des résultats mesurables, et l’on ne peut mesurer que ce qui existe dans le temps et l’espace (entre parenthèses Descartes lui-même avait averti que la mesure excluait par nature ce qui n’est pas dans l’espace et le temps, c’est-à-dire l’âme, sujet de son cogito, et Dieu)3. Cette méthode peut-elle entrer en contradiction avec l’Écriture ? Ceux qui le croient (pour s’en réjouir ou le regretter) s’engagent dans des spéculations plutôt surprenantes. En effet. Genèse, III, 8 : « Alors ils entendirent la voix de l’Éternel Dieu qui se promenait dans le jardin vers le soir, et l’homme et la femme se cachèrent loin de la face de l’Éternel Dieu, au milieu des arbres du jardin ». Dire que la science peut réfuter l’Écriture, c’est affirmer que des savants, observant de loin cette scène, auraient pu calculer au théodolite, moyennant quelques équations de trigonométrie, la hauteur, la largeur et l’épaisseur du Seigneur Dieu, et avec leurs autres instruments mesurer sa température, le spectre de ses couleurs, sa vitesse, etc. Je doute que quiconque oserait imaginer telle bourde, croyant ou non4. Que veut donc nous dire l’Écriture ? Certainement quelque chose qui ne relève pas de la science. Croire à l’Écriture, ce n’est certainement pas croire qu’on peut mesurer Dieu avec des instruments. Ni le Seigneur Dieu, ni rien de ce que nous disent les Textes sacrés, qui nous instruisent sur la nature spirituelle de l’homme, le péché originel et tout l’enseignement religieux. Rien de tout cela ne peut se ramener à x, y, z et t, j’ajouterai Dieu merci. Souvent, le soir, j’écoute les Variations Goldberg de J.-S. Bach enregistrées par Glenn Gould en 1981, et chaque fois je pense qu’on n’a jamais fait rien de si beau que ces variations vieilles de presque trois siècles, ni mieux joué que Glenn Gould. Mais qui pourrait citer un savant du début du XVIIIe siècle, ou du moins qui lit encore les savants de cette époque ? Même les publications scientifiques de 1981 ne sont plus guère lues. La science, c’est ce qui progresse et change, comme Cocteau disait de la mode que c’est ce qui se démode. Si l’Écriture nous disait ce qu’il y a dans la science de 1991, l’Écriture serait dépassée dans dix ans5. Galilée, grand savant très orgueilleux6, prétendait trouver dans les Écritures des confirmations de ses découvertes. S’il avait eu raison, il aurait fallu réviser l’Écriture quand Newton, Poincaré, Einstein furent obligés de réviser Galilée. L’Écriture nous dit que Dieu fit l’homme à son image et ressemblance. L’image est ressemblance de Dieu, ce ne sont certainement pas les mains et les pieds de l’homme, ni son cerveau. C’est plutôt, me semble-t-il, ce qui dans l’homme mortel appartient au monde de la grâce, qui ne passe pas avec les ans selon les inexorables lois de x, y, z et t, qui ne meurt pas avec la mort. Il y a presque quatre millions d’années, un volcan de la région des Grands Lacs qui maintenant s’appelle Laetoli explosa, projetant dans l’atmosphère humide de l’équateur des milliards de tonnes de cendres. Il y avait dans cette région d’innombrables créatures de toutes sortes, des insectes, des oiseaux, des mammifères. L’atmosphère saturée de vapeur fut propulsée en altitude, produisant un énorme refroidissement de l’air. La vapeur se condensa en nuages et la pluie déposa sur toutes choses une épaisse couche de boue. Tout ce qui vivait encore s’enfuit dans les ténèbres, essayant d’échapper à la mort. La boue eut le temps de sécher et le volcan explosa une deuxième fois. Plus rien ne vivait dans le désastre, mais la boue cette fois se posa sur les empreintes des fuyards et les figea à jamais7. Le temps passa. L’homme apparut, inventa la géologie et fouilla les vestiges de l’antique cataclysme. Sous la couche extérieure apparurent les empreintes. Et parmi ces empreintes, la plus troublante : celle de pieds humains. Humains, mais petits. Une double piste, celle d’un adulte courant en pataugeant et une autre, peut-être d’un enfant. L’adulte ne pesait guère plus de vingt kilos. Comme je l’ai dit, l’homme n’apparut que bien plus tard. Mais ces deux pistes sont déjà celles de créatures marchant debout, laissant des traces semblables aux nôtres. « Quelque chose » marchait et courait comme nous en Afrique il y a quatre millions d’années. Quelque chose ou quelqu’un ? Les paléontologistes n’ont jusqu’ici trouvé aucune trace d’outil remontant si loin. L’outil serait le témoin de la pensée8. