Le mardi 12 décembre au soir, dix jours après la cérémonie d’obsèques de Fidel Castro à La Havane, Ileana de La Guardia (réfugiée politique depuis 1991), Félix José Hernandez (réfugié depuis 1981) et moi-même, avons examiné de quelle façon certains responsables politiques et journalistes ont réagi à la mort de Fidel Castro le 25 novembre dernier. à déplorer : les éloges borgnes d’un Jean-Luc Mélenchon ou d’un inspecteur Filoche, et les formules passe-partout du type « grande figure », susceptibles de s’appliquer aussi bien aux grandes figures de la liberté, de la sainteté ou du crime. Inutile de s’interroger à l’antenne sur l’origine des épitaphes flatteuses, tant l’enjeu idéologique (« le régime cubain en tant que réalisation la plus heureuse de l’utopie communiste et nationaliste ») demeure intriqué dans l’enjeu narcissique (« Fidel, c’est toute ma jeunesse ! »). Y domine une volonté bancale : vénérer l’icône, et occulter la réalité un peu trop contrariante qui lui est associée. D’où l’insistance sur la figure de l’éternel jeune Fidel, seul leader capable de mettre en échec l’ogre nord-américain, et l’escamotage de la bête de pouvoir qu’il a été au long de son interminable règne.
Tous les confrères de la presse écrite n’ont pas témoigné du même recul critique que Paulo A. Paranagua (Le Monde) ou Axel Gylden (L’Express). Là où a le plus manqué le sens du discernement, c’est sur certains plateaux de télévision où, comme par hasard, se trouvaient invités des « experts » prompts à fêter le bilan des frères Castro et peu enclins à en reconnaître le coût, manifestement recommandés par l’ambassade de Cuba à Paris. Que M. Stéphane Witkowski, régulièrement sollicité, parle une langue de bois, passe encore. Mais seul le téléspectateur crédule s’y laissera prendre. En revanche, et dans cet autre cas, qu’après avoir entendu son « bilan extrêmement positif », un journaliste de France 24 prenne tant de précautions oratoires pour évoquer face à M. Victor Fernandez, président de Cuba Coopération France, des « critiques justifiées sur les libertés individuelles, les droits de l’homme », il y a de quoi s’alarmer. En effet, Robert Philomé, le journaliste de France 24, s’exprima comme s’il avait craint d’offenser son interlocuteur ou, pire, comme s’il avait eu à redouter quelques représailles : « Est-ce que pour vous, c’est une question INEXISTANTE ? Qu’on ne doit pas aborder ? À laquelle on accorde trop d’importance ? »
Il restait à faire notre job ! C’est pourquoi avec Félix José Hernandez et Ileana de La Guardia nous avons prié Mme Ségolène Royal de se saisir d’une feuille de papier et d’un crayon pour noter les noms des prisonniers politiques que nous allions énumérer à l’antenne. Mme Royal, désignée par le gouvernement français pour le représenter à La Havane, estimait que leur liste était introuvable ? Nous l’avons portée à sa connaissance. Arrêtée au 25 avril dernier, elle comporte les noms de 93 prisonniers politiques, dont 11 objecteurs de conscience.
Qu’ils s’appellent Alexander Alan Rodriguez, détenu – sans jugement – depuis le 8 juillet 2015 pour « désobéissance », Oswaldo Arcis Hernandez, membre de l’Union syndicale des travailleurs indépendants, condamné à deux ans pour « dangerosité sociale », Leonardo Cobas Pérez, membre de l’Union patriotique de Cuba, condamné à cinq ans pour « trouble à l’ordre public », ou Raibel Segundo Pacheco Santos, condamné à quinze ans pour « rébellion », la plupart demeurent en détention. Sur ces 93 prisonniers, seuls 26 sont assignés à résidence. Plus d’une vingtaine ont purgé de 13 à 24 ans de détention. C’est le cas de Pedro de la Caridad Alvarez Pedroso, détenu depuis le 29 décembre 1991, pour « infiltration sur le territoire national cubain », et, parmi les autres prisonniers, de sept d’entre eux, tels que Harold Alcala Aramburo ou Yoanny Thomas Gonzales, condamnés pour « piraterie », pour avoir eu l’intention de quitter Cuba à bord d’une embarcation.
Nous avons mentionné les arrestations, harcèlements et intimidations qui se poursuivent depuis la mort de Fidel Castro. à peine libéré après 10 mois de détention, l’artiste de rue cubain « El Sexto », Danilo Maldonado, vient d’être incarcéré pour avoir taggué ces deux mots : « SE FUE » (« Il est parti »). à l’opposé du bilan prétendument positif des Castro au pouvoir depuis un demi-siècle, il n’y a aujourd’hui à Cuba ni liberté d’expression, ni liberté politique, ni liberté syndicale, ni liberté de circulation. Il est toutefois exact, ainsi que l’a souligné Mme Royal, que le peuple cubain est courageux. En témoignent les membres de la Comision Cubana de Derechos Humanos y Reconciliation Nacional qui s’efforcent de tenir à jour la liste des prisonniers politiques.
« Décryptage », Radio Notre-Dame, 100.7, du lundi au jeudi, 18h17-19h10.