Hervé Marie Catta
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En ce temps-là, nous habitions au bord de la forêt. Pour arriver à la maison par une petite route empierrée, le cheval avait du mal à tirer la voiture dans les raidillons. On nous faisait descendre pour alléger la carriole. Puis entre deux bouquets de houx apparaissait Rozvilio. Devant nous, la belle façade du manoir ; derrière, à l’est, le bois, rien que le bois, qui montait et recouvrait la montagne. Nous étions au bout du monde. J’ai appris plus tard que ce pays perdu était la Bretagne, là où se rencontrent les monts d’Arrée et les Montagnes noires, les meneziou du Poher.
Pour aller au bois, qui portait le nom somptueux de « forêt de Duhaut », il fallait descendre une pente raide jusqu’au ruisseau, le Dourdu – l’eau noire. – On le passait sur un chemin de grosses pierres plantées au milieu de l’eau, dit Pont gaulois, mais qui datait de bien avant les Gaulois disait mon père : c’était la porte d’entrée du pays des mégalithes. Après on rencontrait le dolmen Toul an urs – « le Trou de l’ours » – et l’on montait jusqu’à la dent de Saint Servais, impressionnant menhir dont on apercevait de chez nous la pointe au-dessus des arbres. Dans la bruyère, des petits menhirs ou des blocs de granit épars, je ne savais pas faire la différence. Il y avait aussi de l’or dans le sable entre les bruyères.
Nous étions élevés en français, autour de nous l’on parlait breton. À table, nos parents nous apprenaient aussi du breton : il fallait dire : « bara marplij, dour marplij », « du pain, de l’eau s’il vous plaît ». Pendant des années, j’ai entendu la messe en latin, le sermon et les cantiques en breton.
Voilà comment avant cinq ans j’ai ouvert les yeux sur la culture du peuple des mégalithes, en même temps que sur celle des Bretons armoricains, avec le latin des siècles chrétiens et le français de notre époque. Il m’en est resté une disposition à ne pas m’étonner d’une culture différente lorsque je la rencontrais, et même à l’aimer.
Pour la prière, notre grand-tante nous apprenait à dire bonjour au Bon Dieu. Ainsi dès la petite enfance, j’ai su que Dieu était bon. Un jour nous sommes allés au Pardon du Penity. Il m’en est resté un souvenir merveilleux. Pour aller au Paradis on devait sans doute passer par le Penity.
L’enfance ne dure pas toujours. Le temps a passé avec des joies, puis des épreuves et des assombrissements. J’ai retrouvé la joie et l’espérance après ma seconde conversion à trente-trois ans : la rencontre du Renouveau charismatique me conduisit à demander l’effusion de l’Esprit Saint. dans la Communauté Emmanuel, un groupe catholique. Dès lors, et pour toujours, j’ai désiré ouvrir les portes de l’espérance à ceux qui ne la connaissaient pas.
Je ne le savais pas, mais rencontres et circonstances allaient sous l’action de l’Esprit Saint et dans cette communauté, m’entraîner à évangéliser, dans toutes les cultures – jusqu’aux extrémités du monde.
Lors de cette conversion, je m’étais dit : « J’ai retrouvé la bonne voie, le chemin de la joie ici, et du ciel au-delà, mais la vie va sans doute devenir monotone par rapport à hier. » J’avais jusque-là mené une vie aventureuse. Mais, contrairement à ma crainte, l’aventure a été multipliée par cent. l’Esprit Saint embrasait toute ma personnalité, en la respectant. Un peu comme le buisson ardent, embrasé mais non consumé. Jeune avocat au barreau de Paris, j’avais été invité à Bruxelles, Bruges et Gand, à Amsterdam, à Londres, à Rome. Désormais je serai appelé à visiter, les pays de l’Europe de l’Ouest puis ensuite des pays communistes : Berlin-Est, Pologne, Hongrie, Slovénie, en Union soviétique la Russie d’Europe, les Pays Baltes, la Sibérie jusqu’au Pacifique et le Kazakhstan. De l’autre côté du monde j’ai été envoyé au Canada, aux États-Unis, au Mexique, au Nicaragua en plein régime sandiniste. Plus tard j’ai été en Colombie, en Équateur, au Pérou, au Chili, en Argentine, en Uruguay et au Brésil. En 1980 avec Martine, ma femme, nous avons visité les pays d’Afrique de l’Ouest : Sénégal, Côte d’Ivoire et Haute-Volta – aujourd’hui Burkina. J’ai été appelé ensuite au Cameroun, au Rwanda, au Burundi et au Congo Kinshasa. Après ce furent les Philippines, la Chine, la Malaisie, Singapour, l’Indonésie, le Japon, l’Australie.