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de chercher dans les Écritures la trace qui peut-être attend encore la pioche des savants. De toute façon cela ne changera rien à mon être spirituel, à mes devoirs, à ma destinée. Mais enfin derrière ces mots, n’y a-t-il pas l’idée de l’évolution ? Et Darwin n’a-t-il pas été réfuté par Michael Denton et d’autres savants ?9 Ces questions, qui m’ont été posées par un certain nombre de lecteurs à la suite de mon dernier article sur les fossiles humains10, sont certainement très intéressantes et dignes de réflexion, mais aussi certainement ne touchent en rien à l’enseignement des Écritures. Il est moins astreignant de scruter toute sa vie l’Apocalypse pour vainement y chercher, comme fit Newton, une suite à ses théories11, que de vivre en observant les Dix Commandements. Croire aux Écritures n’est pas croire à telle ou telle théorie toujours révisable. Il y a dans le récit de la faute originelle une vérité qui n’est pas de celles qu’une nouvelle découverte vérifie ou réfute. La présence du mal dans le monde n’est que trop mesurable. On n’a pas besoin d’un instrument pour la connaître. Si l’on ne savait que par la science on ne saurait rien de l’image de Dieu. Cette image ne peut être déterrée par une pioche. Laetoli paraît bien lointain. Mais cette suite des temps est un vertige tout humain, semblable au ciel d’une nuit d’été. Comment échapperait-on au vertige en scrutant la création divine ?[Le ciel d’une nuit d’été donne l’image la plus immédiatement accessible à nos sens de la vertigineuse grandeur de l’univers. Mais c’est l’activité scientifique qui en donne l’image la plus complète car elle retrouve cette grandeur dans tous les domaines : l’espace, le temps, la complexité, mais avec l’inconvénient qu’elle exige un effort d’abstraction. Il existe cependant diverses aides pour suppléer à notre imagination toujours défaillante. Si on s’en tient à l’espace, le recours à l’image est relativement aisé, comme on pourra l’apprécier avec l’animation présentée par le site https://www.youtube.com/watch?v=CBOD7zg4zpA, ou les images du livre Les puissances de dix. Les ordres de grandeur dans l’univers de P. et P. Morrison, C. et R. Eames (Pour la science Belin, 1984). Ce dernier ouvrage a l’avantage d’être plus complet et systématique dans sa représentation, puisque le passage d’une illustration à l’autre se fait toujours de la même façon : par une division de la taille de l’image par dix. L’étendue presque complète de l’univers connu se trouve ainsi représenté en 42 illustrations. Le lecteur voyage en 13 pages de l’échelle 1025 mètres (un milliard d’années-lumière), où l’univers apparait comme une fine poussière de galaxies éparses dans le vide cosmique, à l’échelle 1013 mètres (100 milliards de kilomètres), qui est celle des planètes du système solaire. Les 13 images suivantes le conduisent à l’échelle du mètre, celle de notre corps et des objets quotidiens. Enfin, les treize images suivantes le font descendre au niveau du noyau atomique (10−13 mètre, soit 0,1 picomètre). Les deux dernières images sont censées représenter les protons, les neutrons et les quarks, mais ce ne sont que des schémas symboliques. Cette échelle des tailles peut être aussi lue comme une échelle des temps puisque celle-ci s’étend de plus de 1015 s, qui est la durée de l’univers, à moins de 10−21 s, période des rayons électromagnétiques émis par les noyaux atomiques.]] Si la pensée de l’immensité où nous nous interrogeons n’était pas vertigineuse et même angoissante, si elle était proportionnée à notre faiblesse, ce serait bien décourageant12. « Avant qu’Abraham fût, Je suis »13. Et bien avant Laetoli l’Éternel Dieu déjà se promenait dans son Jardin où la vie, depuis le cinquième jour, foisonnait. Aimé MICHE Chronique n° 487 – F.C. – N° 2317 – 26 juillet 1991 Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 16 mars 2020

 

