C’était donc il y a cent ans et le modernisme n’est plus ce qu’il était. L’avenir de la Science selon Renan a pris un coup de vieux. Non seulement tout s’effondre mais tout le monde admet maintenant que tout change, même le changement.
Il y a cent ans – la dernière décennie du 19e siècle – la Science vivait son triomphe, son apothéose, son apocoloquintose (a), sa Grande Illusion. Elle avait potentiellement réalisé son programme, tout était expliqué. Le Mystère, cet héritage des Ténèbres, balayé. Les fausses lumières de la Superstition, éteintes, comme devait le dire un peu plus tard le ministre français René Viviani : « nous avons éteint au ciel ces étoiles qui, etc., et elles ne se rallumeront jamais ».
Pourquoi ne célèbre-t-on pas l’anniversaire de ce moment unique, on peut le dire, de l’histoire de la pensée ? Cela vaut la peine.
Il est difficile, maintenant, d’imaginer ce qu’était la métaphysique diffuse de l’époque.
La science avait, tout le long du siècle, multiplié ses prodiges. Elle avait démontré Démocrite, c’est-à-dire l’explication de toutes choses par des atomes matériels et leurs relations. Avogadro avait calculé la masse de ces atomes et leur nombre, Mendeleïev fait leur décompte et leur classement. Leverrier et Adam, par la simple puissance du calcul, avaient en même temps et sans perdre leur temps à la chercher dans le ciel, annoncé qu’en tel point et à telle heure on trouverait une planète ignorée depuis toujours, et elle y était. Maxwell, Faraday… L’angoissante énigme de la maladie était redéfinie par Pasteur et en voie d’être vaincue. Charcot éclairait les abîmes de la folie. Darwin nous disait pourquoi l’homme était là tel qu’il est, animal parmi les autres, né d’une évolution aveugle, produit d’un absolu hasard.
Rien de tout cela n’étant pas forcément très catholique, surtout aux yeux des ignorants, le matérialisme scientiste1 s’incarnait dans une ou plusieurs politiques anticatholiques, dont l’Église, le Pape, le clergé, les croyants de grande notoriété comme Pierre Duhem étaient les têtes de Turc2. Affrontés sur les champs de bataille, le Kulturkampf bismarckien3 et le rationalisme révolutionnaire français s’entendaient contre « la superstition et tout cela », comme disait Freud.
Cent ans
Un jeune étudiant allemand de physique, très doué et perplexe, s’interrogeait sur la suite de sa carrière. Il alla consulter son professeur, lui-même physicien connu : « Me conseillez-vous de me spécialiser en physique ? »
– En physique ! s’exclama le professeur navré. Mais ne savez-vous rien faire d’autre ?
– Je suis aussi musicien.
– Alors faites de la musique, mon cher ami. La physique est achevée. Il n’y a plus rien à trouver, seulement quelques détails à préciser.
L’étudiant réfléchit. Il lui sembla qu’il restait quand même en physique un peu plus que quelques détails à préciser et décida de persévérer. Il s’appelait Planck. Cent ans4.
Le même esprit régnait partout. C’était, souvenons-nous, avant les deux guerres mondiales, et l’esprit de l’Europe dominait le monde. Les Japonais se mettaient à notre école, les armées européennes occupaient Pékin. Les maîtres à penser s’appelaient encore en France Renan et Taine (« le cerveau sécrète la pensée comme le foie sécrète la bile ») ; Spencer, Bentham et Darwin dans le monde de langue anglaise, en Allemagne Wagner, ne réfutaient pas forcément Kant, et Nietzsche, si singulier, pouvait cohabiter avec Darwin.
Au niveau de la vraie culture, c’est-à-dire dans la profondeur des peuples, d’un côté l’on suivait l’inspiration officielle et l’on « bouffait du curé », mais en fait la seule autorité morale restait la paroisse où tout le monde finissait par se faire enterrer dûment muni des sacrements de l’Église, catholique ou protestante.
Mais Lénine appelait cela le « crétinisme rural ». Il semblait qu’il y eût une bataille entre « la lumière et les ténèbres » et que les « ténèbres » fussent à l’agonie.
Anathema sit…
Quelques années plus tôt il y avait eu le Syllabus, cet aveu signé, ricanaient les esprits « libérés », où l’on lisait en toutes lettres l’anathème contre ceux qui invitaient le Pape à se rallier au « modernisme », ainsi nommé dans le document. Comment pouvait-on anathématiser les partisans du modernisme ?5
Mais le temps passe.
C’était donc il y a cent ans et le modernisme n’est plus ce qu’il était. L’avenir de la Science selon Renan a pris un coup de vieux. Non seulement tout s’effondre mais tout le monde admet maintenant que tout change, même le changement6.
Certains esprits, et des plus profonds, percevaient dès lors la fragilité de ce monde « achevé ».
En 1877, le physicien allemand Clausius, dont le nom est toujours associé à celui de Carnot, définissait en thermodynamique la fonction appelée « entropie ». L’entropie mesure l’état de désordre d’un système clos. C’est un nombre qui varie (fonction) et ne cesse de croître à mesure que l’énergie passe d’un état à l’autre, du mouvement à la chaleur par exemple.
Poincaré, le premier, avait discerné dans cette fonction un fait qu’il qualifiait lui-même de mystérieux : si le désordre s’accroît sans cesse, pourquoi toute la chaleur de l’univers n’est-elle pas dissipée de toute éternité ?
Sans doute soulignait-il que l’univers ne peut être traité comme un « système clos ». Mais s’il n’est pas clos on tombe dans d’autres paradoxes encore plus troublants (Olbers, etc.)7. Il y avait là, pensait Poincaré, un problème fondamental dont la solution théorique ne se laissait voir nulle part. La science « triomphante » (en réalité le scientisme) n’était pas armée pour le résoudre. Au cours des dernières années du siècle les difficultés se multiplient, à peine visibles, certes, dans les coins obscurs du mouvement « presqu’achevé ».
En réfléchissant aux conséquences d’une expérience datant de 1877, les théoriciens (Lorentz et Poincaré) doivent affronter des questions de plus en plus bizarres : les ondes lumineuses sont-elles une vibration du néant ? Ou bien sommes-nous, y compris nos laboratoires, aplatis sans le savoir dans le sens du mouvement de la terre et du soleil ? Ils avaient découvert le principe de relativité dont bientôt (1905) le jeune Einstein allait penser pour la première fois la signification profonde.
Vu de maintenant, la « science triomphante » s’effondre très exactement en 1900, quand le physicien perplexe, Planck, écrit pour la première fois le mot quantum. L’année même où il publiait sa note sur le principe de relativité (1905), Einstein donnait aussi le vrai sens du mot quantum8.
Mais il faudra plusieurs dizaines d’années pour qu’apparaisse dans son ampleur l’importance de ce moment d’histoire. Au début des années quarante, certains de mes professeurs disaient encore que « Lorentz et Einstein étaient également vraisemblables », voire « invraisemblables », mais de toute façon « très difficiles ». Les jeunes étudiants de physique apprennent cela maintenant très vite et n’y pensent plus guère.
