« La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. » La phrase prononcée par Michel Rocard, lorsqu’il était Premier ministre de François Mitterrand, revient régulièrement dans les propos des politiques. Une querelle s’est même développée à son sujet. Certains prétendent, en effet, qu’elle était accompagnée d’un autre membre de phrase, qui établissait un équilibre entre fermeté et générosité. Michel Rocard aurait précisé que la France, tout de même, devait prendre sa part de cette misère. Libération a voulu y aller voir de plus près, dans sa rubrique réputée intitulée « Desintox », où ses journalistes ne cessent de rétablir la vérité, souvent blessée dans le cours des déclarations au fil des jours. Le verdict est sans appel : la phrase a bel et bien été prononcée telle quelle, avec une certaine sécheresse qui voulait signifier à l’époque que le gouvernement s’opposerait à l’immigration incontrôlée : « Aujourd’hui, je le dis clairement. La France n’est plus, ne peut plus être, une terre d’immigration nouvelle. Je l’ai déjà dit, et je le réaffirme, quelque généreux qu’on soit, nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde. »
Ce n’est que quelques années plus tard que l’intéressé a complété son affirmation : « La part qu’elle en prend (de cette misère), la France prend la responsabilité de la traiter le mieux possible. » Dans la situation actuelle du monde, face au drame continu qui se déroule en Méditerranée, il est plus que légitime d’interroger notre conscience. Certains, prenant totalement à rebours la formule litigieuse, reprochent de la façon la plus véhémente à l’Europe son égoïsme, son insensibilité à ces exilés de la misère auxquels elle refuse obstinément d’ouvrir les bras. J’ai déjà abordé plusieurs fois le problème, et j’ai tenté d’en faire ressortir la complexité. L’égoïsme n’est pas une solution, d’ailleurs il se retourne souvent contre lui-même. Mais la solidarité, par ailleurs, doit être éclairée. Elle s’impose, de la façon la plus impérative, dans l’urgence. On le voit bien en ce moment, et à chaque heure, pour le Népal. Personne ne saurait redire à cette mobilisation qui doit être la plus intense possible. Mais il y a aussi les difficultés que l’on doit traiter dans la durée et qui requièrent d’autres moyens à la mesure de l’équilibre du monde et du développement des peuples.