Est-il utile de commenter encore un peu dans ce journal la rencontre de l’autre samedi entre chrétiens et communistes ? Sincèrement je ne le crois pas. C’est illusoire, c’est dérisoire, car tous ceux qui ont fait le geste d’acheter ce journal savent déjà à quoi s’en tenir. Mais parfois scripta volant, et qui sait ? Ces quelques lignes, le vent aidant, peuvent tomber sous les yeux d’un « communiste pratiquant », comme disait ma chère mère. Et puis je ne peux taire ce que j’ai sur le cœur.
L’on devait « discuter » lors de cette rencontre, sur le thème « Libéralisme ou Libération humaine »1. On devait s’interroger sur ce qu’il est possible de faire en France pour « endiguer l’offensive libérale tous azimuts » et sur les moyens de mobiliser les chrétiens dans un « rassemblement populaire qui…, sur une action populaire et démocratique que… ». On devait aussi tous ensemble, étudier la « libération du Tiers Monde », et peut-être même (je n’en sais rien et je n’ai aucune envie de la savoir, ayant moi-même été jadis, pendant et un peu après la guerre, un « compagnon de route »2 assez quotidiennement engagé pour savoir par cœur toute cette sinistre dérision), et peut-être même, suprême farce, sur les « droits de l’homme ».
Premièrement et du fond du cœur, je déclare qu’il n’y a rien de commun entre le militant de base et la plupart des électeurs communistes, d’une part, et les chefs, sous-chefs et intellectuels aux ordres, d’autre part. Le militant communiste est un homme sincère, profondément malheureux et tourmenté, car il croit ce qu’il dit et ce que disent ses chefs et voit bien que la société française, à 90 %, rejette ce qu’il croit. Lui-même est rarement rejeté car son milieu professionnel le respecte. Pour persister à militer dans un milieu général hostile, il faut du courage, de l’abnégation, il faut avoir appris à endurer la brûlante blessure de se sentir rejeté, soupçonné de complicité intérieure avec les crimes du communisme international3.
Le militant communiste français de base (je ne parle pas du petit permanent salarié) croit sincèrement qu’il travaille à l’édification d’un « socialisme à la française », c’est-à-dire conforme à l’image qu’il se fait de la tradition révolutionnaire française : la vraie liberté, l’égalité fraternelle, une « société juste ». Il est conforté dans cet espoir par la vie politique interne de la base du parti, c’est-à-dire par la chaleureuse camaraderie des copains. La cellule est perçue comme un cocon maternel, l’endroit où enfin l’on se retrouve entre soi, loin d’un monde mauvais. Être exclu de la vie de la cellule, ou décider d’y renoncer, c’est une terrible épreuve spirituelle, maintes fois racontée. Il n’est pas étonnant que certains exclus du parti semblent fous (je ne nomme personne). Comment ne le seraient-ils pas, ayant à jamais perdu tout espoir de salut sur terre et ne croyant à aucun autre ?
Mais au-delà du militant de base, que l’on ne peut qu’aimer, il faut voir la réalité qu’il porte sur ses épaules, la plus sinistre de l’histoire avec le nazisme.
Un socialisme à la française ? A la française, ah, cela sonne bien en France. Et le militant de base est un vrai patriote, et l’a prouvé.
Mais, camarade, te crois-tu plus malin que les communistes des dizaines de partis étrangers qui tous (tous) ont clamé avant de prendre le pouvoir qu’ils voulaient faire un socialisme à la tchèque, à la roumaine, à la polonaise, à la chinoise, à la vietnamienne… voir la carte du monde ; qui tous ont essayé, souvent en y versant leur sang (voyez les barbudos et les bodoï), et qui tous, avec une terrifiante uniformité, ont fini en très peu de temps par établir le même système de barbelés, d’exécutions sommaires, de mouchards, de police, de goulags. Et grâce à la radieuse marche en avant du progrès, un monde de lavages de cerveau, d’hôpitaux psychiatriques, de micros omniprésents, de propagande belliciste, et finalement de guerre.
