La mesure et l'évaluation de toute chose. - France Catholique
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La justice de Dieu
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La mesure et l’évaluation de toute chose.

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Il n’y a pas de question plus ancienne ni plus courante que celle-ci : « Qu’est-ce que le bonheur et comment le trouver ? » Notre politique et notre économie gravitent autour de cette question. Les hommes politiques nous parlent de leurs espoirs d’une meilleure vie pour tous, les annonceurs essaient de nous convaincre que leurs produits nous procureront une vie plus sûre et plus heureuse, et les thérapeuthes scrutent notre psychée pour ôter les obstacles à notre félicité.

La réponse catholique, autrefois prépondérante en Occident mais actuellement à contre-courant, est différente.

L’accent mis cette semaine (NDT : la dernière semaine d’avril 2013) sur la performance économique américaine nous rappelle qu’il y a quelques années, l’ancien président français Nicolas Sarkozy, frustré par la faible croissance économique, a organisé un groupe pour évaluer le bonheur en termes plus larges que la multiplication des produits de grande consommation. Il a enrôlé plusieurs économistes de premier plan, qui ont suggéré de remplacer une batterie de marqueurs. Une tentative qui n’a pas laissé de trace.

Mais rien ne vient plus rapidement à l’esprit d’une civilisation de l’utilitaire ancrée dans le scientisme que de tenter de mesurer toute chose, y compris le bonheur. Mesurer est un outil de premier plan dans les sciences physiques. Il permet plein de choses, du diagnostic médical à la réalisation de voitures, avions ou ordinateurs ultra-fiables, en passant par la découverte d’exo-planètes pouvant accueillir la vie ou du boson de Higgs qui mettait les physiciens en émoi l’an passé.

Mesurer peut aussi aiser à notre compréhension dans les domaine des sciences sociales. Dans un groupe, les habitudes humaines affichent des tendances sensibles et prévisibles, ainsi que l’on peut s’y attendre de la part d’individus partageant une même nature.

Pour tenter de mesurer le bonheur, l’institut de sondage Gallup a publié un « index du bien-être ». Il prétend <> Les données sont fournies par l’état, les municipalités et le Congrès.

Le compte-rendu Gallup de 2012 affiche les lieux de mal-être en rouge ou orange, les lieux de bien-être en vert. Il ne semble y avoir aucune corrélation entre la couleur politique d’un état et son bien-être, bien que les états les plus mal lotis se situent au sud d’une ligne reliant l’Ohio à l’Indiana. Mais la méthodologie de l’étude telle que présentée en ligne est incomplète. L’étude affiche seulement le rang et des comparaisons entres états, non un bilan chiffré, ce qui fait qu’il est impossible de savoir combien il y a de bonnes et de mauvaises choses dans chaque cas. Elle liste les différents thèmes abordés dans les questionnaires, mais pas les questions elles-mêmes.

En outre, l’enquête donne la prépondérance à la santé physique, incluant des facteurs tels que l’obésité ou l’accès à une assurance santé (comme le père James Schall pourrait le faire remarquer, Socrate, Saint Thomas d’Aquin et G.K. Chesterton seraient classés comme profondément malheureux). L’étude tente vaguement de mesurer des variables non-physiques.

Et quoique les rapports en ligne insistent sur la période fin 2008 début 2009, quand le nombre de sondés caractérisés comme en difficulté dépassait le nombre des prospères, la chose la plus remarquable concernant l’humeur moyenne de la patrie est sa stabilité : le nombre actuel de « bien-portants » ne diffère que de trois points au plus à ce qu’il était en janvier 2008, malgré les turbulences de l’époque.

Ces mesures ne nous disent pas grand chose, mis à part la constatation que, quelles que puissent être les questions du sondage Gallup, les gens d’Hawaï sont mieux lotis que ceux de Virginie occidentale. Ca ne nous dit rien du vrai bonheur et n’est même pas utile pour décider de l’endroit où vous aimeriez vivre.

Mais une approche quantitative plus riche est disponible dans l’index de prospérité annuel du Legatum Institute. L’enquête internationale de Legatum cherche à comprendre quelles sont les conditions qui permettent aux gens de s’épanouir et de prospérer plutôt que de définir un résultat global dans toutes les circonstances. Elle tente de mesurer la qualité des institutions politiques et économiques ainsi que toute une gamme de facteurs sociaux, incluant la pratique religieuse.

Dans cet index, les mesures sont mises en perspective adéquate. J’ai récemment participé à Washington à un débat sponsorisé par Legatum sur le sujet suivant : la politique et la culture ont-elles besoin l’une de l’autre ? Cela faisait partie d’une semaine célébrant la première mondiale, dans la cathédrale nationale, d’une oeuvre chorale commandée par Legatum et composée par Sir John Tavener. Dans la vaste enquête réalisée par Legatum sur le bonheur et une vie agréable, il y a plus que des résultats de sondages, bien que ces chiffres aient évidemment un rôle utile.

La vision catholique du bonheur est, bien sûr, que nous ne pouvons l’atteindre en ce monde, mais seulement dans l’autre auprès de Dieu. L’Eglise soulage les souffrances dans ce monde matériel et voit une potentielle rédemption dans toutes les souffrances, tout en sachant que le bonheur final doit attendre. Le progrès matériel est à la fois possible et souhaitable. Mais les efforts pour amener un bonheur parfait dans ce monde, en évacuant les plans de Dieu, donnent un résultat au mieux éphémère et au pire dangereux.

Une des meilleures représentations de ce contraste se trouve dans le roman apocalyptique Seigneur du Monde de Robert Hugh Benson, paru en 1907. Dans ce roman, les catholiques sont entassés dans des réserves par des états modernes matériellement développés. L’une d’elle est Rome, rendue à l’autorité temporelle du pape. Elle n’a rien d’un Nirvana de santé :

On pouvait voir là les anciens inconvénients, une terrible insalubrité, l’incarnation d’un monde livré à la rêverie. L’apparat de l’Eglise était lui aussi de retour… Le Saint-Sacrement a parcouru les rues puantes au son de cloches et à la lumière des lanternes. La brillante description qui en a été faite a énormément intéressé le monde civilisé ces dernières quarante-huit heures… les personnes cultivées ont cessé de tenir pour acquis que la superstition et le progrès sont des ennemis inconciliables.

Le monde moderne ne connaît que ce qu’il mesure. L’Eglise peut bien être accusée de s’opposer par superstition au progrès matériel mesurable alors qu’elle est la plus grande dispensatrice d’aide aux pauvres de par le monde. Elle en sait plus sur le bonheur véritable, dans cette vie et dans l’autre, que n’importe quel institut de sondage ou mirifique programme d’observation scientifique.

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-measure-and-measurement-of-all-things.html

Joseph Wood enseigne à l’institut de politique mondiale de Washington.

Illustration : Le vrai bonheur (Compassion, peint par William Adolphe Bouguereau, 1897)