Peu avant de mourir, Poincaré réfléchit à l’avenir des mathématiques et de la science en général. Il aperçoit clairement l’essentiel du point de vue de la méthode : les hypothèses sont plus ou moins utiles plutôt que plus ou moins vraies. C’est, ou ce devrait être, la mort du sectarisme scientiste. Quoique les philosophes des sciences et parfois les savants se classent en institutionnalistes, pragmatistes et autres écoles, tous admettent maintenant que « vérifier une hypothèse » ne veut pas dire démontrer la vérité de cette hypothèse mais l’exactitude de sa prévision dans le cas considéré et dans les limites de la mesure.
Le mathématicien anglais Roger Penrose distingue en 1989 trois qualités de théories sans aucune référence à leur « vérité » :
– les théories magnifiques (superb)
– les théories utiles
– les théories d’essai (tentative).
Et voici sa modeste définition des théories « magnifiques », excellence suprême de l’arsenal scientifique : « Pour la qualifier de magnifique, je n’exige pas d’une théorie qu’elle s’applique sans réfutation aux phénomènes de l’univers, mais je lui demande d’avoir une extension et une précision exceptionnelles » (phenomenal). Exemple donné par Penrose : la géométrie euclidienne, la mécanique statique d’Archimède et Pappus, la dynamique de Galilée, la théorie électromagnétique de Maxwell, la Relativité d’Einstein, l’électrodynamique quantique de Jordan, Heisenberg, Dirac, etc… et en fait, voilà tout, le tour est vite fait (b). Penrose y ajouterait volontiers la théorie de l’évolution, mais « elle en est encore loin » (elle n’a rien de prédictif)9.
Au cours du siècle qui a suivi sa décennie triomphale, la science a fait plus de découvertes que pendant les siècles précédents. Poincaré, qui avait pressenti de façon si pénétrante sa démarche future, n’a en revanche annoncé aucune de ces découvertes. Aucune, sauf peut-être le théorème de Gödel, qui l’aurait quand même bien surpris. (Le grand mathématicien allemand Hermann Weyl raconte qu’après la première lecture de Gödel il fut si désespéré que pendant deux mois il dut résister à l’envie de se suicider.) Rappelons que le fameux théorème démontre l’existence d’indécidables quelle que soit la logique choisie10.
Si Poincaré ressuscitait aujourd’hui il ne comprendrait pas un traître mot à Science et Vie, aucun des sujets traités dans la revue en 1992 n’existant à son époque, du moins dans son vocabulaire actuel.
Les morts qui se survivent
Et pourtant le scientisme n’est pas mort11.
Évacué des sciences « dures », mathématiques, physique, où l’on a beaucoup réfléchi sur la statistique fondamentale des choses, il se survit dans les sciences « molles », biologie et sciences humaines ou prétendues telles, dont les présupposés tacites restent ceux du siècle dernier. La biologie moléculaire par exemple vit en ce moment son époque triomphaliste. Elle découvre au galop d’innombrables nouveautés toutes explicables par la chimie et l’électricité.
Très bien ! Nous admirons sans réserve sa course glorieuse. Le déchiffrement complet du génome humain, entrepris sous l’impulsion des Japonais et qui durera des années, sans doute des décennies, pourra être célébré comme la date la plus importante de notre histoire… après la suivante12.
Mais plus que jamais se posera la question : tout cela pourquoi ? Quel usage ferons–nous des derniers secrets de l’homme – du corps de l’homme – tombés entre nos mains ? La science ne fournit, ni ne fournira jamais, aucune réponse à cette question, la première de toutes. Les comités d’éthique n’ont rien à dire sur les fins dernières de l’homme. Ils n’ont rien à dire sur le Bien et le Mal. Sagesse du Syllabus ! le modernisme est une chimère. Rien ne subsiste du Modernisme auquel les « progressistes » de l’époque pressaient le pape de se rallier13. Certes nous sommes dans notre époque, belle lapalissade. Nous vivons quand nous vivons, aucune science ne pouvant d’ailleurs me dire pourquoi je suis contemporain d’Eltsine plutôt que de Tibère ou de Ramsès. La lumière qui éclaire notre bref passage dans ce temps n’est ni de ce temps ni d’aucun temps. Dieu merci, ah, Dieu merci !
Car toute époque, quelle qu’elle soit, et fût-elle comme la nôtre pleine de merveilles, reste cette « étincelle entre deux ténèbres » dont parlait encore Poincaré. Elle ne nous dit rien sur notre espérance et notre devoir. Plus ce devoir et cette espérance paraissent fous au regard des fantasmes du moment et plus nous avons besoin de notre lumière intemporelle, au-delà du bout de la route.
Rendons à César ce qui est à César quand il nous demande ce qui lui revient. Tout ce qui lui revient, mais rien de plus. Et quant à ce qui revient à Dieu, comme par exemple le « tu ne tueras point » et bien autre chose, nous n’avons qu’un devoir. C’est de rester, doucement, intraitables et tolérants.
Aimé MICHEL
(a) NDLR : Dans une comédie de Sénèque, la tête de l’empereur Claude se transforme après la mort en coloquinte.
(b) Mais ailleurs on voit qu’il tient aussi pour « magnifique » le théorème de Gödel, dont on ne saurait exagérer la signification philosophique.
