Comme ceux qui ont suivi cette série s’en souviennent, un ami a une fois posé une question :
« Disons que nous sommes en présence de deux femmes. Elles s’aiment et sont engagées l’une envers l’autre de la manière dont vous êtes engagé avec votre épouse, et disons qu’elles s’engagent par des actes qui, si la biologie était différente, pourraient aboutir à des enfants mais, dans ce cas, ne le peuvent pas. Pourquoi l’absence de cette seule et unique dimension de cet acte le rend-il moralement inacceptable ? »
Répondre à cette question implique de relever plusieurs défis.
D’abord, beaucoup de gens d’aujourd’hui pensent que « relations sexuelles » signifie n’importe quelle sorte de gestes sexuels alors que l’Eglise a une compréhension très particulière de ce qu’implique le terme de « relations sexuelles ».
Deuxièmement, l’Eglise ne pense pas qu’un « acte » soit défini simplement par une certaine combinaison de parties du corps, mais par l’objet formel de l’acte, l’intention avec lequel il est réalisé et les circonstances pertinentes.
Troisièmement, il est important que ceux qui s’interrogent comprennent que l’Eglise ne répondra en général pas à la question de la façon habituelle, je veux dire que l’Eglise n’est ni utilitaire, ni kantienne, donc, la réponse à la question de savoir pourquoi un acte est moralement inacceptable n’impliquera pas de montrer qu’il « nuit » à quelqu’un d’autre, ni de démontrer que l’acte est toujours et partout mauvais.
L’acte peut ne pas « nuire » (au moins physiquement) aux deux personnes impliquées, nous ne dirons pas non plus que les « relations sexuelles » sont toujours et partout mauvaises ou dégoûtantes, ni qu’elles sont quelque chose d’à peine rendue acceptable si elles sont faites dans le mariage et seulement aux fins d’avoir des enfants : « il suffit de fermer les yeux et de penser à l’Eglise ».
Au lieu de quoi, l’Eglise approche les questions morales en essayant de pousser les gens à penser autrement à propos de leur façon de vivre, ainsi que de la nature et de la signification de leurs actes.
Permettez-moi d’utiliser un exemple provenant d’un domaine totalement différent. Supposons qu’un jeune femme me dise :
« Je suis quelqu’un qui adore manger. Je tire un grand plaisir du fait de manger. Mais je ne veux pas que la nourriture devienne une part de moi-même, donc je purge cette nourriture après l’avoir mangée. Pourquoi l’absence de cette simple dimension de l’acte de manger – la nutrition – rendrait-elle l’acte moralement inadmissible ? »
La première chose que l’on peut dire à une telle personne est :
« Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment manger dont il s’agit.
– Non, pourrait-elle insister. Je mâche, j’avale et la nourriture arrive dans mon estomac. Etes-vous en train de dire que chaque fois qu’une personne est malade et vomit, elle rate le fait de manger ? »
A ce point de la discussion, je pourrais essayer d’entrer dans une argumentation compliquée sur la différence entre quelque chose qui arrive involontairement à la nourriture du fait de la maladie, et le fait de choisir de s’en purger volontairement, bien que ça n’aide pas, surtout si elle est déjà convaincue qu’un acte peut être défini simplement par ce qui se passe physiquement. Dans les deux cas, quelqu’un rejette physiquement, donc, il va sembler que les deux actes sont semblables.
Notez bien cependant l’étrangeté de suggérer que le but de la nutrition est tout simplement « la dimension unique » de l’acte de manger, mais que le fait de « manger » peut manquer (imagine-t-elle) et être néanmoins toujours appelé manger.
N’est-il pas plus judicieux de suggérer que, bien que manger comprenne de manière certaine (et agréable) quelque chose de plus que la seule nutrition, la nutrition semble aussi être l’un des objectifs fondamentaux de l’acte de manger ? Donc, enlever cette dimension de l’acte revient fondamentalement à violer sa nature, avec pour conséquence possible de n’être pas tout à fait en bonne santé.
« Mais je ne veux pas grossir, dit notre jeune femme. Grossir n’est pas sain. »
Non, ça ne l’est pas. Mais il y a d’autres moyens pour ne pas grossir. Le problème ici est affaire de tempérance et ce que veut notre amie est avoir le plaisir de manger sans les conséquences qui en découlent.
Remarquez aussi comment la réponse « grossir n’est pas sain » finit par détruire le « principe de nuisance ». Si je suggère un « préjudice » possible, elle peut toujours en fournir un autre – devenir grosse est mauvais pour vous -, un qui (surprise, surprise !) lui permet de continuer à faire ce qu’elle veut. En plus, aucun tiers n’est blessé.
Remarquez aussi à quel point la plupart des arguments kantiens qui se veulent universels deviennent inefficaces : manger n’est pas intrinsèquement mauvais. Manger et vomir ne sont pas intrinsèquement mauvais. Les gens malades le font involontairement, ceux qui ont pris du poison le font volontairement. Est-ce que l’on peut faire mieux ?
Pourquoi pas quelque chose comme ça : ce que nous désirons pour vous, jeune dame, est un rapport différent avec le manger (pour utiliser le jargon moderne), qui englobe à la fois la nutrition et le plaisir, qui satisfasse vos besoins physiques et réalise votre nature communautaire.
Ces deux dimensions de l’acte de manger – la nutrition et le communautaire – sont, comme le philosophe et médecin Leon Kass l’a admirablement montré dans son merveilleux livre L’âme affamée, ce qui caractérise vraiment le manger humain.
Enlevez l’une ou l’autre dimension et le désordre s’installe. Engloutissez la nourriture toute seule et il vous manque les joies de la dimension sociale du manger. Mangez et rejetez, et vous détruisez la dimension nutritive. C’est lorsque les deux vont ensemble que l’on obtient le vrai manger humain, qui va conduire vers le véritable épanouissement humain.
Cette façon de considérer l’acte de manger est bien ce que nous voulons pour nos enfants et ceux que nous aimons, n’est-ce pas ? Mais soyons honnêtes : cette façon nécessite de la discipline. Il faut choisir les aliments adéquats et les consommer selon les quantités adaptées pour que la nutrition soit assurée. Et il faut choisir les bons moments et les bons endroits pour prendre un repas en commun avec les êtres chers. Si chacun va de son côté, il n’y a pas de repas commun. En bref, on doit développer les vertus pertinentes que sont ici à la fois la prudence et la tempérance, afin de réaliser les aspects humainement bons de l’acte de manger.
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Randall B. Smith est professeur à l’Université de St-Thomas, récemment nommé titulaire de la chaire de théologie de Scanlan.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/contraceptive-eating.html
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