Dans son essai sur Mauriac dans l’Église catholique ou la fidélité aux aguets (Cerf) Philippe Dazet-Brun évoque la hantise du vieil écrivain, observant la déchristianisation de son pays. Dans son Bloc-notes du Figaro, Mauriac se montre perplexe sur les suites du concile Vatican II. Celui-ci est-il en mesure de contrer ce mouvement ? L’emploi de la langue vernaculaire en liturgie pourra-t-il, par exemple, rendre plus attentif au contenu de l’Écriture ? Il n’en est pas sûr du tout. Il constate que le peuple ne parle plus la langue de l’Église : « Il ne sert de rien de traduire en français une parole dont le sens lui échapperait s’il avait la curiosité de le connaître. D’ailleurs une parole dite par qui ? Transmise par qui ? Il s’en moque : l’exégèse n’intéresse plus que les exégètes de profession. L’Église sent bien que ce qu’il faudrait, c’est que l’intérêt renaisse et d’abord l’attention. »
Comment donner tort à Mauriac ? Il ne fait que constater une rupture de culture. Rupture dont il faudrait exactement préciser la nature. Freud, en son temps, prétendait que le déclin de la foi s’expliquait par l’essor scientifique qui rendait caduque une représentation religieuse du monde. Ce en quoi il se trompait, les progrès de l’exégèse ayant permis d’approfondir la connaissance de la Bible avec son éclairage anthropologique, en écartant les essais maladroits de concordisme. Au contraire, ce qui est évident aujourd’hui c’est l’absence de culture religieuse, depuis que la transmission par l’éducation familiale s’est interrompue et que les réseaux de sociabilité qui assuraient un certain consensus de chrétienté ont disparu.
Est-ce à dire que l’attention dont parlait Mauriac ne peut être ranimée ? Sans doute, serait-il téméraire de surestimer un phénomène éditorial qui est loin de bousculer les représentations de l’opinion, même cultivée. Mais il faut bien constater tout de même l’éclosion d’une série d’essais qui tentent de mettre en lumière la personnalité de Jésus. Les livres s’accumulent. Parmi les derniers reçus Le Christ avant Jésus d’André Paul au Cerf. Sans prendre parti sur le fond du débat, il faut noter son intérêt. Pourquoi « dès l’origine Christ, Christos en grec, fut la condition du désir historique de Jésus » ? N’est-ce pas la reprise du débat opposant le Christ de la foi au Jésus de l’histoire ? Dans le Dictionnaire Jésus de l’École biblique de Jérusalem (collection « Bouquins »), paru il y a quelques mois déjà, ce débat n’est pas ignoré. C’est la personnalité du Jésus de l’histoire qui a déterminé pour les premières communautés chrétiennes le Christ figure de la foi. En tout cas, Roland Hureaux aborde de front Jésus de Nazareth, roi des juifs (Desclée de Brouwer) entendant nous donner « une image précise de sa personnalité et de son enseignement ».