“ Tandis que tout le monde dormait, son ennemi vint et sema de mauvaises herbes au milieu du blé.” Il est significatif que Notre Seigneur commence Ses paraboles sur le Royaume des cieux (Mt 13 :24-50) par une référence à l’ennemi. Le Royaume de Notre Seigneur n’a pas été établi facilement (en effet, il a été établi seulement par Son sacrifice). Il n’est pas non plus facile à défendre. Le malin rôde constamment cherchant à semer ses mauvaises herbes dans le Royaume. Alors, la parabole des mauvaises herbes parmi le blé nous enseigne non seulement le Royaume, mais encore comment le garder.
D’abord, l’ennemi trouve l’occasion « tandis que tout le monde dort ». Dans cette référence au sommeil, nous devons entendre non une allusion au sommeil confiant d’un enfant ou du sommeil paisible du juste. Nous devons plutôt comprendre le sommeil de la négligence – la somnolence spirituelle qui afflige les apôtres dans le jardin [de Gethsémani], Dante au milieu de sa vie, et notre monde d’aujourd’hui.
La somnolence produit la négligence. Un gardien somnolent laisse entrer ceux qu’il ne devrait pas – et ne voudrait pas, s’il était éveillé. Un penseur endormi ne parvient pas à faire les distinctions nécessaires. Sa précision en souffre, et il laisse passer des choses qu’il aurait attrapées s’il avait été plus alerte. Dans la parabole de Notre Seigneur, la somnolence fournit à l’ennemi l’occasion qu’il cherche. De même dans l’Eglise, notre torpeur donne au diable des occasions. Notre pensée léthargique, notre incapacité à distinguer le mal du bien et notre manque de clarté ouvrent la porte aux mauvaises herbes de l’ennemi.
Alors la parabole nous invite à la vigilance, vertu qui devrait caractériser la vie spirituelle de tous les fidèles. Chacun de nous doit être alerte et vigilant, d’abord pour le Seigneur, mais aussi contre le malin – de peur qu’il ne sème le mal dans nos cœurs et ne pollue ce que Dieu a planté en nous.
Cependant, en ce qui concerne l’ensemble de l’Eglise, la tâche de vigilance revient aux bergers. Ils doivent veiller sur le troupeau et sur le champ, être les gardiens dont parlent les prophètes (voir Jérémie 6-17, Ezéchiel 3-17). Malheureusement, tout au long de l’histoire, nous voyons cette parabole se jouer dans l’Eglise elle-même : le mal gagne une entrée par manque de vigilance. De son temps, Saint Jean Fisher s’affligeait : « Le fort est trahi même par ceux qui auraient dû le défendre. » Ces paroles s’appliquent, malheureusement, à de nombreux moments de l’histoire de l’Eglise.
La parabole nous apprend aussi une tactique essentielle du malin : la confusion. C’est sa carte de visite. Le Seigneur apporte la lumière et la clarté. Le malin apporte l’obscurité et la confusion. Il divise ce qui devrait être uni et mélange ce qui devrait être distinct. Dans la parabole, l’ennemi mélange les mauvaises graines avec les bonnes. Ce sabotage a été conçu pour accomplir une de deux choses. Soit les consommateurs de la récolte souffriraient d’une maladie donnée par le mauvais mélange, soit les serviteurs abîmeraient la bonne récolte en essayant de déraciner les mauvaises herbes.
La même tactique maléfique s’applique aujourd’hui. On a semé la confusion tout autour de nous. Nous appelons le mal bien et le bien mal… nous appelons même un homme femme et une femme homme. Les consommateurs de cette confusion deviendront vraiment malades. Ils souffriront de la tristesse et de la peine qui proviennent de notre confusion actuelle au sujet du mariage, de la sexualité, et de la personne humaine. A tout le moins, ils souffriront le malheur de vivre sans être amarrés à une signification ou à un but.
Et nous, les serviteurs, comme ceux de la parabole, sommes tentés d’extirper le mal d’une manière trop agressive –et de faire ainsi du mal à ceux-mêmes que nous espérons aider. Cela ressemble à un mauvais film d’action dans lequel le méchant retient prisonniers de bons gars. Nous n’osons pas frapper de peur du mal que l’on pourrait faire. En effet, on peut faire de grands dégâts quand on cherche à débarrasser le Royaume ici-bas de tout semblance de mal, de toute mauvaise herbe apparente. Dans l’histoire de l’Eglise, ce zèle imprudent a engendré un grand nombre d’hérésies et de sectes.
Remarquez que, par cette tentation, le diable ne vise pas les médiocres ni les apathiques, mais les zélés et les fidèles – c’est-à-dire précisément les serviteurs les plus soucieux de la pureté et de l’intégrité de la foi.
Ce qui nous amène à une autre vertu essentielle pour Ses serviteurs : la patience – la capacité à souffrir en attendant que le Seigneur agisse. Sans la patience, nous nous précipitons et typiquement ruinons tout. Les serviteurs doivent attendre la moisson – la fin des temps – pour voir les choses redressées, comme le chef de famille leur promet qu’il le fera. La patience est différente de l’inaction des ignorants et des indifférents. Ce n’est pas un haussement d’épaules ni une démission. C’est le pouvoir (virtus) d’attendre la justification du Seigneur.
Bien sûr, « justification » paraît cruelle au monde, et peut-être même à beaucoup de catholiques. Cela fait penser aux cœurs endurcis qui veulent la rétribution et même la vengeance. Mais nous devons espérer la justification, sinon Notre Seigneur ne l’aurait pas promise. L’espérance nous donne la certitude que Notre Seigneur viendra et révélera Sa justice ; la patience attend paisiblement ce jour-là.
Mais c’est la justification du Seigneur, non pas celle de notre propre opinion, position ou parti que nous, les serviteurs, attendons. Par la patience, nous nous reposons sur Lui… sur Ses promesses et son pouvoir. Ce sont des serviteurs comme ceux-ci que le Seigneur désire – ceux qui sont à la fois vigilants pour Son Royaume et patients pour Sa venue.
Le 23 juillet 2017
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/07/23/guarding-the-kingdom/
Image : Sämann und Teufel (Semeur et Diable) par Albin Egger-Lienz, 1923 [Schloss Bruck, Lienz, Austria]