L’hospitalité d’Abraham est un thème qui a inspiré de très nombreuses icônes et nourri bien des méditations théologiques, tout au long de l’histoire de l’Église. On y a vu la première révélation de la Trinité, puisque le visiteur qu’accueille Abraham est tantôt désigné au singulier, et tantôt représenté par trois mystérieux personnages.
Mais ce qui va nous retenir aujourd’hui, c’est l’attitude d’Abraham, face à cette visite inattendue. C’est pourtant un chef de clan, c’est un homme âgé, mais il s’abaisse autant qu’il le peut devant celui qui l’honore ainsi de sa présence. On pourra invoquer tant qu’on veut les traditions d’hospitalité chez les peuples du désert. Là nous sommes bien au-delà. Abraham et Sara, qui ont des serviteurs font l’essentiel du service : Sarah prépare les galettes, Abraham choisit le meilleur veau, le fait préparer et présente le caillé. Pendant tous ces préparatifs qui ont pris du temps, il s’est assuré que le voyageur pouvait se mettre à l’aise et que de l’eau lui ait été apportée pour qu’il puisse se laver les pieds, ce qui n’est pas de trop quand on a marché dans la chaleur et la poussière.
Mais le service ne s’arrête pas là : « Il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, pendant qu’ils mangeaient. » Il ne les reçoit pas à sa table, il est là à leur service, prêt à aller chercher ce qui leur manquerait ! On est confondu devant ce respect, ce soin si délicat, cette immense humilité. A-t-il reconnu son Dieu ? A-t-il eu conscience de recevoir des anges ? Qui pourrait le dire ? Mais il représente ici l’homme religieux qui prend l’attitude juste devant la majesté divine.
Le culte de Dieu se désigne en hébreu par le même mot que le « service », mot qui peut prendre aussi, dans certains contextes, un sens plus désagréable : servitude, esclavage. Les Hébreux n‘ont été délivrés de la servitude de Pharaon qu’en accédant à leur vraie dignité qui est le service du Dieu vivant et vrai. Dieu nous demande de le servir et nous n’en sommes pas humiliés pour autant. Le service n’est rien d’autre que la reconnaissance du fait que nous avons tout reçu de lui, nous saluons avec joie son incomparable souveraineté, sa sagesse infinie et nous nous offrons, autant qu’il nous est demandé à entrer dans ses vues et à contribuer à son œuvre. C’est nous qui sommes gagnants dans l’opération : nous ne pouvons rien ajouter à sa perfection, mais en le servant nous participons à sa gloire, nous devenons nous-mêmes lumière ! La majesté de Dieu, c’est le rayonnement qui s’étend autour de lui, qui comprend des myriades d’anges groupés en chœurs successifs et puis les saints dans leur incroyable diversité, qui entourent son trône…
N’ayons pas peur de servir les autres. Aujourd’hui tout le monde voudrait ne dépendre de personne. Le slogan do it yourself soutenu par le progrès technique aboutit à ceci qu’on est gêné de demander un service à quelqu’un, alors qu’il y a tant joie à collaborer, à soutenir la faiblesse de l’un par les capacités de l’autre. Naguère, les serviteurs trouvaient leur fierté dans le fait d’avoir servi longtemps une famille, d’avoir vu grandir les enfants, au point que c’était presque comme les leurs. Autre temps, sans doute… Mais peut-être que la conjecture actuelle nous montre les limites de notre individualisme.
La liturgie garde une trace vivante de cette noblesse du service en la personne du diacre dont la tâche est toute entière référée au prêtre : il est là non pour faire quelque chose de lui-même, pour permettre à celui-ci d’être tout entier à la prière. Et tout le monde y gagne !