  1. Sur la « seconde révélation » et le « sixième évangile », Aimé Michel écrit ailleurs : « J’appelle parfois la science notre sixième Évangile (le cinquième étant la Tradition), puisqu’elle étudie la Pensée Divine réalisée dans la Création. C’est une boutade : la science ne nous apprend rien sur nos devoirs. Mais elle ne cesse d’en créer de nouveaux, de mettre à l’épreuve, et parfois de faciliter notre obéissance à la loi d’amour. » (Chronique n° 409 de décembre 1985). Cette conception était déjà celle de Galilée lorsqu’il écrivait : « L’Écriture Sainte et la nature viennent toutes les deux de la parole divine : l’une a été inspirée par l’Esprit Saint, et l’autre exécute fidèlement les lois établies par Dieu. » (Voir le début et la suite en note 4 ci-dessous).
  2. En fait, les deux grandeurs mentionnées par Aimé Michel, à savoir la longueur (fondement du repère cartésien x, y, z) et la durée (t), doivent être complétées par cinq autres qui sont : la masse, l’intensité du courant électrique, la température, la quantité de matière et l’intensité lumineuse. Ces sept grandeurs sont mesurées par sept unités (mètre, seconde, kilogramme, ampère, kelvin, mole et candela) qui forment la base du Système international ; à partir d’elles sont obtenues toutes les autres unités, dites dérivées. Ces unités de base ont été définies à partir de sept constantes fondamentales : une certaine fréquence de l’atome de césium 133 (d’où on déduit l’unité de temps, la seconde), la vitesse de la lumière dans le vide c (d’où on déduit le mètre), la constante de Planck h (d’où on déduit le kilogramme), la charge élémentaire e (d’où on déduit l’ampère), la constante de Boltzmann k (d’où on déduit le kelvin), la constante d’Avogadro (d’où on déduit la mole) et l’efficacité lumineuse d’un certain rayonnement monochromatique (d’où on déduit la candela) (sur ces constantes, voir les n° 417 et 420). La valeur numérique des sept constantes fondamentales a été fixée par une conférence internationale qui s’est tenue à Versailles en novembre 2018 et le Système international ainsi réformé est entré en vigueur le 20 mai 2019.
  3. Voici la définition de Descartes : « L’âme est d’une nature qui n’a aucun rapport à l’étendue ni aux dimensions ou autres propriétés de la matière dont le corps est composé » (Passions de l’âme, I, art. 30). Le mot « âme », nous apprend André Lalande dans l’article « Âme » de son Vocabulaire technique et critique de la philosophie (P.U.F.), « implique toujours une dualité de nature et de fins, une opposition, au moins provisoire, avec l’idée du corps » et « a même le plus souvent, chez les modernes, une nuance religieuse » par suite de son association à l’idée d’immortalité et à l’idée de Dieu (pour un commentaire d’A. Michel, voir n° 475, La fleur). On n’est donc pas surpris que le mot « âme » ne soit plus utilisé, ni par les scientifiques ni par les philosophes. Ce qui est plus surprenant c’est qu’il est également banni des églises depuis au moins les années 60. Jean Fourastié y voit « l’un des traits majeurs des réformes catholiques d’aujourd’hui », qui vient parachever la totale perte de crédibilité au regard de la grande majorité des hommes d’aujourd’hui, et, « ce qui est beaucoup plus grave », au regard de la grande majorité des scientifiques, de l’existence et de la survie de l’âme, ainsi d’ailleurs que de la résurrection des corps à la fin des temps (Le long chemin des hommes, Laffont, Paris, 1976, p. 254 ; bien entendu, Fourastié n’appartient pas à cette majorité).
