Pour célébrer le premier centenaire de l’image animée, le Vatican a publié une liste de 1995 énumérant ce que quelqu’un là-bas considérait comme les 45 meilleurs films de tous les temps : à raison de 15 par catégorie : religion, valeurs et art. Bien que d’atmosphère majoritairement internationale, la liste comporte environ une douzaine de films américains, qui n’ont en fait pas été choisis parmi les meilleurs des films catholiques produits aux US. Il n’y a pas « La chanson de Bernadette », ni « Allant mon chemin », ni « Les cloches de Sainte Mary », ni « Dieu le sait Monsieur Allison », et le plus grand oubli de tous : « Les lys du champ », un film digne d’être inclus dans chacune de ces catégories.
Les Lys est surtout connu, bien sûr, comme le film qui a fait sortir du lot Sydney Poitier. Il a gagné l’Oscar du meilleur acteur en 1964. Le film du metteur en scène Ralph Nelson a également été nominé dans cinq autres catégories, y compris celle du meilleur film – et aurait bien pu gagner le premier prix s’il n’y avait pas eu le Tom Jones de Tom Richardson, qui a été nominé pour dix Oscars et en a gagné quatre. (Albert Finney aurait gagné la récompense du meilleur acteur comme Tom Jones, s’il n’avait pas été rival de l’Homer Smith de Poitier)
Les lys avaient pour base une nouvelle éponyme de 1962 de William E. Barrett, qui diffère à certains égards du film, bien qu’ils soient tous deux des méditations sur la foi et la liberté ; sur la façon dont Dieu nous utilise, nous les humains, pour atteindre des buts que nous n’avons jamais eu l’intention de poursuivre.
Homer Smith conduit son break sans but, vers le sud est, son voyage ayant commencé quand il a été libéré d’un poste de l’armée à Fort Lewis dans l’Etat de Washington. Il va peut-être vers la Caroline du sud, le domaine de son enfance. Mais un matin de mai, il se détourne sur une route de terre du Nouveau Mexique, qui conduit à une ferme délabrée où travaillent des femmes (sans hommes remarque-t-il) et où il espère trouver du travail.
Evidemment, les femmes sont des religieuses, réfugiées d’Europe de l’est, et la mère Marie Marthe en est la supérieure. (Dans le film, elle est simplement Mère Marie). Elle sait pourquoi Smith, qu’elle appelle Homerus Schmidt, est venu, même si lui-même ne le sait pas.
Il insiste : « Je ne faisais que passer. »
« Ja, » dit-elle, « mais vous n’êtes pas passé ! »
Vous savez la suite : Homer construit une chapelle pour les sœurs, qui y voient le premier pas vers la création d’un refuge pour les garçons immigrés délinquants, qu’elles disciplineront et à qui elles feront l’école.
Quand Monsieur Nelson, un des premiers directeurs à succès de la télévision, a lu le livre de Barrett, il a aussitôt décidé d’en faire un film. Cependant, apparemment tout Hollywood en a refusé le lancement. Mais il était tellement sûr que ce pourrait être un grand film qu’il a mis de côté un budget de 250 000 dollars en y mettant presque tout ce qu’il possédait comme caution, et en promettant de réaliser le film en deux semaines. C’est l’expression de la foi la plus claire qu’on puisse jamais trouver dans tout Hollywood (et peut-être un miracle.)
Le scénario de James Poe, qui était peut-être bien plus long dans sa version imprimée que le livre de Barrett, est économique, et la mise en scène de Nelson (qui se comporte en homme d’affaires fournissant de mauvais gré le matériau de construction aux sœurs) est tout aussi efficace.
Nelson avait déjà travaillé avec l’actrice australienne Lilia Skala (Mère Marie), et il a réussi a tirer d’elle une performance raffinée qui valait bien son Oscar de nomination comme second rôle féminin. En vérité, elle était un co-premier rôle bien sûr, mais l’Union des Artistes a probablement pensé qu’elle avait une meilleure chance de gagner dans la catégorie en dessous, si l’on peut dire.
Mais Monsieur Poirier est la véritable cause du succès du film – à l’époque, et maintenant. Je crois fermement qu’il est aussi responsable que n’importe qui, sauf Martin Luther King Junior, du changement de perception des noirs chez beaucoup d’Américains. Peu d’autres acteurs ont incarné l’intelligence, la décence, et la force morale aussi superbement que lui. Bien des racistes ont pensé : « Il est meilleur que moi. »
Il est clair, aussi bien dans le livre que dans le film qu’Homer Smith veut construire entièrement la chapelle, bien que son hostilité envers ceux qui un jour viennent à son aide soit plus marquée dans le livre. Il veut tout le mérite pour lui, parce qu’il ne veut pas qu’il revienne à la foi de mère Marie, qui est étrangère à ses sensibilités de baptiste du sud, et parce qu’il ne veut pas subir son contrôle ni celui de quiconque- pas même celui de Dieu.
Dans le film comme dans le livre, Homer termine son travail, et repart simplement, sans dire au revoir aux sœurs. Mais il reste dans le livre quelques pages dans lesquelles Barrett raconte ce qui est vite devenu la légende d’Homer Smith : une convergence de nouvelles histoires, de rumeurs chuchotées et de pensées irréalistes pieuses qui font d’Homer un personnage mystérieux et saint venu de nulle part un jour, sûrement envoyé par Dieu, et disparu une nuit. Presque une apparition.
La publicité a engendré plus de publicité, écrit Barrett, et les touristes sont venus voyager dans une partie de l’Etat qu’ils n’avaient jamais vue parce qu’on leur a dit qu’une expérience inhabituelle les y attendait, qu’il y avait là un sanctuaire moderne. Et puis : Personne ne peut expliquer ces choses.
L’argent se déverse. D’autres religieuses arrivent, et l’école de mère Marie Marthe est construite, et les garçons perdus deviennent des hommes retrouvés.
Les religieuses baptisent la chapelle du nom d’un saint franciscain du 16° siècle, Saint Benoît le Maure, et une espèce d’icône peinte par une des sœurs montre Homer sous le nom de Benoît, et orne un des murs de la chapelle.
Ce n’est qu’après avoir lu le livre de Barrett l’autre jour, que j’ai réalisé que « Les lys des champs » avaient très bien pu prendre forme dans l’esprit de l’auteur en entendant la légende venue du Sud-ouest, de Saint Joseph de l’escalier (fort bien racontée dans ces pages il y a sept ans par Matthieu Hanley). Les trois ou quatre fois où j’avais vu le film, cela ne m’était pas venu à l’esprit.
Comme l’explique Mr Hanley, dans la chapelle de Lorette à Santa Fe (construite pour des religieuses françaises dans les années 1870 comme adjonction à leur lycée de garçons) il y a un escalier hélicoïdal qui conduit au grenier du chœur de la chapelle, construit de la main d’un seul étranger qui est apparu mystérieusement après que les sœurs aient fait une neuvaine à Saint Joseph. L’escalier, un vrai chef d’œuvre peut avoir été l’ouvrage d’un charpentier français…ou d’un charpentier de Nazareth.
Mais sur ce sujet, comme Joseph dans l’Evangile, la vérité est silencieuse.
Photo : Sidney Poitier and Lilia Skala.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/08/05/the-legend-of-homer-smith/