La controverse sur le voile, que nous évoquions hier, renvoie aux fondements même de notre République, au plus près du sens étymologique du terme, qui n’est pas sans soulever des problèmes aigus de philosophie politique. La res publica, la chose publique, autrement dit l’instance du bien commun dans notre pays, est garante de la concorde et de l’équilibre social. Elle se doit de rallier le consentement des citoyens qui reconnaissent en elle une médiation indispensable. C’est pourquoi on est particulièrement attentif au respect de ses principes constitutifs, sans lesquels elle perd sa légitimité. Parmi ceux-ci, en France, il y a la laïcité, un concept qui nous est propre et désoriente souvent les étrangers qui reconnaissent d’autres principes plus en cohérence avec leur histoire nationale.
Faut-il rappeler que ce que nous appelons laïcité ne se comprend qu’au travers des convulsions de notre histoire, qui ne commence ni à la Révolution, ni au début du XXe siècle. Pour s’en persuader il faut lire l’ouvrage novateur de François-Marin Fleutot sur Les rois excommuniés (Le Cerf). Oui, il y eut entre l’Église catholique et la monarchie capétienne des conflits incessants, non pas pour incompatibilité doctrinale – les rois étaient bien très chrétiens – mais pour définir les périmètres de ce qui appartenait à l’autorité religieuse et de ce qui appartenait à l’autorité politique. Les conflits vont rebondir avec l’avènement de la République, à ceci près qu’ils prennent un caractère d’incompatibilité que l’on pourrait dire spirituel.
On parle à juste titre d’un combat pour diminuer l’influence du catholicisme sur les esprits. Ce n’est pas pour rien que l’offensive est menée contre les congrégations enseignantes et que des dizaines de milliers de religieux sont contraints de quitter le territoire. La loi de séparation de 1905, dans sa première élaboration, s’inscrit dans cette logique d’hostilité. Grâce à Aristide Briand, à qui il faut reconnaître ce mérite, elle se transformera en tentative de pacification. Elle parviendra à cet objectif, moyennant des négociations avec le Saint-Siège, qui permettront notamment le rétablissement des relations diplomatiques. Ainsi va naître ce que le maître historien Émile Poulat appelait « notre laïcité publique » d’essence toute pragmatique. L’islam est-il prêt aujourd’hui à se rallier à ce pragmatisme, lui qui n’a pas participé à la même histoire ? L’affaire est des plus épineuses.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 23 octobre 2019.
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