Car c’est une loi : partout où un PC prend le pouvoir, cela conduit bientôt à la guerre, et même pas à la guerre de « libération », cela c’est Napoléon, j’entends ce qu’il faisait imprimer dans ses journaux, non pas, non même pas, mais à la guerre entre pays communistes.
À part le Proche-Orient où la survie d’Israël et des Palestiniens pose un problème très particulier et les guerres de décolonisation, où et comment se sont produits tous les conflits depuis 1945 ?
À la frontière sino-soviétique ; à la frontière de la Corée communiste (invasion de l’autre Corée) ; à la frontière sino-vietnamienne ; à la frontière khmero-vietnamienne ; en Afghanistan ; en Pologne ; en Hongrie ; à Berlin Est ; aux frontières de l’Éthiopie communiste (dont l’horreur intérieure est indicible)… J’en passe ! J’en oublie ! La règle est que, dès que deux partis ayant réalisé leur « socialisme à la (…) » le peuvent, ils se font la guerre. Si l’un a l’espoir d’écraser l’autre, il le fait, appelant cela « libération ». Le Vietnam a libéré le Cambodge de l’atroce Pol Pot. Mais qui était Pol Pot ? C’est curieux comme on évite maintenant de rappeler que ce tueur fou commandant une bande de tueurs fous, c’était le parti communiste cambodgien et son chef, formé en France par le parti communiste français et même plus précisément par les intellectuels communistes français et notamment les enseignants. Pol Pot était, est toujours sans doute, un délicieux commentateur de Verlaine4.
À la radio et à la TV, M. Roland Leroy5 se récrie toujours noblement quand un écervelé rappelle devant lui qu’il y a toujours en 1986, en URSS, 73 goulags, et combien de millions de bagnards ? « Mais, dit-il, nous condamnons cela, qui n’a rien à voir avec le socialisme à la française de notre programme. » Pour le programme, soit. On ne va pas, dans un programme électoral, en France, promettre les barbelés, les camps de concentration, les exécutions massives, la police omniprésente, l’épuration permanente. Et même seriez-vous sincère, cher Monsieur Leroy, cela ne change rien à l’implacable universalité de votre système, qui peut commencer de cent façons mais ne connaît qu’une fin dont l’Union soviétique nous offre le glorieux modèle. Si vous êtes sincère, alors je regrette que vous n’ayez personne à prier, car vous serez l’un des premiers que votre chère machine broiera. C’est la règle que vous devriez connaître.
Le communisme, dans les pays libéraux, qui l’autre samedi dénonçait les « offensives tous azimuts du libéralisme », le communisme de promesse, utile jusqu’à la conquête du pouvoir mais alors aussitôt bafoué, c’est la fiancée de Landru : on la pomponne, on la caresse, on lui promet un radieux avenir. Et puis on lui prend le fameux aller simple pour l’Antichambre du Paradis : la cuisinière de Gambais.
Quelle différence objective y a-t-il entre le nazisme et le communisme ?6 Ne me parlez pas des promesses : je vous les accorde sans discussion. Hitler fut un des 2 ou 3 grands criminels de l’histoire, mais il fut d’abord, chronologiquement, le misérable crétin qui annonça ce qu’il ferait : qu’il se débarrasserait des Juifs, qu’il conquerrait à l’Est son espace vital, etc. Il disait admirer Staline, le pauvre crétin. Il aurait dû mieux l’étudier. Qu’avait-il besoin de proclamer ses crimes futurs ? Il aurait dû le lire mieux, se rallier bruyamment au Komintern, promettre la libération des peuples opprimés, etc. Cela ne l’eût pas empêché d’occuper la Pologne, comme Staline, ni d’attaquer l’URSS, comme l’URSS fait à l’Afghanistan et comme elle a fait à l’Europe de l’Est, comme le Vietnam le fait au Cambodge et au Laos, etc. (voir ci-dessus). Autre différence : les tyrans non communistes finissent par crever. Ils ne sont pas immortels, comme le Parti. Pinochet crèvera un jour, j’en fais la facile prophétie. L’idiot ! Que n’a-t-il assassiné Allende après avoir adhéré à l’Internationale des armées libératrices, puis défenestré le traître social-démocrate, nouveau Mazaryk ? Le Chili serait maintenant, le reste étant égal, l’un des lieux de pèlerinage obligés des Tyrtées de la Libération des Peuples, tenant congrès avec des chrétiens béats7. Autre crétin historique, le grand Jean-Claude Duvalier, qui avait presque achevé l’« appropriation collective des moyens de production », mais ouvertement à son nom8.