Chronique n° 499 – F.C. – N° 2369 – 18 septembre 1992
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 30 novembre 2020
- Le scientisme a atteint son apogée dans la seconde moitié du XIXe siècle. Cette idéologie euphorique, née à la faveur du progrès des sciences et des techniques, se caractérise par « une confiance naïve dans le progrès en général et dans le pouvoir illimité de la science ». En France, ses maitres à penser sont le polytechnicien-philosophe Auguste Comte (1798-1857), le grand penseur Ernest Renan (1823-1892) et le chimiste et homme politique Marcellin Berthelot (1827-1907). Selon eux, la science ayant seule autorité doit régner sans partage. Pour Comte, la direction de la société doit être confiée à des experts, ingénieurs et banquiers, et devenir « la base spirituelle de l’ordre social ». De même, pour Berthelot « la science réclame aujourd’hui la direction matérielle, intellectuelle et morale des sociétés » et pour Renan « Organiser scientifiquement l’humanité, tel est donc le dernier mot de la science moderne, telle est son audacieuse mais légitime prétention » (p. 37 de son Avenir de la Science qu’il écrivit à vingt-cinq ans mais ne publia que deux ans avant sa mort en l’accompagnant d’une préface critique). Dans cette perspective il n’y a plus de place ni pour Dieu ni pour les religions existantes. Comte, qui se voit comme le grand prêtre de la religion de l’humanité, est prêt à faire alliance avec l’Église catholique mais c’est purement tactique et transitoire. « Le monde est aujourd’hui sans mystère », proclame Berthelot sans rire. Il poursuit : « En tout cas, l’univers entier est revendiqué par la science et personne n’ose plus résister en face à cette revendication. La notion du miracle et du surnaturel s’est évanouie comme un vain mirage, un préjugé suranné. » (Les Origines de l’Alchimie, 1885). Renan abonde dans le même sens : « L’œuvre moderne ne sera accomplie que quand la croyance au surnaturel, sous quelque forme que ce soit, sera détruite comme l’est déjà la croyance à la magie, à la sorcellerie. Tout cela est du même ordre » (L’Avenir de la Science, 1848, p. 48). (J’emprunte certaines des citations qui précèdent à l’excellent petit livre de Jean-Pierre Longchamp, Science et croyance, Desclée de Brouwer, Paris, 1992 ; voir aussi l’article d’Annie Petit, « Ernest Renan : Militant des humanités », https://www.persee.fr/doc/renan_0046-2659_1987_num_69_1_1352). Toutefois, Renan n’est pas à proprement parler athée car son Dieu est à venir. Voici ce qu’il écrit à ce propos : « L’œuvre universelle de tout ce qui vit étant de faire Dieu parfait, c’est-à-dire de réaliser la grande résultante définitive qui clora le cercle des choses par l’unité, il est indubitable que la raison, qui n’a eu jusqu’ici aucune part à cette œuvre, laquelle s’est opérée aveuglément et par la sourde tendance de tout ce qui est, là raison, dis-je, prendra un jour en main l’intendance de cette grande œuvre, et après avoir organisé l’humanité, organisera Dieu. » (L’Avenir de la Science, 1848, p. 37) Ce passage annonce le thème moderne par excellence de l’homme créateur à la fois de lui-même et de Dieu repris de nos jours par des auteurs imaginatifs, comme le physicien Frank Tipler (voir n° 432) ou l’historien Yuval Noah Harari (voir notes 6 de n° 468, ainsi que 11 et 12 de n° 493). Selon Gisèle Sésinger, le Dieu de Renan est « tour à tour, l’univers, la nature, le tout absolu, la réalité des choses, l’histoire, la raison, l’amour, l’idée, le génie de l’homme, l’humanité en devenir », ce qui ne rend pas sa lecture aisée ! D’un côté, dans une lettre à Berthelot, il écrit : « Dieu sera plutôt qu’il n’est : il est in fieri, il est en voie de se faire. Mais s’arrêter là serait une théologie fort incomplète. Dieu est plus que la totale existence ; il est en même temps l’absolu […] il est le lieu de l’idéal, le principe vivant du bien, du beau et du vrai. Envisagé de la sorte, Dieu est pleinement et sans réserve ; il est éternel et immuable, sans progrès ni devenir ». D’un autre côté, il maintient que « [l]a claire vue scientifique d’un univers où n’agit d’une façon appréciable aucune volonté libre supérieure à celle de l’homme devint, depuis les premiers mois de 1846, l’ancre inébranlable sur laquelle nous n’avons jamais chassé » (Souvenirs d’enfance et de jeunesse, p. 192). Tout ceci que résume sa prière paradoxale : « Le doute est si beau que je viens de prier Dieu de ne jamais m’en délivrer ». Renan, à la différence de Comte ou de Berthelot, est un grand écrivain dont la pensée fragmentaire et contradictoire échappe au scientisme vulgaire. (Sur le Dieu de Renan, on lira avec profit l’article de Gisèle Sésinger, « Renan à la recherche d’un Surdieu », https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1996_num_26_91_3073, et les remarques de Bertrand Méheust dans la note 1 de n° 21).
- Dans son ouvrage le plus connu, La théorie physique : son objet, sa structure (1906 ; réédité par Vrin, Paris) Pierre Duhem (1861-1916) soutient qu’il n’y a pas d’expérience cruciale en physique (thèse dite de Duhem-Quine), que la science doit se contenter de « sauver les apparences » car elle ne peut accéder à la réalité ultime, que la religion catholique n’est pas un obstacle au progrès de la science, au contraire, et que le scientifique ne peut justifier l’existence d’un ordre du monde (question métaphysique, objet de foi) dont il ne peut se passer.
- Le Kulturkampf (« combat pour la civilisation ») est une politique anticatholique conduite par le chancelier Otto von Bismarck lors de la création de l’Empire allemand dans les années 1870. Le luthérien Bismarck n’aime pas les catholiques qui forment un tiers de la population de son Empire, parce qu’ils sont rétifs au germanisme qu’il promeut, que ce soit en Rhénanie et en Hanovre, provinces d’esprit peu prussien, en Bavière, État catholique aux tendances antiprussiennes, en Alsace-Lorraine où l’on proteste contre l’annexion au Reich, ou en Pologne, où le catholicisme sert de fondement au sentiment national et antigermanique. À partir de 1871, il fait voter une série de lois et décrets dirigés contre l’Église catholique et le parti politique représentant les catholiques (le Zentrum, fondé en 1870), comme la nationalisation des écoles confessionnelles, l’expulsion des congrégations religieuses avec confiscation de leurs biens, la discrimination des catholiques dans la fonction publique, l’emprisonnement de prêtres et d’évêques, etc. Cette politique n’atteint guère ses objectifs : les catholiques restent unis et le Zentrum obtient plus de votes après le conflit qu’avant. De plus, Bismarck a besoin d’une nouvelle majorité pour faire passer des lois antisocialistes (contre les sociaux-démocrates et les marxistes qui ont fondé un parti ancêtre de l’actuel SPD), tandis qu’à Rome, le pape Léon XIII, qui a succédé à l’intransigeant Pie IX en 1878, souhaite également le retour à la paix. En 1887, il reste peu de chose des lois inspirées par le Kulturkampf même si les Jésuites doivent attendre 1903 pour rentrer au pays.
- Sur l’origine de cette anecdote où le jeune Max Planck hésite entre musique et physique, voir note 1 de n° 156.
