La ‘Cité de Dieu’, du réalisateur brésilien Fernando Meirelles n’était pas, en dépit de son titre, un film religieux, mais un drame semi-documentaire au réalisme cru sur les enfants des bidonvilles de Rio. Le nouveau film de M. Meirelles, ‘Les deux papes’, est également non religieux.
Le film prétend être « inspiré par des faits réels », ce qui est fondamentalement un mensonge, et de toute évidence il ne comprend pas ce qui se passe dans cette chose mystérieuse nommée Eglise Catholique Romaine. Ou s’il le sait, il l’a en aversion.
Ecrit par Anthony McCarten, scénariste de deux excellents films (quoique très différents) ‘Darkest Hour’ et ‘Bohemian Rhapsody’, ‘Les deux papes’ imagine une rencontre en 2012 entre le cardinal Jorge Bergoglio (Jonathan Pryce) et le pape Benoît (Anthony Hopkins). Le cardinal a été convoqué par le pape, apparemment pour discuter de sa démission comme archevêque de Buenos Aires. Il se trouve que, avant d’avoir reçu la convocation du pape, le cardinal a déjà acheté un billet d’avion pour Rome en vue de presser Benoît d’accepter cette démission. Clin d’œil du destin ?
Le pape Benoît est bien conscient que Bergoglio a fini second lors du conclave de 2005 qui l’a élevé à la papauté, et c’est là que se trouve la manœuvre : le pape veut en réalité découvrir quelle sorte d’homme est son probable successeur et quel effet un pape Bergoglio pourrait avoir sur l’héritage de la papauté Benoît.
McCarten est habile à utiliser le dialogue pour révéler le caractère, et les deux acteurs – l’un peut-être le plus grand de sa génération (Hopkins a maintenant 81 ans), l’autre excellent acteur de genre (Pryce a 72 ans) – sont bien dirigés par M. Meirelles, qui favorise les gros plans sur l’un des deux hommes ou sur les deux, et le film peut être agréable à regarder. Il n’y a guère de choses plus percutantes dans un film que deux acteurs de talent se livrant à des dialogues croustillants. Le problème est que le bavardage entre les deux a rarement du sens.
McCarten a écrit une version livre de son film, et dans l’introduction il est clair qu’il voit le catholicisme (il est catholique de nom) uniquement en terme de géopolitique libérale de gauche. Selon McCarten, plus personne ne croit au fatras superstitieux que l’Eglise de Rome continue de « vendre », la science, fait-il semblant de croire, ayant réfuté tout cela il n’y a pas longtemps, tout spécialement la Bible.
Rien que de cela, nous pourrions soupçonner que McCarten préfère le « catholicisme » de François à celui de Benoît. De fait, il décrit Benoît comme un homme « manquant complètement d’empathie », un « théologien solitaire sans expérience de terrain », un homme pour qui « le changement est davantage un signe de faiblesse que de force ». Peu importe que Joseph Ratzinger ait été toute sa vie un enseignant, et archevêque durant cinq ans (à Munich). D’un autre côté, McCarten dépeint François comme « aimant s’amuser » et « charismatique » – exactement les qualités qu’un Néo-Zélandais « catholique irlandais » tiédissant pourrait souhaiter chez un pape.
Au début de cette rencontre imaginaire entre l’ancien et le futur pape, les échanges sont houleux. Sur la fin, messieurs Meirelles et McCarten voudraient nous faire croire que les deux clercs sont devenus excellents amis (des images d’actualités du pape actuel et du pape émérite terminent le film). De vrai, le postulat de ‘Les deux papes’ est que Benoît a en réalité démissionné pour ouvrir la voie à Bergoglio, au point même de suggérer que c’est lui qui a choisi le prénom François en temps voulu.
Encore une fois, ceci est une rencontre de pure fiction, uniquement basée sur le fait que le cardinal Bergoglio avait fini second au précédent conclave et a été élu lors du conclave suivant la démission de Benoît.
Dans son livre, McCarten donne beaucoup d’importance à la lettre de 2019 de Benoît sur la crise des abus – expliquant en quoi c’était en effet un reproche à l’excuse de cléricalisme privilégiée par François. Une partie de cette critique est relue dans le dialogue de Benoît dans le film (et déformée pour expliquer sa démission) – prétendant que l’énormité de la crise des abus sexuels, et sa propre complicité, ont éloigné le vieux pape de Dieu. Il a besoin de démissionner et d’entrer dans une retraite plus ou moins permanente en vue de retrouver Dieu dans le silence.
