Quand Claude Dagens, évêque d’Angoulême, à été reçu à l’Académie Française et a pris possession de son siège numéro 1, il s’est passé quelque chose dont n’ont pu être témoins que de trop rares invités (la chapelle du Collège des Quatre Nations est petite) : le cœur vivant et chaleureux de la République française battait dans une église ! Roulements de tambours et sabres au clair de la Garde Républicaine, huissiers en grand uniforme et lourde chaîne dorée, ordonnancement littéralement liturgique, présence d’officiers généraux et de cardinaux, du Nonce Apostolique, de nombreux prélats et universitaires, du Préfet et du Président du Conseil Général de Charente, du ministre de l’Éducation Nationale et de nombreux citoyens marquants, silence et garde à vous général à quinze heures pile pour honorer l’entrée des académiciens, tout contribuait à créer une ambiance impressionnante faite de crainte révérencielle, de curiosité aiguë et, peut-être, d’une attente légèrement angoissée ou gourmande du faux-pas, de la phrase de trop, d’un essai larvé de récupération de l’État par l’Église ou de l’Église par l’État ! C’est que nous sommes un peu trop habitués, en notre « ex-doulce France », aux débats enflammés sur les principes républicains furieusement laïcs, frontalement opposés aux positions mielleusement vaticanes d’un catholicisme supposé triomphant et dominateur. Ces caricatures se retrouvent autant dans les déclarations indignées du Grand Orient de France lors des retrouvailles universitaires franco romaines (reconnaissance des diplômes délivrés par les universités catholiques) que dans les positions ultra tridentines de minorités traditionalistes très marquées par l’Action Française, Charles Maurras et autres zélateurs d’un Ordre Public à l’ancienne mode ! Or là, sous la Coupole, on a pu voir un évêque catholique faire l’éloge d’un historien politologue très engagé, René Rémond, son prédécesseur au siège numéro 1 de l’Académie Française, sans jamais tomber dans le sermon ou la récupération ni renoncer à sa mission apostolique, puis à la longue, patiente et profonde méditation d’une académicienne, ancienne actrice (elle fut la « Jehanne d’Arc » de Bresson), faisant avec précision et humour l’éloge d’un jeune pyrénéen-bordelais doué, normalien, prêtre puis évêque, porté par les Pères de l’Église, nourri de la pensée de saint Grégoire le Grand et de saint Augustin, mais aussi du Père Carré et de tant d’autres, croyants ou non, porteurs d’intelligence et de profondeur. Là, dans cette merveilleuse église devenue l’un des temples de la culture française, éclatait la continuité de notre Histoire, qui ne s’est ni arrêtée, ni initiée en 1789, quoiqu’en pensent tant de nos contemporains. Là, sous cette coupole à la fois religieuse et civile, a pu s’exprimer cette authentique laïcité dont beaucoup ignorent qu’elle fut inventée par Jésus-Christ qui, interrogé sur l’opportunité de payer l’impôt à l’occupant romain, déclara qu’il fallait « rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » : chrétiens conscients ou citoyens actifs, nous n’avons plus le droit de diviniser César, ni de « césariser » Dieu, de brûler de l’encens devant quelque système que ce soit, ni d’en appeler à l’autorité divine pour régler nos problèmes politiques ou institutionnels. À l’heure où se posent à nos sociétés post modernes d’effroyables questions éthiques, sociales et économiques qui remettent en cause les principes mêmes de notre humanité, il serait bon de déposer les armes idéologiques, et de réfléchir sans tabou ni ostracisme à tout ce qui peut nous aider à vivre ensemble sur notre belle planète Terre.
Père Olivier-Marie de Prémesnil, CRV (Prieur du Prieuré de Montbron
Curé-doyen de La Rochefoucauld, vicaire épiscopal d’Angoulême)
(éditorial du journal paroissial Tardoire & Bandiat de juillet 2009)