- Le Syllabus de décembre 1864 est un recueil « contenant les principales erreurs de notre temps » adressé aux évêques par Pie IX en même temps que l’encyclique Quanta Cura. « Divisé en dix chapitres, le Syllabus condamnait : 1. le panthéisme, le naturalisme et le rationalisme absolu ; 2. le rationalisme modéré ; 3. l’indifférentisme, qui considère que toutes les religions se valent ; 4. le communisme, les sociétés secrètes et les sociétés bibliques protestantes ; 5. des erreurs concernant l’Église et ses droits ; 6. des erreurs concernant la société civile et ses relations avec l’Église, entre autres, la séparation de l’Église et de l’État ; 7. des erreurs en matière de morale ; 8. les conceptions erronées sur le mariage chrétien ; 9. le rejet du pouvoir temporel du pape ; 10. des erreurs concernant “le libéralisme moderne”, notamment la liberté des cultes ». (Article « Syllabus (1864) » de l’Encyclopaedia Universalis). A. Michel fait surtout allusion aux chapitres 1 et 2 qui condamnent le rationalisme, car le reste n’est pas son affaire (comme il l’écrivait dans le n° 197 sur un sujet semblable, en l’occurrence les sources du concile Vatican II). En fait, c’est surtout le dernier chapitre qui a retenu l’attention à l’époque, ce qui n’est guère étonnant eu égard aux quatre propositions qui y sont condamnées : « LXXVII. À notre époque, il n’est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’État, à l’exclusion de tous les autres cultes. LXXVIII. Aussi c’est avec raison que, dans quelques pays catholiques, la loi a pourvu à ce que les étrangers qui s’y rendent y jouissent de l’exercice public de leurs cultes particuliers. LXXIX. Il est faux que la liberté civile de tous les cultes, et que le plein pouvoir laissé à tous de manifester ouvertement et publiquement toutes leurs pensées et toutes leurs opinions, jettent plus facilement les peuples dans la corruption des mœurs et de l’esprit, et propagent la peste de l’Indifférentisme. LXXX. Le Pontife Romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne ». Ces quatre condamnations soulèvent des protestations un peu partout dans le monde et surtout en France. Leur formulation déséquilibrée et provocatrice, donc maladroite et contre-productive, met les catholiques en porte-à-faux. Les archevêques de Paris essaieront d’en donner une version édulcorée plus acceptable et les successeurs de Pie IX renonceront à son ton abrupt. Dès 1891, Léon XIII conseille aux catholiques français de se rallier à la République. Mais le mal est fait et le Syllabus aidera les adversaires de l’Église à montrer l’incompatibilité de celle-ci avec la modernité et la laïcité. Roger Aubert, professeur à l’université de Louvain, auteur de l’article sur le Syllabus de l’Encyclopaedia Universalis, note que « les théologiens ont été assez vite d’accord pour estimer que le Syllabus ne présentait pas le caractère d’une décision infaillible » (le dogme de l’infaillibilité du Pape, fort différent de la caricature qui en est faite habituellement, sera proclamé en 1870 lors du concile Vatican I) et qu’il est, « notamment en ce qui concerne le jugement porté sur les libertés modernes, à interpréter en fonction du développement ultérieur de la doctrine catholique depuis Léon XIII jusqu’au IIe concile du Vatican ». De fait, Vatican II affirme le droit à la liberté religieuse en faisant de la « tolérance » traditionnellement reconnue, un droit. Cependant, le Syllabus n’est qu’un épisode parmi d’autres de ce qu’on a appelé la Crise moderniste. Lors de cette crise, la pensée chrétienne s’est affrontée aux sciences expérimentales et historiques, notamment en matière d’exégèse biblique, ainsi qu’à la philosophie allemande. Comme le souligne Claude Tresmontant, ce n’est que l’une des multiples crises que la pensée chrétienne a eu à surmonter au cours de sa longue histoire. Au XIIIe siècle, elle a dû faire la part dans l’aristotélisme transmis par les Arabes de ce qui était conforme à sa pensée et de ce qui ne l’était pas. Au XVIe siècle, ce fut la crise de la Réforme puis, au XVIIe, celle du jansénisme sur la liberté et la grâce (voir note 7 de n° 338). Au XIXe, les controverses se sont multipliées. Beaucoup parmi les chrétiens et leurs adversaires ont cru que la théorie de l’évolution était contraire au dogme de la Création, qu’il fallait choisir entre les deux, alors qu’elles se complètent. La pensée évolutive secouait en parallèle l’exégèse biblique ; il a fallu admettre, comme Richard Simon, prêtre de l’Oratoire aujourd’hui reconnu comme l’un des fondateurs de la critique biblique, l’avait compris dès le XVIIe siècle, que Moïse n’avait pas écrit le Pentateuque et que le livre de Daniel n’avait pas été écrit pendant la captivité des Hébreux à Babylone, que la Bible n’était pas descendue du ciel, qu’elle était une composition de main d’hommes ce qui n’excluait en rien son inspiration (voir l’article de J.-L. Ska, à l’occasion de la réédition en 2008 de l’Histoire critique du Vieux Testament de 1678, https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2009-2-page-307.htm). Quant à la philosophie allemande, elle a doublement attaqué la conception chrétienne de Dieu. D’une part, à partir de Schelling et Hegel, elle a défendu l’idée d’une divinité en genèse tragique se formant progressivement dans l’histoire et se confondant avec l’idéal humain (cf. Renan). D’autre part, à partir de Kant, elle a nié la thèse hébraïque et chrétienne que l’existence de Dieu n’est pas une question de croyance (au sens moderne de ce mot, voir note 10 de n° 498) mais d’intelligence car elle est connue à partir du monde créé. On conçoit que faire le tri à chaud de ce qui doit être assimilé et de ce qui doit être éliminé n’est pas aisé. Certains se sont stérilement opposés aux idées modernes, d’autres « ont lutté et souffert pour que la pensée chrétienne avance et se rajeunisse sans perdre sa substance ». Tresmontant cite à ce propos le Père Guillaume Pouget (voir n° 197), le Père Lagrange, Maurice Blondel, le Père Laberthonnière, qui, « dans tous les domaines, scientifiques, critique, historique, philosophique, théologique, ont tâché de résoudre les problèmes posés » et « ont fait en somme, au début du XXe siècle, ce qu’avait tenté saint Thomas au XIIIe siècle » (il mentionne également saint Bonaventure et Jean Duns Scott ; « La crise moderniste », Problèmes de notre temps, O.E.I.L., Paris, 1991).
- Aimé Michel a beaucoup médité sur le scientisme et sa parentèle – positivisme, rationalisme, matérialisme, athéisme – qu’il présente en ces termes dans une de ses premières chroniques : « La science, disait Renan en substance, est appelée à remplacer la religion et la politique. Elle expliquera à l’homme son mystère. Elle résoudra tous ses problèmes matériels et spirituels. Elle finira par assumer la totalité du devenir humain, établissant un ordre naturel qui ne devra rien à l’autorité parce qu’il sera fondé sur la connaissance positive » (n° 21, Le temps de la soif). Dans cette même chronique, il s’attache à montrer que la science est allée plus vite et plus loin que les scientistes ne l’imaginaient mais pas du tout dans la direction qu’ils prévoyaient. Il est significatif qu’il revienne sur ce thème dans l’un de ses derniers textes pour rappeler encore une fois que le scientisme s’est profondément trompé sur « l’avenir de la science » et qu’il demeure une tentation funeste.
- La noirceur du ciel nocturne ne va pas de soi. En effet, dans un univers suffisamment grand et uniformément rempli d’étoiles, en quelque direction que nous portions notre regard, nous devrions trouver une étoile plus ou moins lointaine nous envoyant sa lumière. Il devrait en résulter un ciel uniformément couvert d’étoiles, brillant de nuit comme de jour, de même qu’au milieu d’une forêt on se trouve complètement entouré de troncs plus ou moins éloignés formant comme un mur circulaire. Johannes Kepler formule ce problème dès 1610 et le résout en en déduisant que l’univers est fini et les étoiles en trop petit nombre pour couvrir le ciel entier (il rejette ainsi à l’aide d’un fait observable l’idée d’un univers infini proposé par Giordano Bruno). Au siècle suivant, la conception d’un univers infini revient en force et l’astronome suisse Jean-Philippe Loys de Chéseaux calcule en 1743 que le ciel devrait être 90 000 fois plus brillant que le Soleil ! Le raisonnement est repris et affiné en 1743 par l’astronome amateur Heinrich Olbers de Brême qui le rend populaire. C’est l’astronome austro-anglais Hermann Bondi qui l’appelle « paradoxe d’Olbers » en 1952 (au détriment du pauvre Chéseaux). La cosmologie moderne explique ce paradoxe par la combinaison de trois solutions : la finitude du temps passé (avec le Big Bang), le décalage en fréquence des ondes lumineuses d’où atténuation de leur énergie (à cause de l’expansion de l’univers) et, peut-être, la finitude de l’espace. La première solution a été proposée par Edgar Allan Poe en 1848 : « La seule manière de rendre compte des vides que trouvent nos télescopes dans d’innombrables directions est de supposer cet arrière-plan invisible placé à une distance si prodigieuse qu’aucun rayon n’ai jamais pu parvenir jusqu’à nous. » La seconde solution s’applique non seulement à la lumière des étoiles mais aussi à la lumière émise par l’univers entier quelques milliers d’années après sa naissance quand il était si chaud que chacun de ses points était aussi lumineux que la surface du Soleil. Cette lumière existe encore mais très décalée vers les grandes longueurs d’onde, c’est le fond diffus cosmologique dont nous avons déjà parlé (n° 496). Quant à la troisième solution elle est étudiée par Jean-Pierre Luminet et brillamment exposée dans son livre L’Univers chiffonné (Fayard, Paris, 2001, voir note 3 de n° 319) auquel j’emprunte les explications qui précèdent.