  4. L’argument présenté ici par Aimé Michel est classique. Il est utilisé par Galilée dans une lettre adressée au père Castelli datée du 21 décembre 1613, dont j’ai déjà extrait la phrase citée en note 1. En voici de plus longs extraits : « La sainte Écriture ne peut ni mentir ni se tromper. La vérité de ses paroles est absolue et inattaquable. Mais ceux qui l’expliquent et l’interprètent peuvent se tromper de bien des manières, et l’on commettrait de funestes et nombreuses erreurs si l’on voulait toujours s’en tenir au sens littéral des mots : on aboutirait, en effet, à des contradictions grossières, à des erreurs, à des doctrines impies, puisqu’on serait forcé de dire que Dieu à des pieds, des mains, des yeux, etc. » Un peu plus loin, il poursuit : « Dans les questions de sciences naturelles, l’Écriture Sainte devrait occuper la dernière place. L’Écriture Sainte et la nature viennent toutes les deux de la parole divine : l’une a été inspirée par l’Esprit Saint, et l’autre exécute fidèlement les lois établies par Dieu. Mais, pendant que la Bible, s’accommodant à l’intelligence du commun des hommes, parle en bien des cas et avec raison, d’après les apparences, et emploie des termes qui ne sont point destinés à exprimer la vérité absolue, la nature se conforme rigoureusement et invariablement aux lois qui lui ont été données ; on ne peut pas, en faisant appel à des textes de l’Écriture Sainte, révoquer en doute un résultat manifeste acquis par de mûres observations ou par des preuves suffisantes (…) » « [L]e Saint-Esprit n’a point voulu nous apprendre si le ciel est en mouvement ou immobile, s’il a la forme de la sphère ou celle du disque ; qui, de la Terre ou du Soleil, se meut ou reste au repos. (…) Puisque l’Esprit-Saint a omis à dessein de nous instruire des choses de ce genre, parce que cela ne convenait point à son but qui est le salut de nos âmes, comment peut-on maintenant prétendre qu’il est nécessaire de soutenir en ces matières telle ou telle opinion, que l’une est de foi et l’autre une erreur ? » (Cité par Georges Minois, L’Église et la science. Histoire d’un malentendu, Fayard, Paris, tome 1, p. 388). Deux ans plus tard, dans une lettre célèbre adressée à Christine de Lorraine, grande duchesse de Toscane, Galilée précise sa position par la non moins célèbre formule : « Dans les Écritures, l’intention du Saint-Esprit est de nous enseigner comment on va au ciel et non comment va le ciel ». Ce qu’on sait moins c’est que cette formule n’est pas de lui, mais de Cesare Baronio, un cardinal mort en odeur de sainteté, qui s’est lui-même inspiré de saint Augustin : « Spiritus Dei noluisse ista docere homines nulli saluti profutura » (L’Esprit de Dieu n’a pas voulu enseigner aux hommes des choses qui seraient sans utilité pour leur salut). Galilée ne s’en cache d’ailleurs pas qui cite un long passage de saint Augustin qui se termine par la formule latine que je viens d’écrire, avant de poursuivre : « Il est clair, d’après un homme d’Église qui a été élevé à un poste très éminent, que l’intention du Saint-Esprit, etc. » (suit la fameuse formule précédente). On admet que cette remarque a été faite par Baronio lors d’une conversation avec Galilée et que ce dernier souhaitait que cela se sache. « S’il n’existe pas de preuves documentaires de cette attribution, elle est néanmoins unanimement acceptée et en parfait accord avec la pensée de ce membre bien connu de l’Oratoire. » (https://www.oratoriosanfilippo.org/galileo-baronio.pdf). Preuve s’il en était besoin que cette saine conception était depuis longtemps acquise par de nombreux esprits. Il faut