L’époque est au retour sur le passé, avec des degrés inégaux d’impartialité et de lucidité. C’est que nous sommes, que nous le voulions ou pas, façonnés par une histoire que nous n’avons pas faite et qui nous poursuit néanmoins. Il en va de la période de la Seconde Guerre mondiale (l’historien Henry Rousso parlait fort justement d’« un passé qui ne passe pas ») comme de la déchristianisation de la France. Guillaume Cuchet vient de publier à ce propos un ouvrage qui donne énormément à penser, parce qu’il oblige à réviser les opinions toutes faites (Comment notre monde a cessé d’être chrétien ?, Seuil). C’est vrai que l’on a assisté dans les années soixante à un effondrement de la pratique religieuse et que ce phénomène a suivi Vatican II. Ce n’est d’évidence pas le concile qui est responsable, même si Guillaume Cuchet peut établir des corrélations sur lesquelles il faudra revenir. La déchristianisation des dernières décennies concerne l’Europe et en partie l’Amérique du Nord. L’expansion de l’Évangile dans le monde n’a cessé de se poursuivre. Pourquoi Vatican II ne pourrait-il pas en être crédité ?
Il n’empêche que certaines questions graves demeurent posées, auxquelles il n’a pas été répondu. J’ai eu à connaître personnellement, à ce sujet, du diagnostic qu’opérait le cardinal Lustiger sur la situation de l’Église de France, au moment où il prenait la responsabilité de l’Église de Paris (1981). Le cardinal donnait le sentiment qu’il avait à amorcer une œuvre de reconstruction à partir des dommages et des échecs dont il avait analysé la nature avec sagacité. D’où l’œuvre de renouveau accomplie et dont nous sommes toujours tributaires, en regrettant qu’elle ne se soit pas plus développée sur l’ensemble de la France. Si une leçon est à retenir, c’est bien la nécessité d’allier la lucidité sur ce qui s’est produit au courage d’une nouvelle entreprise d’évangélisation. Il faut résolument écarter les rancœurs et les animosités pour se concentrer sur une renaissance de la foi, qui n’a rien de chimérique et dont on peut observer nombre d’indices dans la ferveur des jeunes gens, qui ne craignent en rien leur situation minoritaire et savent que c’est la Révélation du Seigneur qui donne le sens de leur vie. Dans un monde désenchanté, dont les idéologies ne parviennent pas à éveiller d’intérêts durables, la nouveauté du christianisme peut être perçue d’une façon surprenante.
Le retour sur le passé peut aider à se situer dans une histoire forcément conflictuelle. Il peut être paralysant s’il consiste à régler des comptes ou à se complaire dans la morosité. Il peut être stimulant s’il renforce notre lucidité et inspire l’audace des pionniers qui apparaissent à tous les âges. Pourquoi pas au nôtre ?