La joie de la tristesse - France Catholique
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La justice de Dieu
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La joie de la tristesse

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La question de savoir si le péché rend heureux, ressemble à celle de savoir si le gin rend heureux. Je pense ici à la merveilleuse gravure du XVIIIe siècle de William Hogarth, « Le Chemin du gin ». Beaucoup des personnages de cette gravure sourient, y compris la dame du premier plan sur les marches, dont l’enfant est en train de tomber en chute libre de la balustrade, du fait de l’inattention de sa mère.

Oui, pourrait-on répondre, mais personne ne s’occuperait de commettre des péchés s’il n’y avait pas un certain plaisir. Ce sont seulement les conséquences qui enlèvent l’attrait du péché.

La publicité commerciale aujourd’hui comme hier, et probablement demain, est fondée sur la notion que divers péchés mortels sont en réalité véniels, ou peut-être même innocents, et salutaires. « Vous méritez une pause aujourd’hui » était à mon avis le parfait slogan publicitaire. Je ne peux même pas me rappeler ce qu’il vendait : probablement la Gourmandise, avec un côté Paresse, dans une sauce d’Orgueil. Probablement n’importe quoi.

Si j’étais un Marshall McLuhan moderne, enseignant au Collège ex-catholique Saint-Michel ici à Toronto, je ferais défiler des publicités populaires devant mes étudiants, en leur demandant de noter quels péchés mortels chacune est en train de vendre. « Marquez chacune d’entre elles, jusqu’à sept ! »

Zéro pour les petites publicités de détail qui vous disent seulement où une certaine classe de biens est disponible : quincaillerie, par exemple. Ou épiceries de base.

Sept pour une campagne publicitaire pour des voitures de luxe qui vous fait savoir que posséder la voiture en question vous fera traverser l’Envie, pour satisfaire même votre Colère. Car, « vivre bien est la meilleure des vengeances », et la seule vue de la chose va régler leur compte à vos voisins.
Gentillesse est le substitut contemporain d’innocence. Les enfants et les animaux peuvent être gentils. Et le sucre est doux comme la sentimentalité. La ruse n’est pas seulement d’accentuer les plaisirs bourgeois du consommer et du paraître, tout en dissimulant les coûts associés (« tant pis pour le contrat de crédit »). C’est faire que la complaisance semble innocente et douce.

Relax ! Qu’y a-t-il de mal à faire une pause aujourd’hui, loin de toutes ces tâches sacro-saintes qui vous oppressent les autres jours ?

Une substitution du même genre requiert la promotion de nouveaux péchés, comme exutoires de la culpabilité qui est endémique à la nature humaine. Pour rétrograder le mortel dans le véniel, nous devons aussi promouvoir le véniel dans le mortel. Être gros, par exemple, transforme l’« innocent », et plutôt mignon petit péché de Gourmandise.

C’est là où, par exemple, la diète entre en jeu. Si vous êtes gros (en succombant à toutes les diverses suggestions commerciales), vous devriez vous sentir mal à l’aise à ce propos. Non pas juste un peu penaud d’avoir été si bête : vous devriez sentir que vous avez fait quelque chose de mal. Il vous faut reconnaître votre péché, et acheter ces produits amaigrissants, par compensation. Il n’y aura pas d’absolution avant.

Ce qui marche dans le commerce, marche aussi en politique, par les mêmes méthodes publicitaires. Les choses vont mal, mais ce n’est pas de votre faute ; tout peut être arrangé en achetant notre produit. L’astuce ici est au niveau sociétal. Pensez aux profits, pas aux coûts. Les coûts de toute façon seront reportés sur les « riches » qui ont les moyens ; si bien qu’en plus d’obtenir la chose gratuitement, vous aurez le plaisir de la leur coller sur le dos. Parce que vous méritez une pause aujourd’hui.

Ce qui me peine maintenant, c’est de voir ma propre Eglise user des mêmes méthodes dans l’espoir qu’elle va vendre son « produit » aux masses. Et inévitablement, en adaptant le produit pour le faire vendre. Nous avons une « marque » qui a baissé dans l’estime du monde, mais avec quelques petites torsions et un nouveau boniment alléchant, elle va se vendre à nouveau. Comme une nouvelle voiture de luxe, ou une barre de chocolat, le catholicisme aussi peut vous rendre heureux.

De Rome, on nous dit – et cela vient apparemment des environs du sommet – que l’échec de l’Eglise pour attirer l’homme moderne, occidental, commercialisé, est en réalité seulement un échec de stratégie de marketing.
Nous avons insisté sur les coûts, nous devrions insister sur les bénéfices. Nous avons besoin d’un message positif, un ton plus optimiste. Nous devons paraître plus « ouverts », en pleines lumières et avec une meilleure signalisation. Nous devons écarter du distributeur automatique les obstacles pour que les gens soient moins réticents à acheter.

En particulier nous devons avoir la volonté d’étendre le « crédit » spirituel. Laissez les gens en état de péché mortel goûter aux Sacrements, maintenant ; ne les faites pas attendre. Laisse-les faire des versements graduellement, avec ou sans intérêts, mais après avoir pris possession. Personne ne pourrait vendre des voitures en exigeant d’être payé rubis sur l’ongle, ou des voitures sans emprunts logement. Ce n’est de cette façon là que marchent les affaires.

Non, un petit versement pénitentiel, peut-être (pour être allégé pendant les ventes de l’Année de la miséricorde) et vous pouvez y aller. Ou prendre les clefs du royaume et démarrer – aujourd’hui.

Chez les catholiques traditionnels (de « tradere », transmettre), les objections ne sont pas seulement doctrinales mais intuitives. On sent que si on vendait des voitures usagées, cela ne marchera pas tant qu’on n’aura pas trouvé des vendeurs plus dégourdis. Même avant de trouver un chapitre ou un verset, dans la Bible et le catéchisme, nous sentons que ce que nous sommes en train de faire est minable, et tout à fait faux.

En pensant à cela, je suis frappé par le fait que mon amour pour le Christ a plusieurs aspects. L’un d’eux particulièrement me vient à l’esprit. Il était le vir dolorum, l’homme des douleurs. L’iconographie, spécialement celle de l’Europe du Nord médiévale, met l’accent sur les blessures de la Crucifixion ; et même dans mon esprit « plus méditerranéen », Gethsemani est le centre.

Notre Seigneur a été rempli de tristesse par le spectacle de notre monde. Sa vision de notre péché dans les âges passés et futurs ont pesé sur lui. Et pourtant même dans ce jardin – Gethsemani où autrefois a été l’Eden – Il a planté la joie, une joie plus grande, salvifique.

C’est ainsi qu’a été plantée notre propre joie, et notre espérance dans le triomphe final : dans ce jardin des douleurs, cette vallée de larmes. Notre joie est nourrie, non dans les campagnes publicitaires qui vous anesthésient, mais dans ce sol plein de larmes ; dans notre tristesse.

Vendredi 16 octobre 2015

http://www.thecatholicthing.org/2015/10/16/the-joy-of-sadness/

Gravure : « Gin Lane » (Le chemin du Gin), gravure de William Hogarth, 1751, British Museum, Londres.