croire, néanmoins, qu’ils étaient minoritaires puisqu’il faudra attendre une encyclique de Léon XIII en 1893 pour que ces vues exégétiques soient officiellement reconnues. Le père Dubarle dans la conclusion d’un article à ce sujet, présente Galilée comme précurseur de cette encyclique et même « docteur de l’Église in petto, dont la doctrine, lucidement exposée en une heure de confusion des esprits, est devenue ensuite le bien commun anonyme, la certitude qui va de soi » (Rev. sci. philo. théo., 50 : 67-87, 1966). Il est heureusement révolu le temps où certains tiraient arguments de la parole de Jésus « votre Père fait lever son Soleil sur les méchants et sur les bons » pour récuser l’héliocentrisme. Maintenant le simplisme semble avoir changé de camp. Tel verra en Josué arrêtant la course du soleil la preuve que la Bible est un tissu d’ineptie. Tel autre objectera sans rire qu’il faudrait, à la vitesse de la lumière, plus de douze milliards d’années aux âmes des défunts pour rejoindre le paradis (supposé extérieur à l’univers), ce qui démontre l’impossibilité et de l’âme et du paradis (Claude Allègre dans Dieu face à la science, Fayard, Paris, 1997). Tel autre encore, à l’instar de Christian de Duve (1917-2013), prix Nobel de biologie aux ouvrages très estimables par ailleurs, affirmera que « plusieurs enseignements de la religion [chrétienne] sont inconciliables avec les découvertes de la biologie moderne » (dans À l’écoute du vivant, Odile Jacob, Paris, 2002, p. 344 ; voir note 8 de n° 401, La visite nocturne). Passons.
  5. « Si l’Écriture nous disait ce qu’il y a dans la science d’aujourd’hui, l’Écriture serait dépassée dans dix ans » : l’argument est développé dans la chronique n° 287, Le pithécanthrope et le jardin – La Révélation est forcément un mystère sinon elle serait dépassée dans vingt ans (septembre 1977). Non seulement les connaissances de l’homme sont limitées mais ses capacités cognitives le sont également ; à ce propos voir entre autres les n° 78, L’ascèse au laboratoire – De l’expérience scientifique à l’expérience intérieure ; n° 160, La science et le mystère – Rousseau, Gödel et saint Vincent de Paul ; n° 298, La Bible confrontée aux affirmations de la science – Refuser un Dieu plat, glissé sous la porte de Freud et de Marx.
  6. L’orgueil de Galilée est patent quand il écrit dans son livre L’Essayeur (1623) : « Vous n’y pouvez rien, monsieur Sarsi, il a été donné à moi seul de découvrir tous les nouveaux phénomènes du ciel, et rien aux autres. Telle est la vérité, que ni la malice ni l’envie ne peuvent étouffer ». Dans son essai classique Les somnambules, Koestler, qui cite ce passage, relève aussi chez Galilée la « présomption glaciale, sarcastique qui toute sa vie, lui aliéna les sympathies » (p. 419), ainsi que « la vanité, la jalousie, l’orgueil, unis à une force démoniaque qui faillit le jeter au suicide. Il était parfaitement dénué des tendances mystiques, contemplatives, dans lesquelles les passions peuvent parfois se sublimer ; il était incapable de se dépasser et de se réfugier, comme Kepler à ses heures les plus sombres, dans le mystère cosmique. Il n’avait rien de médiéval ; il était totalement, terriblement, moderne. » (p. 429). Il n’y aurait rien là que de très banal chez un grand savant si ces traits de caractère n’avaient aggravé un conflit lié à des circonstances particulières, qui n’avait rien d’inévitable, qui n’était pas « une sorte de tragédie grecque, un combat singulier entre la “foi aveugle” et les “lumières de la raison” » (p. 504), mais qui a ouvert une plaie difficile à cicatriser entre science et religion.
