Le cycle des nouvelles se déroule à présent si vite que même des problèmes très en vogue peuvent sortir du champ visuel sans préavis. Si l’on a raté la couverture en continu de la récente « Marche pour la science », pas d’inquiétude, elle reviendra. Le récit est tout simplement trop utile pour être retiré : des âmes courageuses qui défendent la science contre des forces antédiluviennes – jusqu’à ce qu’un politicien éclairé puisse le remettre à sa « juste » place.
Proche de la frénésie maximale, le titre suivant est apparu : « les périls de la science vue par Trump, en termes de santé globale ». Cela aurait pu venir de presque partout – le Washington Post ou le New-York Times, MSNBC, NPR – n’est-ce pas ? Hélas, c’est venu de cet ancien bastion de la science, le New England Journal of Medicine (NEJM).
Les auteurs sont des docteurs en médecine de Stanford, et leur réclamation est à la fois fragile et fatiguée : le manque de contraceptifs et l’interruption du financement américain de l’avortement à l’étranger sont des propositions témérairement non scientifiques qui mettent la santé en danger.
Des articles comme celui-ci font valoir un intérêt non pour des résultats objectifs mais pour une cause motivée par la politique – souvent la destruction d’une catégorie de personnes ou d’une autre. Ce n’est pas une bonne prémisse pour une discussion, scientifique ou autre. En soutien de ce conflit, tournons-nous, non pas vers le Catéchisme, mais vers un autre article du NEJM.
Sans ambages, il commence par : « La science, en dictature, devient subordonnée à la pensée dominante du dictateur. » Il identifie la direction philosophique de principe, celle de « l’utilité rationnelle », de nature hégélienne, et se lamente car elle a « remplacé les valeurs morales, éthiques et religieuses ».
Ce n’est pas normalement quelque chose que l’on peut évacuer rien qu’en le disant. Comment peut-on alors réconcilier ces approches radicalement différentes dans le même journal médical ?
Bon, je pense que je dois mentionner que le dernier article date de 1949. Son titre était Medical Science Under Dictatorship (« La science médicale sous une dictature »). Écrit par le Dr Leo Alexander, qui contribua au Code de Nuremberg, c’était un reflet de ses investigations sur la complicité des professions médicales (« la collectivité » n’était pas encore devenue une chose) dans les horreurs de la deuxième Guerre Mondiale.
Alexander soulignait la rapidité stupéfiante du déclin de la déontologie, manifesté par l’éradication totale des inutiles, des indésirables, des malades chroniques et des déloyaux. La « science » médicale de cette époque avait inventé des diagnostics de « haine invétérée de l’Allemand » pour faciliter leur élimination.
Le programme global de la recherche médicale était orienté vers « détruire et empêcher la vie ». Évidemment, Alexander nommait ce genre d’entreprise « la science de l’annihilation ». La conclusion qu’il est bon d’être un ennemi de la science dans un tel contexte semblait un impératif moral.
Il retient même le mot de « ktenologie » cette « science » du génocide ; ce n’est peut-être pas dans les dictionnaires de tout le monde, mais avec tous les moyens qui se moquent totalement de la vie que nous utilisons aujourd’hui – et cherchons pour demain – ce genre de terme devrait devenir d’usage commun (« culture de mort » peut être le plus proche).
Les exactions du régime nazi ont à l’évidence atteint des proportions de masse, mais ce qui est devenu évident aux investigateurs comme Alexander est qu’« ils ont commencé par de très petites choses. » Ils ont commencé par un simple changement subtil d’attitude – l’acceptation de la prémisse fondamentale du mouvement euthanasique selon laquelle certaines vies n’ont pas de sens. Qu’il vaut mieux s’en débarrasser.
Tout le monde n’a pas cédé. Des praticiens néerlandais (en zone occupée) l’ont vu, à travers des appels paraissant inoffensifs, ont résisté aux cajoleries et ont enduré des mesures brutales de répression – mais n’ont pas participé à l’euthanasie ni aux stérilisations. Aujourd’hui, il y a longtemps que le Troisième Reich n’est plus, pourtant, les Pays-Bas sont devenus depuis le point zéro de l’euthanasie, ce qui suggère que les idées adoptées par les Nazis – au moins leur utilitarisme « de sang-froid » – ont triomphé, un peu comme vit la règle de type soviétique concernant les absurdités dominantes du politiquement correct.
L’article d’Alexander cite de nombreux épisodes inquiétants, mais elle est néanmoins édifiante du fait de sa lucidité. Le lire est analogue à regarder un vieux film en noir et blanc qui a bien vieilli. Ou à quoi que ce soit qui inspire un sentiment d’exil. Les frontières n’ont peut-être pas changé mais le paysage des idées, lui, – à une intensité de niveau sismique tel que le présent plus que le passé, comme ils disent -, est devenu un pays étranger.
Le très « semblable » NEJM a causé un peu de remue-ménage le mois dernier, en donnant de la place au point de vue du Dr-politiquement-orienté Ezequiel Emanuel selon laquelle « les sociétés professionnelles devraient déclarer que l’objection de conscience est contraire à l’éthique. »
Emanuel parle de l’objection à des moyens variés de détruire, empêcher ou mutiler la vie humaine qui entrent dans sa rubrique tordue de « soins » – moyens qu’Alexander a mis au pilori lorsque Nuremberg était encore douloureusement frais dans les mémoires. Ainsi, vous avez bien lu : Emanuel dit qu’il serait immoral de s’opposer à ces choses ; son apologie revient, ainsi que Wesley Smith le dit succinctement, à exiger que les pro-vie quittent la médecine.
Tracer des parallèles avec les atrocités nazies peut parfois être abusif. Mais les aperçus insoutenables d’Alexander sur les attitudes qui ont conduit au désastre semblent être vraiment applicables à la mentalité d’Emanuel et de sa clique. Pour sûr, ils paraissent tenter ce qu’Himmler a demandé et fini par obtenir : la coopération de médecins et de la science médicale allemande pour d’évidentes monstruosités considérées comme nécessaires pour faire avancer un plan plus vaste (et évidemment non scientifique et inhumain).
Emanuel cherche à relancer la tactique d’intimidation qu’Alexander a décrite : « tout moment de pusillanimité ou manque d’enthousiasme pour les méthodes de la règle totalitaire et considérée comme une menace pour le groupe entier. » Comme ceux qui l’ont précédé dans l’ignominie, Emanuel sait intuitivement que celui qui ne tuera pas est une menace pour les desseins– et les mauvaises consciences – de ceux qui tueront.
Que des « scientifiques » comme Emanuel veuillent une forme de « progrès » qui abandonne l’ethos du Code de Nuremberg devrait nous servir d’indice. Ce qui intéresse Emanuel et compagnie est, pour paraphraser C-S Lewis, l’exercice du pouvoir par quelques hommes – comme eux – sur d’autres hommes, avec la « science » comme instrument. Ultimement, ils sont tournés vers la conquête finale que Lewis envisageait : l’abolition de l’homme.
C’est ce que contre quoi nous devons marcher.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/06/13/medicine-as-instrument-of-power/
Matthew Hanley est agrégé supérieur au National Catholic Bioethics Center. Avec Jokin de Irala, docteur en médecine, il est l’auteur de Affirming Love, Avoiding AIDS: What Africa Can Teach the West (« Affirmer l’amour, éviter le SIDA : ce que l’Afrique peut enseigner à l’Occident ») qui a récemment reçu le prix du meilleur livre d’une association américaine de presse catholique (the Catholic Press Association). Les opinions exprimées ici sont celles de M. Hanley et pas celles du NCBC.