- Sur la découverte de Planck en 1900, voir note 3 de n° 314. Sur les deux articles fondateurs d’Einstein en 1905, voir n° 432 (sur l’effet photoélectrique) et n° 466 (sur la relativité restreinte).
- A. Michel attire à nouveau l’attention de ses lecteurs sur ce livre qu’il admire à juste raison, The Emperor’s new Mind (Oxford University Press, 1989 ; trad. française L’esprit, l’ordinateur et les lois de la physique, par F. Balibar et C. Tiercelin, InterÉditions, Paris, 1992), dont l’auteur, Roger Penrose, vient d’être honoré cet automne du prix Nobel de physique. La classification des théories scientifiques qu’il propose est détaillée dans n° 490, Science et tolérance : théories « magnifiques ». « Compte tenu de la manière dont j’utilise le terme “superbe”, écrit Penrose, c’est un fait extraordinairement remarquable qu’il y ait même une théorie dans cette catégorie ». C’est un des nombreux exemples qui placent Penrose dans la catégorie des penseurs qui s’étonnent. Les penseurs qui ne s’étonnent de rien existent aussi, et ils sont nombreux chez les scientistes, voir notes 4 et 8 de n° 410. En fait, Penrose ne parle pas de la théorie de l’évolution à ce propos (ce qui pourrait prêter à confusion car il faut distinguer le fait de l’évolution de la théorie qui l’explique) mais de la théorie de la sélection naturelle : « Je ne connais aucune autre théorie de base dans aucune autre science (que la physique) qui puisse entrer adéquatement dans cette catégorie [superbe]. Peut-être la théorie de la sélection naturelle, telle que proposée par Darwin et Wallace, vient-elle au plus près, mais elle en est encore bien loin » (p. 152). Penrose revient sur ce sujet dans Les ombres de l’esprit (InterEdition, Paris, 1995) où il s’interroge sur l’origine de la capacité humaine à faire des mathématiques. Comment cette capacité est-elle apparue par sélection naturelle ? La question se pose d’autant plus que, même de nos jours, il n’y a aucun avantage à être un mathématicien. Penrose, avec un humour tout britannique, soupçonne même que ce pourrait être un désavantage car de nombreux puristes des mathématiques ont tendance à finir dans des postes académiques mal payés ou même au chômage ! Quel avantage pourrait donc avoir nos lointains ancêtres à raisonner sur des ensembles infinis, et des ensembles infinis d’ensembles infinis (jeu très prisé des mathématiciens, nous assure-t-il), alors que leurs soucis étaient de construire des abris, des pièges à mammouths ou, plus tard, de domestiquer des plantes et des animaux ? Réponse de Penrose : « Il serait plus rationnel de supposer que les avantages dont bénéficièrent nos ancêtres venaient de qualités utiles pour accomplir toutes ces choses et qui, par hasard, s’avérèrent, bien plus tard, être exactement ce qu’il fallait pour mener des raisonnements mathématiques. C’est en fait plus ou moins mon point de vue. Ainsi, grâce aux contraintes de la sélection naturelle, ce serait l’aptitude générale à comprendre que l’Homme aurait d’une manière ou d’une autre acquise et développée de façon très poussée. Cette faculté de compréhension aurait été généraliste et se serait exercée sur de nombreux plans au bénéfice de l’Homme. La construction d’abris ou de pièges à mammouths, par exemple, serait un exemple de contexte où les facultés de compréhension de l’Homme auraient été extrêmement précieuses. À mon avis toutefois, l’aptitude à comprendre ne fut pas uniquement l’attribut de l’Homo sapiens. Elle a pu également être présente, mais à un degré moindre, chez nombre d’autres animaux avec lesquels l’Homme était en compétition de sorte que ce dernier, grâce à un développement accru de son aptitude à comprendre, aurait acquis un avantage tout à fait considérable sur les animaux. » (pp. 138-139). Ce que Penrose conteste est que cette faculté de compréhension puisse être de nature algorithmique, autrement dit mécanisable, simulable par un ordinateur. De là ses profondes interrogations philosophiques concernant les mathématiques. « La compréhension mathématique constitue-t-elle une sorte de contact avec une réalité mathématique platonicienne préexistante, possédant une actualité intemporelle totalement indépendante de nous, ou bien chacun de nous recrée-t-il indépendamment tous les concepts mathématiques lorsqu’il réfléchit à l’aide de raisonnements logiques ? En outre, pourquoi les lois physiques semblent-elles suivre si fidèlement des descriptions mathématiques si précises et si subtiles ? Comment la réalité physique s’articule-t-elle avec l’idée d’une réalité mathématique platonicienne ? » (pp. 197-198, trad. Christian Jeanmougin). Ces correspondances qui n’étonnent pas les scientistes (conformément à leur habitude de ne s’étonner jamais de rien, cf. n° 489, en particulier la note 6) conduisent Penrose à esquisser une théorie de la conscience dont Aimé Michel rend compte dans n° 493, Si le loup protège l’agneau.
- Sur le théorème d’incomplétude de Gödel, voir n° 498.
