LA FIN DU DARWINISME - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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LA FIN DU DARWINISME

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En matière d’évolution, la théorie régnante a été jusqu’ici ce que l’on appelle le néo-darwinisme. Elle enseigne que tout se fait par mutation fortuite, aveugle, et par sélection également aveugle. Les êtres vivants se reproduisent identiques à eux-mêmes; une laitue refait mécaniquement une autre laitue, un homme refait un autre homme. Comme rien n’est parfait dans la nature, la copie est parfois fautive, c’est une mutation. La laitue fille est alors un tout petit peu différente de la laitue mère, le fils un peu différent de son père. Si cette petite différence est un avantage, la laitue avantagée aura tendance à survivre plus longtemps dans la guerre des laitues. De même, l’homme. Et survivant plus longtemps, ils se reproduiront davantage, remplaceront peu à peu leurs rivaux et deviendront à leur tour l’espèce régnante. Alors, surviendra une autre petite différence qui… (voir plus haut).

Une théorie trop commode

Certes, dans l’immense majorité des cas, la faute de copie est un simple raté, non un avantage. Dans ce cas, le processus inverse élimine la mutation ratée. La lutte pour la vie fixe les avantages. Voilà pourquoi la vie n’a jamais cessé de progresser, pourquoi les êtres venus après sont plus perfectionnés que leurs ancêtres, pourquoi les vertébrés ont succédé aux limaces, les phanérogames aux cryptogames et le cerveau de 1400 grammes qui fait le charme de ma conversation à celui du microcéphale découvert récemment par le professeur Leakey (a)1.

Cette théorie a d’incontestables avantages. Elle est conforme au matérialisme le plus sourcilleux, ce qui est à la mode. Elle fournit un enthousiasmant archétype à la lutte des classes : l’Origine des espèces, de Darwin, est de 1859 ; le Capital, de Marx, de 1867. Et surtout, elle est rigoureusement invérifiable, ce qui la met à l’abri des réfutations2.

Comme la psychanalyse, comme le marxisme, elle est ce que le professeur Debray appelle une scolastique, c’est-à-dire un système pourvoyeur d’explications logiques (b). Elle explique tout, précisément parce qu’elle est invérifiable. Tel animal a un long nez ? C’est que la longueur du nez est un facteur de survie. Tel autre n’en a pas ? C’est aussi un facteur de survie. Tous les simples de cœur qui ont essayé de réfuter le darwinisme s’y sont essoufflés. Cuénot objecte-t-il les pattes démesurées de certains tipules, faisant remarquer que l’insecte court plus vite quand on l’ampute un peu d’un coup de ciseaux ? « La preuve, lui répond-on avec mépris, que ces pattes sont quand même un facteur de survie, c’est que les tipules survivent. »3

Pour se faire encore plus inexpugnables au cœur de la biologie, les néo-darwiniens se sont bardés de mathémathiques. N’étant généralement pas mathématiciens et ne sachant plus quoi objecter, les biologistes ont donc finalement pris l’habitude de considérer le néo-darwinisme comme l’explication globale orthodoxe des phénomènes vivants.

Cette « explication » ne leur sert rigoureusement à rien du point de vue scientifique, puisque l’unique fonction d’une théorie est, en sciences, de permettre la prévision de faits nouveaux encore inconnus, et que le néo-darwinisme permet de prévoir indifféremment le nez long et le nez court, et le blanc et le noir, et ce qui est, et ce qui n’est pas, et ce qui pourrait être. C’est pourquoi, depuis plus de cent ans qu’il fonctionne, il n’a jamais permis aucune découverte. Il ne saurait, par sa nature même, en permettre aucune.

En revanche, il est infiniment précieux du point de vue philosophique, parce qu’il apaise à bon compte ce même prurit qu’on appelle le besoin de comprendre. En pourvoyant le chercheur d’un système qui bloque universellement et uniformément au plus bas toute interprétation philosophique éventuelle des observations et des découvertes parmi lesquelles il vit, il le libère de tout tracas idéologique, de toute interrogation excédant les bornes de sa stricte spécialisation:

Avec son système de réponses verbales toujours prêtes quoi qu’il arrive, le darwinisme est une merveilleuse machine à aseptiser les savants, à pasteuriser l’interrogation philosophique qui sommeille en chacun d’eux, à désamorcer leur curiosité. Il n’est dans ce domaine dépassé que par la psychanalyse : je suis sûr qu’il existe quelque part une explication psychanalytique du darwinisme lui-même. Je la vois d’ici, d’ailleurs, cette interprétation.

