Adjoint au maire de Versailles depuis 2008, engagé en faveur de La Manif pour tous en 2012, cheville ouvrière du lancement de Sens commun en 2013, avocat de la transmission dans ses essais philosophiques… De prime abord, F.-X. Bellamy semblait devoir faire le plein au sein de l’électorat catholique. Et sans doute ce facteur a-t-il pu conduire Laurent Wauquiez à le choisir en janvier pour conduire la liste des Républicains. Avec ce jeune homme, dont peu contestent la hauteur de vue, la charpente intellectuelle et la courtoisie, il pouvait espérer réussir la synthèse entre la France conservatrice et celle des périphéries, théorisée par Patrick Buisson.
La France des Gilets jaunes a voté RN
L’échec s’est avéré complet au soir du 26 mai. La France des périphéries, celle des Gilets Jaunes, a cristallisé son antimacronisme dans le vote pour le Rassemblement national, tandis que la France conservatrice a été siphonnée par la liste Renaissance de Nathalie Loiseau. « La France conservatrice est macroniste » tranche Gérard Leclerc, éditorialiste à France Catholique et sur Radio Notre-Dame.
Selon l’enquête de l’IFOP pour La Croix du 28 mai, 37 % des catholiques pratiquants ont voté pour la liste macroniste et même 43 % des pratiquants « réguliers ». Relativiser ces chiffres par le taux d’abstention serait vain : 84 % des pratiquants réguliers se sont déplacés, contre 50,5 % pour l’ensemble des Français.
On pourrait aussi discuter des critères de définition des catégories (non-pratiquants, pratiquants, pratiquants réguliers…) mais les écarts sont tels que la performance de Renaissance est incontestable : seulement 22 % des pratiquants ont voté pour François-Xavier Bellamy et ses colistiers, et 14 % pour la liste du RN. Autre statistique qui interroge, révélée le 27 mai par l’IFOP pour Paris Match, CNews et Sud Radio : 27 % de ceux qui avaient voté pour François Fillon en 2017 ont accordé leur suffrage à la liste Renaissance !
L’Europe, facteur déterminant
L’échec de Bellamy a donné lieu à de multiples interprétations. Les catholiques se seraient déterminés en fonction « d’intérêts financiers de caste bourgeoise nantie » affirmait sur Twitter l’abbé Christian Venard. « L’électorat catholique choisit son bulletin de vote en fonction de ses intérêts » estime avec moins de véhémence Gérard Leclerc, faisant sienne l’analyse du politologue Yann Raison du Cleuziou selon qui « les catholiques correspondent à la sociologie du macronisme » (Marianne, 29/05). Les facteurs économiques et fiscaux ont pourtant été moins déterminants chez les catholiques que chez l’ensemble des Français.
Est-ce vraiment en fonction de convictions catholiques ou plutôt d'intérêts financiers de caste bourgeoise nantie ?
Voilà une question qui interroge en profondeur la sociologie catholique française et la capacité de l'Église en France à sortir aux périphéries. https://t.co/AB5I5JimO7
— VENARD Christian (@Padremtb) 28 mai 2019
Pour 27 % des pratiquants, le pouvoir d’achat a été pris en compte, contre 54 % dans le corps électoral. De même, 39 % d’entre eux ont accordé de l’importance au poids de la fiscalité, contre 52 % en moyenne.
À l’inverse, 65 % des pratiquants et même 69 % des « réguliers » ont fait de la construction européenne un facteur décisif (contre 51 % en moyenne). Il semble hâtif de considérer le ralliement des catholiques à la liste Loiseau comme un réflexe de rentier.
En revanche, qu’Emmanuel Macron ait su attirer les faveurs des retraités, parmi lesquels les catholiques sont bien représentés, ne souffre guère de contestation. Le Président a pu leur apparaître comme un rempart face à la « chien-lit » qui s’est déchaînée en marge des Gilets jaunes. Par ailleurs, le remboursement du trop-perçu de CSG, opportunément crédité sur leurs comptes début mai, a pu atténuer leurs préjugés.
Crédibilité des Républicains en jeu
Mais, attachés à l’ordre social, à la diminution de la fiscalité et à la réduction de la dépense publique, les Républicains auraient tout aussi bien pu attirer leurs suffrages. Sans doute est-ce leur crédibilité qui est en jeu, comme l’a souligné l’historien Édouard Husson le 28 mai sur Atlantico : « Le problème (…), c’est la conviction qui hante l’électorat LR que le parti est incapable d’agir. »
Objection partagée par de nombreux catholiques, persuadés que Bellamy serait digéré par l’appareil politique après avoir fait le job. Laurent Dandrieu, résume leur pensée lorsqu’il titre son éditorial du 27 mai dans Valeurs Actuelles : « François-Xavier Bellamy, the right man in the wrong place »… que l’on traduira par : « L’homme idoine, au mauvais en-droit ».
Critiques et reniements
Difficile d’oublier en effet les missiles tirés dès sa désignation par certains ténors LR, ex-LR ou centristes en raison de ses marqueurs les plus catholiques. Il est « à côté de la plaque » estimait Dominique Bussereau, il « ne coche pas toutes les cases » jugeait Gérard Larcher, il incarne un « retour en arrière » assénait Jean-Louis Debré, il « soutient Viktor Orban » s’indignait Alain Lamassoure, il est « contre la pilule » s’inquiétait même Jean-Christophe Lagarde… Bellamy a dû montrer patte blanche tout au long de la campagne, en se réclamant par exemple de la position de Simone Veil sur la question de l’IVG. Seul le frémissement des sondages a suspendu un temps les insinuations.
Sitôt la défaite consommée, les critiques ont repris, à commencer par celles de Geoffroy Didier, directeur de campagne qui n’a pas hésité à renier le positionnement de celui qu’il venait de soutenir, non sans le caricaturer à l’extrême : l’avenir des Républicains « ne peut pas être d’être contre l’IVG » estimait-il dès le lundi 27 mai sur France Inter. Ou celle de Guillaume Peltier, premier vice-président des Républicains, passé par les rangs de Jean-Marie Le Pen, Bruno Mégret et Philippe de Villiers, appelant le 29 mai sur RTL à rompre « avec le conservatisme sociétal, le rigorisme moral (et) la rigueur budgétaire ».
Perspectives
Quelles perspectives envisager pour F.-X. Bellamy ? À la tête de la délégation LR au Parlement européen, sera-t-il en mesure de porter les thèmes qu’il défendait depuis des années au travers de son engagement intellectuel ? « J’aimerais qu’il retourne à la philosophie. Nous avons besoin de vrais intellectuels catholiques » espère pour sa part Gérard Leclerc. Privilégier le combat culturel au combat politique ? Oui, estime notre éditorialiste, et plus que jamais, car « les enjeux politiques majeurs d’aujourd’hui sont culturels : l’instrumentalisation de la procréation, la dénaturation du mariage, par exemple, touchent au cœur de notre civilisation ».
Cela dit, le 31 mai, un sondage Odoxa donnait à F.-X. Bellamy plus de 12 % de cote de sympathie chez les Français (soit 3,5 à 4 % de plus que son résultat aux élections européennes) et 56 % d’indice de satisfaction du côté de la droite tradi-tionnelle hors RN, c’est-à-dire une progression en quelques jours de plus 30 % ! Et si, avoir su perdre avec élégance était un gage d’avenir politique direct ?