Il y a deux différences fondamentales entre les tyrannies de droite et celles de gauche. Celles de droite ne durent que la vie d’un homme et encore pas toujours; et leur « appropriation du capital » ne porte pas le même nom. À droite, le capital n’est détenu que partiellement par une minorité, dite capitaliste. A gauche, il l’est intégralement, et aussi par une minorité certes, mais au nom du peuple dépossédé.
Mais à quoi bon rappeler tout cela? Voilà un demi-siècle qu’on le répète en vain. Voilà 25 siècles qu’on le sait : relisez les lettres de Platon.
Le Sublime Bavard voulait bien d’un tyran, à condition qu’il traite avec un feint respect ses intellectuels, c’est-à-dire lui. Tout le reste est littérature.
« Fais ce que voudras », pourvu que les intellectuels, et même seulement certains d’entre eux, aient justifié d’avance tous les excès par de beaux mots bien hermétiques.
Les intellectuels ont le cou raide. Il s’en trouvera toujours quelques-uns pour objecter aux vessies présentées comme lanternes. Mais d’autres, leurs chers collègues, les ont depuis toujours catalogués : ce sont les ennemis du peuple.
Quoi de plus juste, puisqu’ils refusent les médailles distribuées par les commissaires du Peuple ? « Petits, petits, venez manger dans ma main sanglante… »
Aimé MICHEL
Chronique n° 427 parue dans France Catholique − N° 2083 − 05 décembre 1986
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Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 14 novembre 2016
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 14 novembre 2016
- Quoi qu’il en soit de cette rencontre de 1986 entre chrétiens et communistes, sur laquelle j’ai recherché en vain à me renseigner, elle n’est qu’un épisode oublié d’un attrait profond de certains chrétiens pour le communisme. L’historien Philippe Chenaux (L’Église catholique et le communisme en Europe de Lénine à Jean-Paul II, 1917-1989, Cerf, Paris, 2009) rappelle qu’en dépit de l’encyclique Divini redemptoris de 1937, qui déclare sans ambages : « Le communisme est intrinsèquement pervers, et l’on ne peut admettre sur aucun terrain la collaboration avec lui de la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne », et du décret du Saint-Office de 1949, qui interdit toute collaboration avec les communistes sous peine d’excommunication, les catholiques français, intellectuels et clergés réunis, marqués par le compagnonnage avec les communistes durant la Résistance et fascinés par le communisme, ont joué un grand rôle dans la diffusion des idées « progressistes ». Ces catholiques de gauche en ont beaucoup voulu à Pie XII d’avoir condamné les prêtres ouvriers et le communisme. Trente ans plus tard, leurs enfants sont encore et même davantage sous influence. En 1976, Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste français (PCF), et Georges Hourdin, écrivain et journaliste, fondateur entre autres de La Vie catholique et de Télérama, cosignent Communistes et chrétiens, communistes ou chrétiens (Desclée, Tournai). Ce livre reproduit un discours de Georges Marchais, prononcé à Lyon en juin 1976, Appel aux chrétiens de France, complété par des documents adoptés au 22e congrès du PCF, qui définissent une « politique de la main tendue aux catholiques » ; en réponse, Georges Hourdin souligne les différences de conception du marxisme et du christianisme sur l’homme, la société et l’histoire, note que les marxistes n’entendent rien à la foi chrétienne et que ce sont eux qui sont demandeurs. Cependant, conciliant, il accepte de croire à la lutte du PCF « pour un socialisme démocratique aux couleurs de la France » et ne refuse pas une collaboration avec les communistes « sans avoir peur d’être entraînés par eux là où nous ne voulons pas