Strasbourg, le 10 juin 2013.
Le European Center for Law and Justice (ECLJ) salue l’arrêt M.E. c. France du 6 juin 2013 (requête n° 50094/10) rendu à l’unanimité par la cinquième section de la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour). Dans cet arrêt, la Cour a considéré que le renvoi dans son pays d’origine d’un Egyptien copte accusé de prosélytisme envers des musulmans constituerait, compte tenu des risques qu’il encoure dans son pays, un « traitement inhumain ou dégradant », contraire à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention).
L’histoire de cet Egyptien – devenue hélas courante en Egypte – était la suivante. En mai 2007, alors qu’il vivait avec sa famille à Assiout, région de Haute Egypte connue pour être le foyer d’un islamisme virulent, il commença à être la cible d’attaques de la part de groupes musulmans. Il lui était notamment reproché d’avoir remis un CD contenant des chants qu’il avait lui-même enregistrés à deux jeunes personnes d’origine musulmane et récemment converties au christianisme. Aux attaques verbales et physiques s’ajoutèrent bientôt des menaces de mort, laissées à son domicile. Enfin, les familles des deux jeunes convertis ayant déposé plainte à l’encontre du requérant pour prosélytisme, celui-ci fut convoqué le 20 août 2007 au commissariat d’Assiout et placé en garde à vue. Un procès fut ouvert à son encontre mais, avant même que celui-ci ne commence, le requérant préféra quitter précipitamment l’Egypte et chercher refuge en France en septembre 2007. En août 2010, n’ayant entrepris aucune démarche auprès des autorités françaises pour obtenir le statut de réfugié, il fut interpellé par la police allemande alors qu’il rendait visite à un ami, et remis aux autorités françaises. Il fit alors l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et placé en centre de rétention. Le recours qu’il exerça contre l’arrêté préfectoral fut rejeté par les juridictions administratives françaises, celles-ci estimant que l’intéressé n’avait apporté aucun élément probant de nature à étabir la réalité des risques. La demande d’octroi du statut de réfugié, introduite parallèlement, n’eut pas davantage de succès.
Demeurait donc la Cour de Strasbourg pour espérer échapper à un retour en Egypte. Le requérant y introduisit un recours en se plaignant de ce que, dans l’hypothèse d’une reconduite dans son pays, il serait soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention (interdiction de la torture et des traitements inhumains). Se plaçant également sur un aspect plus procédural, il critiquait par ailleurs la manière dont sa demande d’asile avait été traitée et prétendait que, du fait de l’utilisation de la procédure prioritaire, il n’avait pas disposé d’un temps suffisant pour rassembler tous les documents qui lui auraient permis de prouver les risques encourus, ce qui l’aurait privé du droit, reconnu à l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention, de disposer d’un recours effectif.
Ainsi, deux griefs principaux étaient soulevés, l’un portant sur le fond (l’intéressé courrait-il véritablement un risque en étant renvoyé vers l’Egypte), l’autre portant sur la procédure (avait-il bénéficié de suffisamment de temps pour préparer sa demande d’asile ?).
Dans son arrêt, la Cour, qui avait indiqué au gouvernement français qu’il était souhaitable de ne pas expulser le requérant en Egypte pendant la durée de la procédure, a écarté le grief procédural. Après avoir rappelé que la Convention n’interdisait pas, par elle-même, qu’une demande d’asile fût traitée selon une procédure prioritaire et donc dans un délai restreint, elle a relevé que le requérant, qui était arrivé sur le territoire français en septembre 2007, avait bénéficié de trois années pour présenter une demande d’asile et pour se procurer les documents de nature à étayer une telle demande.
En revanche – et c’est sur ce point que l’arrêt mérite l’attention – le grief portant sur le fond a été accueilli, puisque la Cour a considéré qu’il existait « un risque réel » que le requérant « soit soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention de la part des autorités égyptiennes en cas de mise à exécution de la mesure de renvoi ». S’attachant à examiner les circonstances particulières de l’espèce, la Cour a en effet estimé que le requérant avait produit de nombreux documents, notamment deux convocations, l’une devant un tribunal datant de 2007 et l’autre du 16 juin 2010 émanant de la police d’Assiout, démontrant qu’il était encore aujourd’hui « activement recherché ». La Cour a également relevé que la procédure pénale engagée à l’encontre du requérant s’était achevée par une condamnation par contumace à trois années de prison pour prosélytisme, rendue le 21 juillet 2009, par le Tribunal d’Assiout. Enfin, quant à l’objection soulevée par le gouvernement français selon laquelle la peine de prison encourue par l’intéressé – trois ans de prison ferme – serait à elle seule insuffisante pour constituer une « torture » ou un « traitement inhumain ou dégradant » au sens de l’article 3 de la Convention, la Cour l’a rejetée en soulignant que tout portait à croire que « le requérant pourrait, en tant que prosélyte reconnu et condamné, être une cible privilégiée de persécutions et de violences de la part d’intégristes musulmans, qu’il soit libre ou incarcéré ».
La lecture de l’arrêt M.E. c. France peut inspirer trois observations.