  7. Aimé Michel a été « profondément ému » par ces empreintes de pas de Laetoli qu’il a fait connaitre au début de 1978, alors qu’elles n’étaient pas encore entièrement dégagées, peu de temps après qu’elles eurent été rendues publiques (n° 308, Celui qui fuyait sous les cendres). Datées de 3,66 millions d’années (Ma), ce sont les plus anciennes empreintes de pas d’homininés connues. Découvertes en 1976 par l’équipe de Mary Leakey (1913-1996), elles sont attribuées à des australopithèques de la même espèce que la fameuse Lucie (Australopithecus afarensis) mais les spécialistes ne s’accordent ni sur le nombre d’individus qui les ont laissées (de un à trois), ni sur la nature de leur bipédie (occasionnelle ou permanente), voir note 4 de n° 308. Néanmoins, le pied ayant laissé ces empreintes est proche du nôtre, notamment parce que l’allux (le gros doigt de pied) n’est pas opposable aux autres orteils, mais parallèle. L’interprétation de ces empreintes a été renouvelée par la découverte, en 2015 par une équipe de chercheurs italiens et tanzaniens, d’une autre piste à 150 m de la précédente (https://elifesciences.org/articles/19568). L’une des quatorze empreintes nouvelles a été laissée par un australopithèque « normal » (entre 25 et 38 kg), mais les treize autres l’ont été par un pied de 26 cm (3,5 cm de plus) appartenant à un individu d’une taille de 1,65 ± 0,10 m et d’une masse comprise entre 41 et 48 kg. Selon les auteurs, elles révèlent un dimorphisme sexuel, comme chez les gorilles actuels. Ceci les conduit à envisager un scénario où cinq individus, un grand mâle accompagné de deux ou trois femelles et d’un ou deux enfants, auraient marché au même moment, dans la même direction et à la même vitesse modérée.
  8. Pendant longtemps on a cru, suite à la découverte d’Homo habilis en 1964, que les outils de pierre à arête tranchante étaient liés à l’émergence du genre Homo vers 2,3-2.4 Ma, jusqu’à ce qu’on trouve sur le site de Gona en Éthiopie (et en Inde, voir note 3 de n° 363) des outils datés de de 2,6 Ma, c’est-à-dire 200 ou 300 mille ans avant cette émergence. En 2011-2012, Sonia Harmand du CNRS et son équipe découvraient près du lac Turkana au Kenya, dans un site nommé Lomekwi 3, des outils taillés il y a 3,3 millions d’années (Nature, 521: 310-315, 2015), c’est-à-dire un demi-million d’années avant le plus ancien reste fossile attribué actuellement au genre Homo (une mandibule partielle de 2,8 Ma trouvée en Éthiopie, mais d’attribution encore discutée). Ces découvertes suggèrent que les premiers outils taillés ne l’ont pas été par des hommes mais par une autre espèce. Selon Sonia Harmand, la seule espèce d’homininé connue dans cette région à cette époque est Kenyanthropus platyops (« homme à face plate du Kenya »), mais on pourrait aussi penser à un australopithèque comme Australopithecus afarensis ou encore Australopithecus garhi. Les 149 outils trouvés à Lomekwi définissent la première culture matérielle actuellement connue, nommée Lomekwien. La reproduction expérimentale de certains de ces outils montre que les mouvements du bras et de la main nécessaires pour les produire sont plus proche de ceux utilisés par les chimpanzés pour casser des noix entre marteau et enclume que de ceux, plus précis, utilisés dans les cultures ultérieures. La seconde culture, l’Oldowayen (d’après le site éponyme, Olduvai en Tanzanie), produit des galets aménagés et des éclats tranchants plus élaborés qu’on trouve pendant plus d’un million d’années, de -2,6 à -1,5 Ma. Par exemple, dans une formation datée de 2,5 Ma, on a trouvé près de restes fossile d’un australopithèque (Australopithecus garhi), des outils de pierre, ainsi que des os portant des traces de découpes et de percussion. À cette industrie oldowayenne fait suite l’industrie acheuléenne (dont les premiers exemplaires ont été découverts à Saint-Acheul, un quartier d’Amiens, par Boucher de Perthes, voir n° 265 et 424), caractérisée par la fabrication de bifaces