aller » (cité par H. Wattiaux dans une recension du livre parue dans la Revue théologique de Louvain en 1979, http://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1979_num_10_1_1680_t1_0104_0000_1). Mais à côté de cette ouverture prudente, d’autres chrétiens (ou qui se disent tels) proposent une étonnante réinterprétation du christianisme par la pensée marxiste et adoptent les pratiques d’action politique d’un communisme lui-même en déshérence puisqu’il vient d’abandonner à la fois la dictature du prolétariat, l’internationalisme (remplacé par un communisme national voire nationaliste) et la loi de paupérisation du prolétariat, et de réintégrer les libertés formelles, etc. Ce double mouvement est bien analysé par Jacques Ellul dans L’idéologie marxiste chrétienne (Le Centurion, Paris, 1979) (sur Ellul voir la chronique n° 395, L’homme qui rêvait dans la caverne – Petit chahut au fond de la classe à propos d’un article de Jacques Ellul, 21.09.2015). Il y dénonce « une sorte de bouillie idéologique, où l’on fait entrer n’importe quoi, lorsque ce n’importe quoi correspond à l’idéologie de la clientèle » à laquelle il oppose une position intransigeante dans la ligne d’Aimé Michel. Il montre à quel point le monde intellectuel français de cette époque est sous l’emprise du marxisme, car « tout est obligé de se situer par rapport à lui » (voir par exemple la chronique n° 26, Propédeutique à la névrose, 07.06.2010). Protestants et catholiques n’échappent pas à cette emprise qui les conduit à une théologie « horizontale » sans au-delà, déclarant la mort de Dieu, réduisant le christianisme à un service des autres sans témoignage à Jésus Christ. L’espérance est dans l’homme et l’issue dans l’histoire : la révolution sera la libération de l’homme par lui-même car le péché est illusoire et l’homme aliéné seulement par les structures économiques et politique. Ellul remarque que cette attraction par Marx n’est que la dernière tentation en date pour mettre la Révélation au goût du jour : avant il y avait eu Platon et la gnose, l’empereur Constantin et le pouvoir, Aristote et l’intelligence humaine, la bourgeoisie et sa morale stricte, sa clarté raisonnable. « À partir du moment où un modèle social apparaît comme la Vérité à la forte majorité, (une vérité bien entendu diffuse et floue !), les chrétiens y adhèrent, qu’il s’agisse du Roi ou de la République, du Magisme ou de la Rationalité, du Scientisme ou du Religieux, du Pouvoir ou de l’Anti-pouvoir (…). Notre courant des Chrétiens Marxistes et autres n’est exactement rien de plus qu’un avatar de cette constante de l’histoire de l’attitude chrétienne dans la vie. » Le christianisme y devient une idéologie, c’est-à-dire « la dégradation sentimentale et vulgarisée d’une doctrine » avec « son mélange d’éléments intellectuels peu cohérents et de passions, se rapportant (…) à l’actualité », son moralisme (« définition claire et permanente du bien et du mal »), son principe de direction politique du monde, son système d’organisation de la société, et sa volonté de convertir à tout prix. Il en résulte une triple dégradation : « de la doctrine théologique en simplification, (…) de la foi en croyances et sentiments, (…) de la pratique d’une liberté en religion ». C’est le mélange des trois dégradations qui fait une idéologie. Cette idéologie marxiste chrétienne n’est pas morte aujourd’hui, même si elle a perdu son emprise et si son égarement est devenu plus facile à percevoir. Mais on aurait tort d’y voir une simple aberration passée car il s’agit d’une tentation permanente de l’esprit pour réduire les tensions induites par le christianisme que les circonstances historiques peuvent à tout instant exacerber dans des directions imprévisibles.