En premier lieu, cet arrêt M.E. c. France, constitue, avec toute l’autorité qui s’attache aux décisions de la Cour, une reconnaissance lucide de la situation de la population copte d’Egypte. De surcroît, la Cour met explicitement en cause les autorités égyptiennes, soulignant la passivité, voire la complicité dont elles se rendent coupables face à la persécution dont sont victimes les coptes : « l’absence de réaction de la part des autorités de police face aux plaintes déposées par les chrétiens coptes […], instaure un doute sérieux quant à la possibilité pour le requérant de recevoir une protection adéquate de la part des autorités égyptiennes. » Les juridictions nationales européennes tiendront compte de cette appréciation factuelle lorsqu’elles se prononceront sur d’autres demandes d’octroi du statut de réfugié.
En deuxième lieu, l’arrêt M.E. c. France témoigne plus généralement d’une sensibilité croissante des juridictions internationales face aux persécutions dont font l’objet les minorités religieuses au sein des pays musulmans. La Cour, dans un arrêt du 15 juin 2010 M.B. et autres c. Turquie (n° 36009/08), avait ouvert la voie, en jugeant qu’une décision du gouvernement turque de renvoyer dans leur pays deux Iraniens musulmans convertis au christianisme violerait l’article 3 de la Convention. L’ECLJ était intervenu dans cette affaire. Plus récemment, la Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 5 septembre 2012, Bundesrepublik Deutschland/Y et Z (C-71/11 et C-99/11), a considéré en substance que les Etats de l’Union européenne doivent accorder l’asile non seulement en cas de risque pour l’intégrité physique d’une personne du seul fait de son appartenance religieuse, mais également lorsque la manifestation en public de la religion fait l’objet d’atteintes graves. (Voir ici le commentaire de l’ECLJ sur cette décision).
Il y a lieu de se réjouir de cette évolution, elle témoigne d’une prise de conscience européenne sur la persécution des chrétiens dans de nombreux pays et s’inscrit dans la continuité de deux résolutions adoptées en janvier 2011 par le Parlement européen (Résolution du Parlement européen du 20 janvier 2011 sur la situation des chrétiens dans le contexte de la liberté de religion) et par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE Recommandation du 27 janvier 2011 sur les « violences à l’encontre des chrétiens au Proche et Moyen-Orient »). L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait alors invité les Etats européens « à élaborer une politique globale d’asile fondée sur des motifs religieux, qui reconnaîtrait en particulier la situation spécifique de ceux qui se convertissent à une autre religion; » sans « encourager les membres des communautés chrétiennes du Proche et du Moyen-Orient à chercher refuge en Europe, à moins que la survie de ces communautés devienne impossible ».
Depuis, l’Union européenne a décidé d’engager la diplomatie européenne à promouvoir la liberté religieuse dans le monde.
Dans ce contexte de prise de conscience sur la situation des chrétiens, l’arrêt M.E. c. France sonne comme une critique sévère de la politique française qui n’a pas voulu reconnaître la mesure des risques encourus par les coptes d’Egypte. Du reste, on ne peut qu’être surpris en constatant que le Gouvernement français, dans le cadre de la procédure ayant conduit à cet arrêt, ait persisté à défendre le bien-fondé des décisions de renvoi et de refus d’octroi du statut de réfugié, tout en admettant l’authenticité des documents produits par le requérant. Or, ces documents prouvaient à l’envi la réalité et la gravité des risques encourus.
Au total, la condamnation de la France par la Cour apparaît à la fois comme une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne est la prise de conscience croissante, y compris par les juridictions internationales, de la persécution des populations chrétiennes dans certains pays musulmans. La mauvaise est que cet arrêt témoigne d’une aggravation de la situation de ces populations.
L’ECLJ travaille depuis de nombreuses années à sensibiliser les institutions et juridictions européennes sur la situation des communautés chrétiennes dans les pays majoritairement musulmans. Le 3 juillet prochain, l’ECLJ co-organisera une conférence sur ce thème au Parlement européen avec l’Intergroupe parlementaire sur la liberté religieuse.
En janvier 2011, l’ECLJ avait déjà organisé une conférence au Conseil de l’Europe sur le thème « Persécution des Chrétiens d’Orient, quelle réponse de l’Europe ? » (voir ici le rapport en anglais). En 2010, l’ECLJ avait soumis un rapport à la Cour sur « Le changement de religion en Égypte » dans le cadre d’une autre affaire de demande d’asile d’un converti égyptien que la Cour avait finalement rejeté. Actuellement, l’ECLJ intervient dans une affaire de demande d’asile devant la CEDH concernant un iranien converti au christianisme (A.R.M. v. Bosnia and Herzegovina, n° 5176/13).
Le Centre européen pour le droit et la justice (European Centre for Law and Justice) est une organisation non-gouvernementale internationale dédiée à la promotion et à la protection des droits de l’homme en Europe et dans le monde. L’ECLJ est titulaire du statut consultatif spécial auprès des Nations-Unies/ECOSOC depuis 2007. L’ECLJ agit dans les domaines juridiques, législatifs et culturels. L’ECLJ défend en particulier la protection des libertés religieuses, de la vie et de la dignité de la personne auprès de la Cour européenne des droits de l’homme et au moyen des autres mécanismes offertes par l’Organisation des Nations Unies, le Conseil de l’Europe, le Parlement européen, et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). L’ECLJ fonde son action sur « les valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun des peuples [européens] et qui sont à l’origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable » (Préambule de la Statut du Conseil de l’Europe).
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Pour aller plus loin :
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- L’adoption homosexuelle devant la Grande Chambre de la Cour européenne
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Conseil de l’Europe : « Manif pour tous » et « lutte contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre » au programme des 26 et 27 juin.
- Interdiction du diagnostic préimplantatoire: la CEDH censure le législateur italien.