Voyager n’est pas résider. Je ne passais pas plus de quinze jours à la suite, le plus souvent une semaine dans un pays. À part l’espagnol, un peu d’anglais et de portugais, je n’ai pas pu apprendre les langues de ces nombreux pays. Mais toujours, autant que j’ai pu, j’ai cherché à découvrir et à comprendre leur culture. Pour cela je consultais les meilleurs spécialistes, me faisais conseiller quelques livres pour entrer dans la culture du pays considéré. J’ai conservé un nombre impressionnant de ces livres, mais aussi de méthodes « Assimil », ou assimilées, dans lesquelles j’ai appris à baragouiner et à écouter quelques phrases de politesse et de situations concrètes. Ainsi je prononce très bien en russe : « nyié znaïou, nyié ponimaïou, nyié gavariou », ce qui veut dire – « Je ne sais pas, je ne comprends pas, je ne parle pas. » J’espère bien que quelques esprits sérieux seront scandalisés à l’idée que je me contentais de quelques phrases. Pourtant ce n’était pas si idiot. Certes je n’avais ni le temps ni la possibilité mémorielle d’apprendre toutes les langues des pays où je devais me rendre, mais pourquoi ne pas dire quelques mots ? Des mots de politesse et d’attention, la charité quand on s’adresse à l’autre.
Combien de portes du cœur se sont ouvertes devant ce signe de respect d’une autre langue et d’une autre civilisation ! On s’imagine qu’en recourant à « la langue internationale », c’est-à-dire en disant d’emblée quelques mots d’anglais à tout citoyen du monde, on a fait un gros effort « d’acculturation ». J’ai préféré essayer de donner aux gens le sentiment qu’ils étaient d’un pays différent du mien, digne d’être découvert, et tout à fait unique dans l’histoire du monde. Et j’ai beaucoup reçu en retour. Je n’en suis pas resté là. Lorsque nous avons publié en Russie et en Sibérie, durant plusieurs années un petit magazine, j’ai travaillé à découvrir, par la littérature et l’histoire des idées, quelque chose du génie de ce peuple.
Après des années de voyages, de découvertes et de rencontres et diverses initiatives dans ces pays, nous avons été amenés à utiliser ces expériences dans une nouvelle façon d’annoncer l’Évangile : l’évangélisation par Internet. Nos sites ont reçu durant l’année 2010 plus de 700 000 visites. Aujourd’hui, à partir d’un minuscule bureau à bord d’une péniche sur la Seine, auprès du pont de Neuilly, j’annonce l’Évangile chaque mois dans plus de cent pays, en 16 langues – y compris le breton de mon enfance.
Et voilà comment en résumé s’est fait mon chemin depuis les menhirs jusqu’à l’internet.
C’est une grande joie pour moi, grâce à Pierre Goursat, fondateur de la Communauté Emmanuel, d’être devenu un évangélisateur laïc, associé à tant de frères et sœurs de l’Emmanuel. J’ai eu la chance de pratiquer un certain nombre de manières d’évangéliser. Pierre, dès le début de la Communauté Emmanuel a eu le sens qu’ensemble nous pouvions, avec l’Esprit-Saint, mener des actions qui nous dépassaient.
— – A suivre dans le nouveau livre d’ Hervé Marie Catta, « Des Menhirs à internet, la nouvelle évangélisation », éditions France Catholique, 214 pages + 8 pages photos, 22 euros dans toutes les librairies (diffusion Salvator).
— – A suivre dans le nouveau livre d’ Hervé Marie Catta, « Des Menhirs à internet, la nouvelle évangélisation », éditions France Catholique, 214 pages + 8 pages photos, 22 euros dans toutes les librairies (diffusion Salvator).