tranchants. Cette industrie apparait il y a environ 1,7 Ma et se poursuit jusqu’à il y a 200 000 ans. Comme les traces probantes les plus anciennes d’Homo erectus datent de 1,7 Ma, il est tentant de spéculer que l’Acheuléen est lié à l’apparition d’H. erectus. Au cours cette longue période de 1,5 Ma, la technique a beaucoup évolué, de rudimentaire à très raffinée, produisant des outils irréguliers au début et des bifaces très symétriques à la fin (note 5 de n° 384). Les chercheurs ont appris à refaire ces bifaces (note 4 de n° 356), ce qui leur a permis de montrer que les hominidés partaient, non de galets (comme leurs prédécesseurs oldowayens) mais de gros blocs d’où ils faisaient sauter de grands éclats (30 cm, qu’on a retrouvé) à partir de lourds percuteurs (également retrouvés). C’est aussi à H. erectus que l’on attribue la domestication du feu, il y a 400 000 ans, bien que des traces de combustion soient bien antérieures, indiquant une certaine familiarité de l’homme et du feu dès 800 000 ans au moins. Ces trois industries, lomekwienne, oldowayenne et acheuléenne, successives et en partie chevauchantes, forment le paléolithique inférieur, auquel succèdent les paléolithiques moyen (Moustérien en Europe, associé à l’homme de Neandertal) et supérieur.
  9. Aimé Michel m’avait signalé ce livre du biologiste moléculaire d’origine australienne Michael Denton peu après sa parution en langue anglaise en 1985 (il fut plus tard traduit en français sous le titre Évolution : une théorie en crise, Flammarion, 1992). C’est une synthèse argumentée des difficultés diverses que rencontre la théorie darwinienne en anatomie comparée, en paléontologie et en biologie moléculaire. L’idée selon laquelle l’évolution biologique résulte d’une sélection fondée sur un processus aléatoire présente, il faut l’admettre, des difficultés. Comme l’écrit Denton : « Le problème essentiel avec cette conception de l’évolution comme “loterie géante” est que toute l’expérience enseigne que rechercher des solutions par des procédures de recherche purement aléatoires est inefficace au-delà de tout espoir » (p. 308). Il n’est pas faux que « le vingtième siècle serait incompréhensible sans la révolution darwinienne », que « cette vision de la nature plus que toute autre est responsable de la perspective agnostique et sceptique du vingtième siècle » et que « l’influence de la théorie de l’évolution sur des domaines très éloignés de la biologie est l’un des exemples les plus spectaculaires en histoire de la manière dont une idée hautement spéculative pour laquelle il n’y a pas réellement de preuve scientifique solide peut en venir à façonner la pensée de toute une société et à dominer la perspective d’une époque. » (p. 358). Pour autant ce livre m’a déçu sinon déplu en raison de son ambiguïté sur la réalité de l’évolution elle-même, c’est-à-dire de la transformation des espèces au cours du temps, et de sa critique excessive de la pensée évolutionniste elle-même. En ce sens, il peut entretenir les lecteurs les moins informés de la démarche scientifique dans les illusions du créationnisme bête, c’est-à-dire d’une solution des problèmes reposant sur je ne sais quel Dieu bouche-trou qui viendrait par des coups de sa baguette magique assurer la marche en avant de l’évolution. Comme l’écrit le paléontologiste Pascal Tassy dans sa critique de l’ouvrage : « Les assauts les plus caricaturaux sont peut-être les meilleurs garants de la pérennité du néo-darwinisme dans ce qu’il a de plus dogmatique » (Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, 1: 154-157, 1989) ; on ne peut que le regretter. (Je préfère l’ouvrage ultérieur de Denton, La longue chaine des coïncidences, traduit en français sous le titre L’évolution a-t-elle un sens ?, Fayard, Paris, 1997, qui présente la vie comme « un programme se déroulant dans un milieu qui semble avoir été idéalement aménagé pour cela », mettant ainsi à jour les idées du biochimiste Henderson, voir note 10 de n° 424).
