Benoît XVI vient d’annoncer la création de l’Académie pontificale de latinité, dépendant du Conseil pontifical de la Culture. Le moment paraît tout-à-fait opportun.
L’enseignement du latin gît aux oubliettes depuis que les Catholiques se sont séparés de la « langue des siècles de Chrétienté » et sont devenus tels « les intrus profanes dans le domaine littéraire de l’expression sacrée » (Audience générale de Paul VI, 26/11/1969).
Dans les années 1960 l’étude du latin allait de pair avec le port du chapeau et des gants pour les dames à la messe. Dans mon école de province en Australie, le latin a été totalement supprimé des programmes au profit du japonais, plus nettement propice aux échanges commerciaux. Notre économie locale fonctionnait sur le charbon et l’élevage bovin (avec les exportations vers le Japon) ainsi que grâce à la station touristique d’Iwasaki fréquentée essentiellement par des golfeurs japonais fortunés.
Non seulement dans un trou provincial d’Australie, mais dans le monde entier, le mot « efficacité » était le mot-phare, être « efficace » signifiait être économiquement compétitif ou apte par ailleurs à améliorer son niveau de vie.
S’il n’y a rien de mal à vouloir améliorer son niveau de vie, un problème se pose si cet objectif est considéré comme le bien suprême auquel tout le reste doit être subordonné.
La soumission de l’instruction à l’acquisition de compétences conformes aux besoins du marché a entraîné un appauvrissement général du capital culturel de tout le monde occidental. Il y a là pour l’Église un problème particulier car les Béotiens sont impénétrables à ce que Benoît XVI appelle « l’humanisme de l’incarnation ».
Un Carme déchaussé faisant front face à l’invasion croissante de l’inculture est une exception remarquable: le Père Reginald (Reggie) Foster (originaire de l’Archevêché de Milwaukee). Le Père Foster commença à enseigner le latin à l’Université Grégorienne à Rome dans les années 1970. Il avait précédemment travaillé dans la section « Lettres latines » du Secrétariat d’État au Vatican, et fut un temps chargé de l’envoi des Brefs aux princes.
En 1985 le Père Foster proposa des cours d’été intensifs de latin « Aestiva Romae Latinitas », ou « Latin d’été à Rome ». Des étudiants du monde entier affluèrent à ces sessions. Mais il finit par avoir des ennuis avec les comptables de l’Université Grégorienne, pour avoir accordé la gratuité aux étudiants les plus pauvres. Il réussit néanmoins à former deux générations de latinistes érudits capables de prendre le relai dans l’Académie pontificale nouvellement créée.
Le Père Foster aimait lire les sermons en latin du grand Saint Léon, aussi était-il fort opportun que le Motu Proprio « Lingua Latina » créant l’Académie fût promulgué le jour de la fête de Saint Léon le Grand.
Les buts de l’Académie:
a/ promouvoir la connaissance et l’étude de la langue et de la littérature latine sous sa forme classique, patristique, médiévale et humaniste, particulièrement dans les institutions d’enseignement catholique où séminaristes et prêtres reçoivent une formation;
b/ promouvoir en divers milieux l’emploi du latin comme langage écrit et oral.
La création de l’Académie va dans le droit-fil de la Constitution Apostolique sur l’emploi de la langue latine de Jean XXIII en 1962, Veterum Sapientia (la sagesse des Anciens). Jean XXIII soutenait l’emploi du latin, pas seulement comme un outil de compréhension des écrivains chrétiens de l’antiquité, ou par souci d’uniformité bureaucratique, mais en tant qu’élément valorisant de la tradition de l’Église « pour des motifs religieux ».
Selon lui, l’Église, précisément parce qu’elle embrasse toutes les nations jusqu’à la fin des temps, a besoin d’une langue universelle, incorruptible et non-vernaculaire. L’emploi d’une langue morte ne privilégie aucune ethnie particulière mais unit tous les fidèles par une tradition linguistique commune.
De plus, Jean XXIII déclarait qu’il est parfaitement normal que la langue de l’Église soit empreinte de noblesse et de majesté, non pas vernaculaire, puisque elle est chargée d’une dignité dépassant toutes les sociétés humaines.
Dans son livre d’Histoire de la Pologne « God’s Playground » (Le terrain de jeu de Dieu), Norman Davies cite Daniel Defoe (auteur de Robinson Crusoé) selon qui, au XVIIIe siècle un voyageur pouvait parcourir la Pologne de long en large sans connaître un seul mot de polonais. Tout ce qu’il fallait, c’était le latin.
Le latin (avec le grec ancien et l’hébreu) forme une sorte de ciment linguistique pour l’héritage intellectuel de l’Occident. Si l’Église veut perpétuer la formation et être le gardien des grands trésors culturels des siècles de christianisme, il lui faudra veiller sur l’enseignement des langues anciennes. Le Pape Benoît XVI en est particulièrement conscient.
Du temps où il était cardinal, Benoît XVI soutenait que les séminaires devaient être des lieux de large formation culturelle. Reconnaissant que tout n’était pas possible, il insistait pour que les professeurs de séminaires ne succombent pas à la tentation de « se contenter de peu ».
Notre pape parle cinq langues modernes, et il est à l’aise en grec ancien, en latin et en hébreu. Il joue du piano, et c’est un fin lettré, proche de membres de l’Académie française. La création de l’Académie Pontificale de Latinité est de sa part une initiative significative dans le combat décrit par Alexander Boot dans « How the West Was Lost » (La défaite de l’Occident) : la tentative de destruction de la haute civilisation occidentale par des snobinards béotiens . Cette civilisation a ses racines dans la littérature des cités antiques de Rome, Athènes, Jérusalem et, par-dessus tout, dans l’événement fondamental de l’Incarnation, au cœur de l’Histoire de l’humanité.
Tracey Rowland, nouvelle collaboratrice à « The Catholic Thing », est doyenne, membre permanent de l’Institut Jean-Paul II pour le Mariage et la Famille (Melbourne, Australie).
Icône de Saint Léon 1er « le grand ».
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-new-pontifical-academy-for-latin.html