- « Le scientisme n’est pas mort » écrivait donc A. Michel en 1992. Trente ans plus tard, il ne l’est toujours pas et il se porte même fort bien, sans doute parce qu’il suit une pente naturelle de l’esprit. Qu’est-ce que le scientisme aujourd’hui ? Wikipédia en propose la définition suivante : « Le scientisme est une position apparue au XIXe siècle selon laquelle la science expérimentale est la seule source fiable de savoir sur le monde, par opposition aux révélations religieuses, aux superstitions, aux traditions, et aux coutumes, également à toute autre forme de savoir ». Je ne suivrai pas cette définition parce qu’elle n’est pas commode à appliquer et surtout parce qu’elle est trop large : avec une telle définition je suis prêt à tenir A. Michel et à me tenir moi-même pour scientiste ! (À condition toutefois de prendre garde à distinguer « savoir » et « connaitre », cf. n° 447, Dans le sac du khalife – Savoir, science et connaissance ne sont pas des mots synonymes). La définition que je retiens privilégie quatre aspects, assez caractéristiques du scientisme me semble-t-il, qui sont l’assimilation de la science à la vérité, la croyance en l’achèvement plus ou moins prochain de la science, la défense stricte de l’orthodoxie scientifique contre les fausses sciences, et le rejet du religieux, à commencer par le Dieu de la Bible. Passons rapidement en revue ces quatre critères : 1/ C’est la physique qui a apporté le démenti le plus cinglant à l’idée que la science découvrait l’ordre réel des choses, que les théories correspondaient vraiment à la réalité et ne pouvaient que croitre sans heurt en expliquant toujours plus de phénomènes. L’avènement des théories relativistes et quantiques à partir de 1905 a balayé cette vision naïve en montrant que les avancées scientifiques majeures résultent, en fait, « de défaites infligées aux théories admises par de nouvelles venues fondées sur des principes tout différents » (B. d’Espagnat, p. 28). En contrepartie, il est vrai que cette conception plus modeste des physiciens n’est pas partagée par tous les scientifiques car la biologie moléculaire et les neurosciences « ont redonné une substantielle “plausibilité a priori” aux thèses réalistes » (p. 294). En raison du prestige de ces dernières disciplines, la vision naïvement objectiviste du scientisme se trouve à nouveau confortée, mais à la différence du XIXe siècle le clivage passe maintenant à l’intérieur même des sciences, ce qui change tout. 2/ De nos jours, bien que rarement défendu de manière frontale, l’achèvement prochain de la science reste une idée présente sous deux formes. La première forme, défendue par les physiciens, est l’espoir d’une théorie ultime qui unifierait la gravitation et les quanta et permettrait de calculer la valeur de toutes les constantes fondamentales de la nature. Le prix Nobel Steven Weinberg dans son Rêve d’une théorie ultime (Odile Jacob, Paris, 1997) envisage que dans cette théorie « chaque constante de la nature pourrait être calculée en fonction de principes premiers ; le moindre changement dans la valeur de l’une d’elles détruirait la cohérence de la théorie tout entière – un peu comme si celle-ci était un vase en porcelaine qu’on ne peut tenter de déformer sans qu’il se brise. Dans ce cas, et bien que nous puissions toujours ignorer pourquoi elle est vraie, nous saurions au moins, grâce aux mathématiques et à la logique, pourquoi la vérité n’est pas légèrement différente » (p. 210). Weinberg remarque qu’il « nous restera d’innombrables problèmes scientifiques, et un univers entier à explorer, mais je soupçonne que les savants de l’avenir envieront un peu ceux d’aujourd’hui, parce que nous sommes encore en chemin pour découvrir les lois ultimes » (p. 214). Il admet ainsi implicitement qu’il y aura de moins en moins de choses intéressantes à découvrir au moins en physique, ce que certains généralisent à toutes les sciences (voir la chronique n° 222, La science est-elle achevée ? à propos de Macfarlane-Burnet, en particulier la note 4). D’autres contestent cette seconde idée, comme Karl Popper qui maintient que « toute explication peut être expliquée plus avant, par une théorie ou une conjecture d’un degré d’universalité supérieur. Il ne peut y avoir d’explication qui n’ait pas besoin d’une explication plus approfondie » (La connaissance objective). Weinberg concède que Popper a peut-être raison mais il espère que non : à chacun sa foi, scientiste ou pas ! 3/ Une des formes les plus apparentes de scientisme est le rejet des faits ou études qui n’entrent pas dans le cadre de la science orthodoxe – celle enseignée dans les universités. Un exemple emblématique est la controverse relative à la parapsychologie, controverse d’autant plus vive que cette discipline présente un ensemble de résultats expérimentaux démonstratifs publiés dans d’excellents journaux scientifiques, parfois par des savants reconnus comme le psychologue social Daryl Bem. Ces résultats fondés sur des méthodes expérimentales et statistiques éprouvées semblent démontrer la communication d’informations échappant aux limitations de l’espace et du temps. Ils conduisent ceux qui les tiennent pour impossibles à mettre en cause certaines méthodes classiques en science et à s’interroger de manière plus large sur la validité de ces méthodes et pas seulement en psychologie. En France, les milieux de la recherche et de la vulgarisation ne s’intéressent guère à cette controverse. Le lecteur intéressé pourra s’en faire une idée en lisant deux articles récents, l’un, typiquement scientiste, de Arthur Reber et James Alcock, qui explique pourquoi les résultats allégués de la parapsychologie ne peuvent pas être vrais (https://skepticalinquirer.org/2019/07/why-parapsychological-claims-cannot-be-true), l’autre de Thomas Rabeyron, jeune professeur à l’université de Nancy, qui présente une synthèse des débats actuels fondée sur une bibliographie étendue et en révèle les nombreuses et profondes implications (https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2020.562992/full). (Se trouve ainsi renouvelé le vieux débat sur la prétendue suspension des lois de la nature dans le miracle, voir n° 160 et 398). 4/ Et Dieu dans tout ça ? Comme on le sait, la science, par principe « n’a pas besoin de cette hypothèse » ce qui, pris au pied de la lettre, conduit tout droit à l’athéisme. Et c’est bien ce qu’on constate puisqu’aux États-Unis, alors que 78 % de la population croit encore en Dieu (sondage Gallup de 2007), cette proportion n’est plus que de 39 % chez les scientifiques et tombe même à 7 % chez les plus éminents d’entre eux, les membres de leur Académie nationale des sciences (sondage effectué en 1996). Toutefois, cette proportion est restée pratiquement stable chez les scientifiques depuis 1916, où elle était de 42 % (voir ma note 3 de n° 78), tandis que l’athéisme n’a cessé de progresser dans la population générale de 2 % en 1960 à 16 % en 2014 (selon l’article « Irréligion aux États-Unis » de Wikipédia). J’ignore si des sondages de ce genre ont été faits sur longue période auprès des Français, scientifiques ou pas. Les données à ma disposition pour la France, bien que plus partielles que celles des États-Unis, indiquent clairement une érosion récente et rapide de la croyance en Dieu dans la population de 40 % en 1998 à 28 % en 2018 et une montée correspondante de l’athéisme de 18 à 27 % sur la même période (http://www.issp-france.fr/wp-content/uploads/2019/10/ResultatsISSPFrance_2018_DEF.pdf, voir aussi note 11 de n° 477). Autrement dit, en France actuellement, le nombre d’athées est en train de dépasser le nombre des croyants en Dieu avec des conséquences difficiles à prévoir. Ces