  10. Il s’agit du n° 485, Avant la naissance de l’homme – Ce n’est pas dans la Bible qu’il faut chercher les origines biologiques de l’homme ; publié fin juillet 1991.
  11. Une des dates les plus mémorables de l’histoire des sciences est 1687, celle où, à 45 ans, Newton (1642-1727) publie son œuvre maitresse, les Principia mathematica. Il y énonce les trois lois du mouvement (principe d’inertie, proportionnalité de la force et de l’accélération, égalité entre action et réaction) et en déduit de multiples conséquences, proposant une extraordinaire synthèse des connaissances de l’époque et fondant la « physique classique » que développeront ses successeurs. Ce n’est d’ailleurs pas son seul apport, puisque, plus jeune, il avait révélé par son expérience du prisme que la lumière blanche peut être décomposée (1672). Mais on a longtemps ignoré que Newton s’est également passionné toute sa vie pour la théologie, l’alchimie, la mystique et l’ésotérisme en général. À la veille de mourir, il brûla ses papiers personnels mais épargna les manuscrits qu’il n’avait pas voulu publier de son vivant. Au fil du temps, ses héritiers publièrent les articles scientifiques mais le reste fut gardé secret, jusqu’à la mise en vente de l’ensemble en 1936. Le célèbre économiste John Maynard Keynes découvrit alors, à sa stupeur, la « face cachée du héros fondateur » : « Il crut voir en l’homme qui avait posé les jalons de la science moderne et ouvert le Siècle des lumières l’héritier d’une tradition ésotérique qui remontait aux Babyloniens : le premier des physiciens avait été aussi “le dernier des magiciens”. » (Loup Verlet, La malle de Newton, Gallimard, Paris, 1993, p. 28). « Cet aspect de la vie et de l’œuvre de Newton, note le physicien Jean-Pierre Longchamp, embarrasse ceux qui veulent faire de lui le héraut d’une science purement rationnelle. (…) L’exemple de Newton illustre remarquablement ce que les épistémologues modernes nous on fait comprendre : à l’origine des grandes hypothèses scientifiques on trouve souvent des idées métaphysiques. » (Science et croyance, Desclée de Brouwer, Paris, 1992, pp. 125-126 ; j’ai déjà recommandé ce remarquable petit livre sur l’histoire des sciences et les débats qu’elle suscite, voir n° 379).
  12. Relevons une fois de plus l’inspiration pascalienne d’Aimé Michel. La science a jusqu’ici vérifié l’intuition fondamentale de Pascal dans son célèbre texte sur les deux infinis, en la débarrassant toutefois de ce qu’elle conservait d’excessivement simplificateur, à savoir la reproduction à l’identique à différentes échelles de ce qu’on connait à la nôtre. Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Certains pensent que la science n’aura pas toujours des choses nouvelles et intéressantes à découvrir et qu’elle finira donc par s’étioler (note 4 de n° 222). Pascal, dans ce même texte, exprime une foi bien différente : « si notre vue s’arrête là que l’imagination passe outre, elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. (…) nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n’enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. » Si la nature est vraiment infinie dans toutes les directions (pour reprendre le titre d’un recueil de textes du physicien Freeman Dyson, qui vient de s’éteindre le 28 février dernier, dans sa 97e année), il est impossible de prévoir tout ce qui peut s’y passer, et, par voie de conséquence, impossible d’assigner une limite à la science future. Pour reprendre les mots du philosophe Michel André, inspirés des idées de Dyson, « les savants doivent rester modestes dans leurs prétentions, parce que la nature aura toujours plus d’imagination que nous » (https://www.books.fr/freeman-dyson-savant-iconoclaste/). C’est ce qui faisait dire à A. Michel : « l’univers n’est plus ce machin poussiéreux, exactement borné aux limites de l’homme, que désirait Hegel. Il est le lieu d’une aventure illimitée, digne non seulement de l’homme, mais de Dieu. Tout en lui peut se produire » (n° 101).
  13. Jean, 8, 58.