- Aimé Michel évoque son passé de résistant F.T.P. (communiste) dans le maquis dirigé par son frère et les maximes qui donnaient sens à leur action dans la chronique n° 371, De la résistance française à la résistance afghane, ah ! que l’histoire est rebelle – Qu’est-ce que le stalinisme ?, 06.07.2015. L’expression « compagnon de route » désigne des intellectuels qui, avant et après la guerre, se sont rapprochés du Parti communiste français mais sans y adhérer. Au nombre des « compagnons de route » des années 30 on compte Henri Barbusse, Paul Vaillant-Couturier, Romain Rolland, André Gide, André Malraux, Jean-Richard Bloch, Jean Guéhenno, Julien Benda, Louis Guilloux et bien d’autres, tous préoccupés par la montée du fascisme. Pour Jean Touchard, l’attirance pour le communisme des jeunes intellectuels à cette époque « s’explique par divers motifs étroitement enchevêtrés : la révolte contre le scandale de la guerre, l’enthousiasme inspiré par la Révolution russe qui apporte à la fois un modèle et un espoir, une sorte de romantisme révolutionnaire, le refus absolu d’une France où triomphent le Bloc national et les valeurs bourgeoises, la conviction qu’il appartient à quelques hommes de définir la voie de l’avenir. » Toutefois, « jusqu’en 1930 environ, les classiques du marxisme ne sont connus que de rares spécialistes et les dirigeants du Parti communiste français n’en ont pour la plupart qu’une connaissance très superficielle. Le marxisme, pour ceux qui s’en réclament, est le plus souvent confondu avec la Révolution russe, et Lénine avec Trotsky. » (Jean Touchard, Le Parti communiste français et les intellectuels (1920-1939), Revue française de science politique, 17 : 468-483, 1967, http://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1967_num_17_3_393018). En 1945, Jean-Paul Sartre somme les intellectuels de s’engager et nombre d’entre eux répondent à son appel comme Maurice Merleau-Ponty, Annie Kriegel, Edgar Morin, Emmanuel Le Roy Ladurie, Pierre Emmanuel… Cependant ce mouvement est limité à la France et l’Italie. L’affaire Kravchenko en 1946, les procès de Prague en 1948, la condamnation du modèle stalinien par Khrouchtchev en février 1956, l’insurrection de Budapest en octobre-novembre 1956, le Printemps de Prague en 1968 détachent progressivement les intellectuels du Parti communiste et donnent raison aux adversaires déclarés du communisme comme Raymond Aron, Albert Camus, Arthur Koestler… Sartre, en particulier, après avoir nié l’existence de camps soviétiques en arguant que le concept de camp était philosophiquement contradictoire avec celui de socialisme, met finalement un terme à son compagnonnage en 1956. Philippe Cabin explique la fascination « dévote » de tous ces intellectuels par « l’enthousiasme de l’époque et l’ivresse de l’action », « le contexte (bipolarisation idéologique, antifascisme) et la propagande du PCF », ainsi que par « l’image glorieuse de l’URSS, la fascination pour l’ouvrier et le besoin de l’intellectuel bourgeois d’“aller au peupleˮ ». S’appuyant sur François Furet (Le passé d’une illusion, Laffont/Calmann-Lévy, Paris, 1995), il invoque également les traditions politiques françaises : « passion égalitaire, jacobinisme, imagerie de la révolution » ainsi que le « message universaliste et mystique » du marxisme censé unifier science et morale. (http://www.scienceshumaines.com/les-intellectuels-et-le-marxisme_fr_12207.html). Curieusement, c’est le moment où les intellectuels marxistes (H. Lefebvre, E. Morin, D. Desanti, C. Castoriadis, P. Daix, C. Lefort, A. Glucksman, etc.) abandonnent le communisme et même le marxisme que « les chrétiens choisissent pour s’enthousiasmer en faveur de la pensée de Marx et des mouvements qui en sont issus. » (J. Ellul, op. cit., p. 20).