chiffres n’indiquent nullement une chute de la « croyance » mais son éclatement en formes variées parce que l’athéisme est aussi une croyance et parce qu’on observe, en particulier chez les jeunes, l’essor d’une religiosité vague et multiforme (avec déclin concomitant du christianisme institutionnel mais pas nécessairement des valeurs qu’il véhicule). Un article publié sur www.slate.fr se demande « Pourquoi les intellectuels ne croient pas en Dieu ? » (sic) et propose la réponse suivante : « Il y a trois siècles, la croyance en Dieu était universelle y compris parmi les savants et les instruits. Tout cela a changé à la suite du développement de la science moderne et de la capacité de l’homme à dominer et comprendre la nature par l’usage de la raison. Les croyances et autres révélations et doctrines religieuses sont aujourd’hui considérées par une majorité de grands intellectuels comme des légendes pour enfants et des créations humaines afin de conforter des pouvoirs eux aussi très humains » (suivent, dans la même veine, quelques remarques complémentaires inspirées sans le dire de Richard Dawkins, Pascal Boyer, Daniel Dennett et autres cognitivistes évolutionnistes, dont les thèses ont fait l’objet de critiques dévastatrices, voir les indications données à ce propos dans la note 2 de n° 337). Ces idées simplistes et, sans doute pour cette raison, fort répandues, correspondent au mieux à la définition du scientisme selon les dictionnaires, à savoir la « croyance à la toute-puissance de la science positive, même dans le domaine des choses morales » (Larousse) et la « prétention à résoudre les problèmes philosophiques par la science » (Robert). On pardonnerait aux scientistes de faire de la métaphysique et de défendre une croyance mais ils veulent que ce soit de la science. Aussi A. Michel traite-t-il le scientisme de superstition en précisant : « J’appelle superstition la croyance qu’on sait quand on ne sait pas. Qu’on sait en matière de science, s’entend, non de foi, qui est un acte intérieur, intérieurement vérifiable » (n° 329, Superstition de notre temps). Faut-il ajouter que sur les quatre points qui précèdent A. Michel avait les positions les plus fermement anti-scientistes qui soient ? Ses chroniques sont une critique constante de la conception infondée, triste sinon désespérée de l’univers et de l’homme proposée par le scientisme. Comment, se demande-t-il, par quel obscurcissement de l’esprit, par quel masochisme, notre civilisation a-t-elle choisi de préférer l’absurde au mystère et le rejet d’un sens ultime de l’univers auquel l’homme aspire pourtant de tout son être ? « Étrange revirement de l’histoire ! écrivait-il en 1971. Comment les descendants spirituels de Renan ne s’abandonneraient-ils pas au nihilisme, à la violence ou au désespoir, quand ils se découvrent abandonnés par leur dieu ? Une science qui ne nous donne que la puissance sans nous éclairer sur notre destinée et qui de surcroît se dérobe de plus en plus à notre contrôle, qu’est-ce d’autre qu’un cauchemar, si nulle lumière venue d’ailleurs ne nous avertit que nous pouvons faire confiance aux choses parce que leur ultime secret se nomme amour ? Plaignons ceux qui ne voient en ce monde qu’un désert : pour eux est venu le temps de la soif. » (n° 21).
- Le déchiffrement du génome humain s’est achevé en avril 2003, onze ans seulement après la parution de cette chronique. Cette avance sur les prévisions initiales est due au fait que les progrès faits sur le séquençage des génomes ont été plus rapides que prévu par la loi de Moore (sur cette loi, voir n° 50 ; sur les progrès du séquençage, voir https://manuelnumeriquemax.belin.education/svt-premiere/topics/svt1-ch04-074-a_les-progres-du-sequencage).
- Rien ne subsiste du scientisme et du modernisme de la fin du XIXe siècle assure A. Michel. Peut-être est-ce vrai en science (et encore), mais en tout autre domaine cet état d’esprit n’est-il pas en train de l’emporter ? N’est-ce pas plutôt le christianisme, cible préférée des attaques scientistes, qui est en train de disparaitre si on en croit les pertinentes analyses de Jérôme Fourquet dans la première partie de L’archipel français (Seuil, Paris, 2019, disponible en coll. Points n° 898) ? N’est-ce pas à cause de son inadaptation à la modernité comme le professent un grand nombre d’intellectuels depuis plus de trois siècles et comme le croit la majorité du peuple depuis quelques dizaines d’années ? Prenant le contrepied de cette opinion, A. Michel affirme au contraire que « le christianisme n’est pas une religion, il est plus et autre chose qu’une religion. Il est le moteur de la modernité » (n° 430, Dieu du futur, janvier 1987). Il parvient à cette conclusion paradoxale par une voie qui lui est propre et que tente de résumer le sous-titre que j’ai donné à cette chronique n° 430 : la mort du Dieu de la raison et l’avènement du Dieu intérieur. Cette idée paraitra saugrenue à ceux qui s’en tiennent aux apparences, pourtant elle est aussi défendue indépendamment par d’autres penseurs, comme Marcel Gauchet, René Girard et Jean-Pierre Dupuy, chacun selon sa voie (voir également l’analyse historique de Bruno Guérard en fin de note 4 de n° 479). Marcel Gauchet, philosophe et historien de l’École des hautes études en sciences sociales né en 1946, dans Le désenchantement du monde (Gallimard, Paris, 1985, disponible en Folio) montre par une analyse historique lucide que la modernité, y compris la démocratie, la laïcité, la séparation de l’Église et de l’État, la sécularisation et l’athéisme, s’est entièrement construite sur des fondations chrétiennes (voir notes 8, 10 et 11 de n° 404 ; à sa liste il faudrait ajouter les débuts de la science expérimentale). L’historien et philosophe René Girard (1923-2015), professeur à l’université John Hopkins puis à l’université Stanford, présente quant à lui une théorie de l’origine des société humaines et des religions dont il n’est guère possible de rendre justice en quelques lignes tant l’œuvre de Girard, traduite dans le monde entier, et sa lecture des Évangiles (notamment dans Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, Paris, 1978, disponible en Livre de Poche) sont riches et profondes, et nombreuses les conséquences qu’il en tire. Dans cette théorie, les sociétés humaines sont fondées sur la « violence mimétique » (note 3 de n° 428) et les religions y jouent un rôle majeur – empêcher les communautés primitives de s’autodétruire. Lors des crises, la violence de la communauté se polarise sur une victime arbitraire, le bouc émissaire, dont la mise à mort permet de rétablir l’ordre social. Dans les mythes qui en conservent le souvenir, la victime sacrifiée (étymologiquement « rendue sacrée ») est tenue pour coupable. Or, le christianisme dans la Passion du Christ, tout au contraire, tient cette victime pour innocente, démontre que la foule ne sait pas ce qu’elle fait et détruit par la même le mécanisme à la base de l’ordre social et religieux archaïque. « Pour moi, déclare Girard, toutes les conquêtes de la modernité partent de là, de cette prise de conscience interne au christianisme ». Précisons, pour éviter tout malentendu, que le christianisme dont parle Girard n’est pas le christianisme intégral, mais une version laïcisée dépourvue de toute dimension transcendante ou surnaturaliste, adaptée aux exigences méthodologiques d’une stricte anthropologie scientifique, ce qui ne l’empêche nullement d’être fidèle à l’enseignement des Évangiles et à ses profondeurs, dans les limites de son entreprise. Jean-Pierre Dupuy, épistémologue et spécialiste des sciences cognitives, né en 1941, ancien professeur à l’École polytechnique et à l’Université Stanford où il a bien