On pourrait vraiment se réjouir de voir ce Benoît de cinéma disparaître. C’est un homme solitaire, louchant, désagréable et morbide, dont le plaisir principal semble être de regarder à la télé une série australienne nommée ‘Commissaire Rex’, dont le héros est un berger allemand policier. Pour sûr, c’est un type intelligent, mais ce n’est pas un homme du peuple. Et il est… (horreur) vieux ! Assez avec lui…
‘Les deux papes’ traite vraiment de Jorge Bergoglio. Une importante partie du film, dans laquelle on sent davantage la sensibilité de Meirelles que celle de McCarten, consiste en flash-backs qui recréent la vie antérieure de Bergoglio en Argentine – depuis ses études jusqu’à ce voyage imaginaire à Rome et la rencontre semblant prédestinée avec Benoît. Ce sont les meilleures scènes du film et elles avancent dans l’explication de l’épreuve par laquelle Bergoglio était testé.
Le point culminant du film prend place dans la « chambre des larmes » de la Chapelle Sixtine, là où les papes nouvellement élus sont habillés avant leur première apparition sur le balcon de Saint Pierre. Après un repas impromptu à base de pizza et de limonade à l’orange, les deux hommes écoutent leurs confessions mutuelles. Cela implique un flash-back à rallonge dans lequel le jeune Bergoglio (joué par Juan Minjuin), alors provincial jésuite en Argentine, essaie de bâtir des ponts (un grand thème dans le film) entre la junte au pouvoir et ses frères jésuites, des efforts qui – de son propre témoignage – ont lamentablement échoué.
Notre Bergoglio de cinéma est également horrifié quand Benoît lui parle de son projet de démission. Les papes ne font pas cela ! La véhémence de la protestation de Bergoglio est étrange, étant donné que comme pape il a plusieurs fois suggéré qu’il pourrait faire de même.
Ce Benoît cinématographique, auquel le film n’offre pas de flash-backs (mis à part sur la fin de son cardinalat juste avant son élection comme pape), confesse la triste histoire d’avoir déplacé un prêtre abuseur d’un poste à un autre. Bergoglio est choqué ! Apparemment, ses mains sont propres dans ce domaine. Les réalisateurs ignorent fort à propos les différentes accusations portées contre Bergoglio quand il était archevêque de Buenos Aires.
Dans ses meilleurs passages, le film rappelle ‘My dinner with Andre’ (Mon dîner avec André) de Louis Malle (1981), co-écrit avec les deux stars du film, Wallace Shawn et Andre Gregory, un film d’amitié fort drôle avec dialogues-fleuve, qui se déroule tout entier dans un restaurant de Manhattan. Mais je suis désolé de dire que ‘Les deux papes’ est fastidieux, ennuyeux, et ergoteur. M. Hopkins et M. Price ont certainement leur heure de gloire. Mais de nouveau, à l’exception de scènes de flash-backs, le film de Meirelles est dans l’ensemble intellectuellement confiné – en dépit d’une excellente direction artistique qui cherche à ouvrir le film – et extrêmement répétitif.
La musique du film sort tout droit de la comédie à l’italienne des années 50 et 60, et j’attendais presque de voir les protagonistes se promener dans Rome en Vespa.
D’aucuns ont suggéré que le film « prenait au sérieux » la foi catholique, mais cela n’est vrai que si votre opinion sur la foi se base sur l’idée qu’il est grand temps pour l’Eglise de cesser de croire aux vieux mythes et d’accepter les « révélations » de la science du 21e siècle. L’Eglise prise au sérieux ici n’est pas celle qui existe actuellement (et qui a résisté pendant 2000 ans, sauf en ce qui concerne les vêtements d’apparat) mais une église à venir – semblable à une organisation non gouvernementale annexe des Nations Unies ou peut-être à la Fédération Internationale de Football, avec toute la corruption, les revirements et l’idéologie anti-chrétienne que cela implique.
‘Les deux papes’ est un projet Netflix déconseillé aux moins de 13 ans (pour « complexité ») qui sort sur les écrans le 22 décembre aux Etats-Unis.
Brad Miner est rédacteur en chef de ‘The Catholic Thing’, membre de l’Institut Foi & Raison et secrétaire du bureau de ‘Aide à l’Eglise en Détresse’ aux USA.
Illustration : L’affiche du film, laquelle le déclare « inspiré de faits réels » [NDT : il serait sans doute plus juste de dire : l’imagination de l’auteur a pris pour point de départ la réalité – comme pour toute œuvre de fiction réussie]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/11/30/joe-and-jorges-excellent-adventure-the-two-popes/