- Aimé Michel a, à de nombreuses reprises, exprimé sa compréhension sinon son admiration pour le militant communiste de base qu’il distingue avec soin à la fois des apparatchiks (les cadres du parti) et des militants gauchistes. Ainsi note-t-il que « dans la grande machine où j’ai travaillé pendant trente et un ans (les services de recherche de l’ex-ORTF), les gens consciencieux, honnêtes, respectueux du matériel et du travail, comptaient un nombre exceptionnel de communistes », ce qu’il analyse dans la chronique n° 212, La révolution et au-delà – De la société de gaspillage aux subversions du cœur et de l’âme (23.01.2012).
- Sur l’« auto-génocide » cambodgien, voir la note 3 de la chronique n° 224, Les vivants et la mort – Les bonnes et moins bonnes idées de M. Ziegler, 20.08.2012. Sur l’invasion du Cambodge par les troupes vietnamiennes qui y mit un terme, voir la chronique n° 365, Étrange aujourd’hui qui aspire à l’innocence – Crépuscule de cauchemar ou aube d’un changement intérieur ?, 03.08.2015, et sur Pol Pot, la chronique n° 316, Les voies de la Providence – L’histoire est faite par les hommes, mais jamais comme ils le prévoient, 17.10.2016.
- Roland Leroy, né en 1926 dans une famille ouvrière de Seine-Maritime, lui-même cheminot, résistant pendant la guerre, gravit tous les échelons du Parti communiste et devient membre de son Comité central (1956-1994) et de son Bureau politique (1964-1994). Il est élu plusieurs fois député de la Seine-Maritime entre 1956 et 1988. Il peut prétendre à la direction du PCF mais il est évincé par George Marchais. De 1974 à 1994, il dirige le journal L’Humanité, fidèle porte-parole de la ligne du PCF. C’est à ce titre qu’il intervient dans la célèbre émission de France Inter, « Vendredi soir », où il débat avec Henri Amouroux (giscardien), Pierre Charpy de la Lettre de la nation (RPR), Clause Estier de L’Unité (PS) et Jean d’Ormesson du Figaro. C’est sans doute à cette émission qu’Aimé Michel fait ici allusion. En novembre 1989, quelques jours après la chute du mur de Berlin, il déclare que cette chute répond à ses vœux, réitère le « bilan globalement positif des pays socialistes » en termes d’accès aux soins, à l’éducation et à la culture, et affirme sa condamnation du parti unique. Toutefois, en 2012, dans une série d’entretiens sur France Culture, il convient qu’en essayant d’être « stalinien honnêtement », il s’est laissé aveugler et que les communistes français ont sous-estimé la portée du rapport Khrouchtchev (https://www.franceculture.fr/personne-roland-leroy-0; http://www.telerama.fr/radio/roland-leroy-du-pcf-a-l-humanite-memoires-d-un-destin-commun-mais-pas-ordinaire,82865.php). À la question de Stéphane Manchematin « Qu’est-ce qu’être communiste ? », il répond : « C’est s’engager sans hésitation avec la volonté la plus déterminée d’agir pour débarrasser la société de l’injustice et de l’exploitation. Être communiste, c’est lutter contre les inégalités. » (http://www.humanite.fr/medias/roland-leroy-se-raconte-sur-france-culture-498763).