connu Girard (il parle d’ « empoignades » avec lui), voit, lui aussi, dans le christianisme « la matrice de la modernité occidentale, mais une modernité qui a trahi et corrompu son message » (La marque du sacré, Carnets Nord, Paris, 2008, p. 95 ; disponible en poche, collection Champs). Cette autobiographie intellectuelle (dont j’ai déjà parlé en note f de n° 20), conçue, nous dit la quatrième de couverture, « comme un polar métaphysique et théologique », reprend les idées de Girard mais en les formulant d’une manière mieux adaptée à un lectorat moins imprégné d’anthropologie et de sciences humaines. Dupuy vise à « démystifier les grandes formes de la rationalité moderne » (autrement dit les dérives scientistes de la science et de la technologie) sur fond de catastrophe imminente. « Le mouvement de désacralisation du monde qui constitue ce que nous nommons la modernité est travaillé par un savoir qui s’insinue progressivement dans l’histoire humaine » écrit-il (p. 26). Quel savoir ? Eh bien, le christianisme, tout simplement ! « Je crois, écrit-il à la suite de René Girard, que le message chrétien, tel qu’il s’exprime en particulier dans les évangiles, est une science humaine – la condition de possibilité de toute science humaine. Cette science porte sur le monde humain, donc en particulier sur toutes les religions qui ont fait l’histoire de l’humanité. Ce savoir, de plus, est mortel pour toutes les religions en question. » Dupuy ajoute : « Si le christianisme est un savoir sur les religions de l’humanité qui, les expliquant, par la même les détruit, c’est donc que le christianisme n’est pas une religion comme les autres – on pourrait même dire que ce n’est pas une religion du tout. Le christianisme comme religion de la fin des religions : nombreux sont les penseurs de la tradition occidentale qui ont dit quelque chose de semblable, de Kant à Hegel et à Max Weber, et plus près de nous, de Louis Dumont à Marcel Gauchet. » (p. 123). Si ces penseurs ont raison, si notre époque est en train de réaliser les potentialités inscrites dans le christianisme dès son origine, il n’y a pas lieu de s’en réjouir trop vite. En effet, cette révélation « des choses cachées depuis la fondation du monde » (Matthieu, 13, 35) est lourde de menaces, et tous ces auteurs, Michel, Girard, Dupuy, Gauchet (auxquels il faudrait ajouter Fourastié, note 9 de n° 289, Tresmontant, n° 248, et Ellul, n° 395), ne cachent pas leur inquiétude. Si Gauchet s’en tient à l’angoisse qui nait de l’absence de Dieu et de sens ultime (sur ce qu’il écrit à ce propos, voir note 12 de n° 430), les trois autres vont au-delà ou à côté, en évoquant la dimension apocalyptique du présent. Michel discerne le risque mortel de l’absence de foi (« Si nous refusons de croire que le monde va quelque part, eh bien, nous le tuerons, c’est certain », n° 492), parle de « l’apocalypse molle » que va engendrer, par exemples, l’avènement de l’intelligence artificielle (n° 468) ou la transformation de l’homme maitre de ses gènes par lui-même, pour le meilleur et pour le pire « selon son choix » (n° 2, octobre 1970), et envisage même que toute civilisation dans l’univers « découvre inévitablement comme nous la clé de l’apocalypse, et en meurt » (n° 443). « Dire que nous sommes en situation d’apocalypse objective, écrit Girard, ce n’est nullement “prêcher la fin du monde”, c’est dire que les hommes, pour la première fois, sont vraiment les maitres de leur destin. (…) Nous accédons à un degré de conscience et de responsabilité jamais encore atteint par les hommes qui nous ont précédés » (Des choses…, p. 284). Cette apocalypse en marche se caractérise à ses yeux par deux choses : les catastrophes dues à la montée de la violence et au délitement social, mais aussi le dévoilement de la vérité qui s’ensuit (à commencer par le fait que le coupable des catastrophes n’est pas Dieu, comme le croient les religions archaïques, mais l’homme), ce qui lie intimement les deux sens du mot (catastrophe et révélation). Dupuy insiste : « Ma thèse est qu’il nous faut vivre désormais les yeux fixés sur cet évènement impensable, l’auto-destruction de l’humanité, avec l’objectif, non pas de le rendre impossible, ce qui serait contradictoire, mais d’en retarder l’échéance le plus possible. Nous sommes entrés dans l’ère du sursis » (p. 62) et pas seulement à cause de la très grave menace climatique, mais aussi de « l’incapacité de la science et de la technique à faire culture » et de l’apparition « de nouvelles formes d’inégalités et de violence » (l’actualité et les données concrètes rassemblées par J. Fourquet dans L’archipel français peuvent illustrer cette dernière remarque). C’est dans cette perspective que Dupuy comprend la parole du Christ : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je n’y suis pas venu apporter la paix, mais l’épée » (Matthieu, 10, 34). Il commente : « Loin d’être le garant ultime de l’ordre social, le christianisme est le ferment mortel qui a vocation à détruire toutes les puissances. S’il est destiné à vaincre, ce sera aux dépens de tout ce qui fait notre monde aujourd’hui. » (p. 161). Qu’adviendra-t-il alors ? En conformité avec la pensée biblique qui envisage les deux issus possibles – la mort ou la vie, nos trois auteurs ont essayé de penser l’échec impensable pour mieux donner sa chance à la vie. Voici ce que disait Girard en 2006 dans un de ses derniers dialogues publiés : « Nous apprenons chaque jour un peu plus que la religion l’emporte sur la philosophie et la dépasse. Les philosophies sont en effet à peu près mortes ; les idéologies, presque défuntes ; les théories politiques presque entièrement laminées ; la croyance selon laquelle la science pourrait remplacer la religion, désormais dépassée. Le monde laisse en revanche apparaître un besoin nouveau de religion, sous une forme ou sous une autre. (…) [Je crois] que nous vivrons dans un monde qui sera et apparaîtra aussi chrétien qu’il nous semble aujourd’hui scientifique. Je crois que nous sommes à la veille d’une révolution de notre culture qui dépassera tout ce que l’on peut imaginer, et que le monde se dirige vers un changement en comparaison duquel la Renaissance nous semblera insignifiante. » (René Girard et Gianni Vattimo, Christianisme et modernité, trad. R. Temperini, Flammarion, 2009, coll. Champs n° 864, pp. 45-46 et 55 ; c’est moi qui souligne). Cette révolution sera-t-elle aidée par le changement de paradigme scientifique qu’attendait A. Michel ? Je ne sais. En tout cas, si la vision de l’avenir de René Girard parait invraisemblable c’est en raison d’un défaut de perspective. Le christianisme traditionnel était une adaptation à la misère matérielle et morale due aux conditions de vie extrêmement dures, disons pour faire simple sans médecine et sans machine, qui prévalaient jusqu’à une époque récente (voir les détails et renvois faits dans la note 9 de n° 289), conditions que les nouvelles générations n’ont jamais connues même par ouï-dire et qui dépassent leur imagination. Est-il surprenant que la disparition de ces contraintes millénaires ait ruiné les modes de vie et de pensée qui leur étaient associés ? Seulement le bébé a été jeté avec l’eau du bain et il appartiendra peut-être aux générations à venir de sauver le bébé pour se sauver elles-mêmes. L’ancien monde disparu chez nous (et en voie de disparition ailleurs) était stable, robuste, écologique par force, et il avait fait la preuve de sa durabilité. Le nouveau monde dans lequel nous sommes est instable, fragile, non-écologique et n’a que quelques dizaines d’années d’existence derrière lui et peut-être guère plus devant. Ce contraste oblige plus que jamais à ouvrir les yeux sur l’impensable.