De nombreuses images défilent dans mon esprit quand j’évoque cette question. Certaines populaires : Indiana Jones criant à un homme portant un fez rouge, alors que le bateau qui les porte est mis en pièces par une hélice en rotation derrière eux « nous allons mourir tous les deux ! » L’homme réplique : « mon âme est prête, et la vôtre ? »
D’autres images sont de dévotion : la mosaïque de Sainte Agnès au Sanctuaire National, nous la fêtons comme bienheureuse (beata), pourtant elle est morte en martyr à l’âge de 13 ans. D’autres images sont personnelles : je pense à ce que quelqu’un a dit après que mon fils Thomas soit décédé de la mort subite du nourrisson à l’âge de sept semaines, « nous pouvons tous nous réjouir qu’il soit maintenant avec Dieu », ce à quoi Ruth, sa mère, avait répliqué : « mais il est passé à côté d’être un garçon ».
Je pense à Socrate qui disait que vivre bien signifiait ne pas se soucier de la mort, et à Aristote qui disait qu’il est honteux de préférer un vie plus longue à une vie bien vécue. Je réfléchis à ces millions de jeunes gens qui, dans les grandes guerres, en notre nom, « ont donné la pleine mesure de leur dévouement », sans prétention aucune.
Comme toujours, l’Ecriture semble un guide sûr. Qui peut ne pas aimer l’extravagance extrêmement romantique de Saint Paul ? « Pour moi, vivre c’est le Christ et mourir est un gain » (Philippiens 1:21). Il dit : pour moi. « Si vivre dans la chair, explique-t-il, signifie servir efficacement, je ne sais pas que choisir. Je suis pris dans un dilemme. Mon désir est de partir et d’être avec le Christ car c’est de beaucoup le meilleur. » (versets 22-23)
Le langage qui m’a donné récemment le plus à réfléchir est celui de Pierre : « n’oubliez pas ce fait, pour le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un seul jour » (2 Pierre 3:8).
Des gens disent qu’il ne fait que répéter le psaume 90, mais pas tant que ça. Le psalmiste dit : « car un millier d’années à tes yeux sont comme hier quand il est passé ou comme une veille dans la nuit » (v.4). Saint Augustin commente judicieusement que le psalmiste prend soin d’ajouter « comme une veille », qui était de trois heures, pour contrer toute tentative de calquer les années sur les jours. De même, nous dit Saint Augustin, par « hier », il ne veut pas dire le jour précédant aujourd’hui mais tout le temps passé parce que tout laps de temps est aux yeux de Dieu comme s’il était déjà fini. (Vous aussi vous pouvez facilement consulter les commentaires des psaumes de Saint Augustin.)
Mais Saint Pierre, pour sa part, exclut les histoires de veille. Il ne fait pas du tout référence à hier. Et plus important, il met en avant sa propre idée, entièrement nouvelle qui est « pour le Seigneur, un jour est comme mille ans ». L’idée de l’Ancien Testament était la grandeur de Dieu d’âge en âge, incluant nos millénaires.
Cette nouvelle idée est que la grandeur de Dieu donne de la densité même à de courts laps de temps. Si Dieu inclut des millénaires parce qu’il est infiniment « grand », alors il donne de la densité à un seul jour parce qu’il est également infiniment « petit », comme le point d’un cercle : la présence de Dieu est comme un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part, comme l’a dit Saint Augustin.
Eh bien, même Aristote affirmait la présence de Dieu dans la petitesse : « nous ne devons pas reculer avec une aversion puérile devant l’examen des plus humbles animaux. Chaque domaine de la nature est merveilleux ». Thornton Wilder évoquait sûrement la densité du temps lui aussi quand, dans « Our Town » (Notre ville), Emily retourne à son enfance et trouve la vie ordinaire insupportablement douloureuse : « je ne peux pas regarder suffisamment chaque chose… oh, maman, regarde-moi rien qu’une minute comme si tu me voyais réellement ».
Est-ce aller trop loin que de trouver en Saint Pierre une notion encore plus frappante ? Après tout, son langage semble inviter à calquer les années sur les jours et inversement. Amusons-nous à faire le calcul. Si un jour pour nous est comme mille ans pour Dieu, alors un jour pour nous est comme 365 000 jours pour Dieu. Un jour étant approximativement de 36 000 secondes, alors un des « jours de Dieu » pourrait être trouvé dans chaque centième de seconde, avec probablement un début, un milieu et une fin – soit la plus courte durée que nous puissions remarquer. Les vidéo modernes semblent ininterrompues avec seulement 60 images par seconde uniquement en raison de la persistance de l’image.
(Les amis mathématiciens pourront se demander ici si Saint Pierre anticipait le concept moderne de l’infini – c’est-à-dire qu’un ensemble infini est un ensemble dans lequel un sous-ensemble approprié peut être associé un par un à tout l’ensemble – puisqu’il ne trouve aucune difficulté avec les millénaires assimilés aux jours, et les jours assimilés aux instants.)
Spirituellement, l’application habituelle de l’idée de Saint Pierre sur la densité du temps est la pratique de vivre le moment présent, « l’abandon à la divine providence » de Jean-Pierre De Caussade. Le passé et le futur n’existent pas vraiment, après tout, alors que le présent contient, dans notre relation à Dieu, une infinité virtuelle.
Bien sûr, Saint Pierre faisait référence au retour du Seigneur : et cela a du sens que quelqu’un ayant le même amour excessif que Saint Paul mais qui aurait renié le Seigneur et aurait besoin d’attendre une journée pour se réconcilier avec Lui considérerait effectivement ce temps comme s’il durait mille ans.
Mais je veux appliquer cette maxime à ma question première. Si un jour est mille ans, et vivre mille ans serait sûrement suffisant, alors « avec le Seigneur », la durée de la vie a-t-elle de l’importance ? Reconnaissons qu’un personnage tel qu’Ivan Ilych qui se serait repenti et voudrait du temps pour le prouver penserait ainsi. Ou Saint Thomas d’Aquin et d’autres théologiens médiévaux qui parlent d’un « livre de vie » comme n’étant pas une fiction puérile : de même, quand une âme immortelle commence son existence, sa vie est sûrement remarquée par Dieu et « enregistrée » par Lui.
Il est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob – « non pas le Dieu des morts mais des vivants » (Marc 12:27). Il est le Dieu de mon petit Thomas – et le vôtre.
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Michael Pakaluk est spécialiste d’Aristote et ordinaire de l’Académie Pontificale Saint Thomas d’Aquin. Il est doyen de l’école d’industrie et de commerce Bush de l’Université Catholique d’Amérique. Il vit à Hyattsville (Maryland) avec son épouse Catherine, également professeur dans le même établissement, et leurs huit enfants.
Illustration : « Saint Pierre prêchant » par Masolino da Panicale, 1426-1427 [Chapelle Branacci, église Notre Dame du Mont Carmel, Florence]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/01/22/does-length-of-life-matter/