- « Quelle différence objective y a-t-il entre le nazisme et le communisme ? » demeure une question sensible. Elle est analysée avec soin dans un livre court, clair et profond d’Alain Besançon, Le malheur du siècle. Communisme, Nazisme, Shoah (Fayard, Paris, 1998 ; réédité dans la coll. Tempus, Perrin, Paris, 2005), dont j’ai déjà parlé à plusieurs reprises (par ex., chronique n° 339, Utopiste qui veut faire mon bonheur, t’es-tu regardé dans un miroir ? – Comment l’illusion de savoir mua la philanthropie marxiste en son contraire, 10.11.2014). Dans le droit fil de l’interrogation d’Aimé Michel, il souligne le douloureux « contraste entre l’amnésie du communisme et l’hypermnésie du nazisme. » On sait bien que ces « jumeaux hétérozygotes » (selon l’expression de Pierre Chaunu), prétendant parvenir au nom de la science « à une société parfaite en arrachant le principe malin qui fait obstacle » (la propriété et les propriétaires pour l’un, les races « inférieures », surtout les Juifs, pour l’autre), « se sont donné tous deux le droit, et même le devoir, de tuer, et qu’ils l’ont tous deux fait avec des méthodes qui se ressemblent, à une échelle inconnue de l’histoire. » Pourtant « aujourd’hui, la mémoire historique ne les traite pas également. Le nazisme, bien que disparu complètement depuis plus d’un demi-siècle, est, à juste titre, l’objet d’une exécration que le temps n’affaiblit nullement. La réflexion horrifiée à son sujet semble même gagner chaque année en profondeur et en extension. Le communisme, en revanche, bien que tout frais et tout récemment déchu, bénéficie d’une amnésie et d’une amnistie qui recueillent le consentement presque unanime, non seulement de ses partisans, car il en existe encore, mais de ses ennemis les plus déterminés, et même de ses victimes. Ni les uns ni les autres ne trouvent séant de le tirer de l’oubli. » Il existe de nombreuses causes à cette amnésie et cette amnistie qu’Alain Besançon analyse. L’une d’entre elle paraît dominante : si nazisme et communisme se prétendent philanthropiques, le premier veut le bien du peuple allemand alors que le second veut le bien de l’humanité entière. « Cet universalisme du communisme lui donne un avantage immense sur le nazisme, dont le programme n’est pas exportable ». Nazisme et communisme sont criminels, c’est entendu, mais le sont-ils également ? La réponse de Besançon « simple et ferme » mérite d’être méditée : « Pour avoir étudié l’un et l’autre, et connaissant les sommets en intensité dans le crime du nazisme (la chambre à gaz) et en extension du communisme (plus de soixante millions de morts), le genre de perversion des âmes et des esprits opérés par l’un et par l’autre, je crois qu’il n’y a pas lieu d’entrer dans cette discussion dangereuse, et qu’il faut répondre tout simplement et fermement : oui, également criminels. » (c’est moi qui souligne ; pour A. Besançon ce refus d’entrer dans la discussion est le seul moyen de résister aux entrainements « démentiels » de l’idéologie, voir note 3 de la chronique n° 339 déjà citée).
- Sur le gouvernement de Salvador Allende (novembre 1970 à août 1973) et le putsch militaire d’Augusto Pinochet, voir la chronique n° 95, Du bon usage des ennemis – Zadig IV ou pourquoi les Américains avaient intérêt à la Révolution d’Octobre (07.01.2013).
- Jean-Claude Duvalier, dit « bébé doc », succède à son père François, dit « papa doc », en 1971 à l’âge de 19 ans. Il poursuit la tradition dictatoriale de ce dernier et son pays, Haïti, qui était l’un des plus pauvres du monde, le reste. La milice des « tontons macoutes » continue de torturer et assassiner les opposants et de faire régner la terreur. Une révolte populaire chasse bébé doc en 1986. Divers gouvernants lui succèdent dont le prêtre-président Jean-Bertrand Aristide ; ce dernier se heurte aux évêques et la hiérarchie catholique elle-même se divise entre soutiens des mouvements populaires et partisans de l’oligarchie. Après 25 ans d’exil en France, Jean-Claude Duvalier revient à Haïti en 2011. Les plaintes pour arrestations illégales, tortures, détournements de fonds et corruption se multiplient, si bien qu’il doit finalement se présenter devant la cour d’appel de Port-au-Prince en 2013. L’année suivante la cour estime qu’il peut être jugé non seulement pour ses délits financiers mais également pour « crimes contre l’humanité » mais il meurt en octobre 2014 d’une crise cardiaque à 63 ans avant son jugement.