Je me rappelle une discussion que j’eus avec Wickler, l’excellent spécialiste allemand du mimétisme, à l’Institut Max-Planck, de Munich. Wickler est un fervent darwinien, comme on peut le voir en lisant ses livres (c). Et le mimétisme est souvent si extraordinaire que l’explication darwinienne elle-même en arrive à peiner, oh ! à peine. Comme je le poussais un peu, il finit par me dire : « Il faut bien que l’explication darwinienne soit la bonne, puisqu’il n’y en a pas d’autre. » Je lui demandai si le rôle de cette explication n’était pas justement de le dispenser d’en chercher une autre plus difficile, mais plus scientifique4.

Telles sont les vertus du darwinisme. Hélas ! il semble que cette merveilleuse machine à décerveler soit menacée dans son fondement même. J’ai dit qu’il était irréfutable. Il le semblait, parce qu’on ne parvenait pas à imaginer un test décisif de son postulat fondamental, celui de la mutation aléatoire (imputable au seul hasard), comme unique mécanisme de changement génétique. Toutes les expériences destinées à ruiner ce postulat avaient échoué. Elles péchaient toutes, comme l’a montré Grassé, par un même défaut qu’il serait trop long d’exposer ici5.

Mais nous avons vu (d), que la situation s’est très exactement retournée. On sait maintenant qu’il existe des variations génétiques induites de l’extérieur, et qui ne doivent rien au hasard : elles sont imposées à un chromosome par l’activité rigoureusement ordonnée d’un être extérieur au chromosone et conformément aux « intérêts » de cet être, un virus6. « Intérêt », mot affreux, damnable, irrationnel, finaliste, antidarwinien pour tout dire, et qui, cependant, ne fait ici qu’entériner une constatation : le virus impose à la cellule qu’il parasite une mutation telle que sa propre survie, sa propre multiplication s’en trouvent organisées aux dépens de celles de la cellule. Il s’agit d’un processus élémentaire, de nature physico-chimique, et qui, cependant, se déroule exactement comme la capture de la souris par le chat.

Un système rasé au sol

C’est avec cette constatation scandaleuse qu’il va falloir se débrouiller. Tout un monde s’effondre, dont un siècle de rabâchage nous a imprégnés jusqu’à la moelle, et qui a envahi jusqu’à la littérature, jusqu’à la chansonnette, sans parler de la philosophie, jusqu’à nos réflexes conditionnés. Oui, la vie évolue par mutation : le laboratoire le prouve. Mais ces mutations, loin de se produire au hasard comme les fameuses et hypothétiques « fautes de frappe », peuvent réaliser un projet. Autrement dit, la finalité que l’on avait cru pouvoir exorciser en l’excluant du physico-chimique élémentaire sous le nom de « téléonomie », cette finalité existe parfois à ce même niveau physico-chimique où se déroulent tous les processus fondamentaux de la vie.

Quand je dis qu’elle existe parfois, cela ne signifie pas « exceptionnellement » : cela veut dire qu’elle est déjà prouvée dans quelques cas. Il se peut qu’on la mette finalement en évidence dans tous les processus élémentaires. Mais du point de vue philosophique, il suffit qu’elle ait été observée une fois pour que soit rasé au sol un système fondé sur son impossibilité. Elle a déjà été observée dans de nombreux cas.

Darwin restera, certes, comme un très grand savant. Mais le darwinisme est mort. Il faut en balayer une bonne fois tous les rejetons bâtards qu’il a semés dans la pensée de notre siècle, et dont nous donnerons une image dans une autre chronique.

Aimé MICHEL

(a) France catholique, n° 1357, 15 décembre, page 7.

(b) L’un des critiques de ma récente émission TV sur le Pr. Ellenberger7 m’a reproché de « contester la valeur scientifique de la psychanalyse, qui pourtant rend compte des mutations actuelles de la société ». Ce collègue se trompe de siècle, apparemment. La science n’explique pas : elle prévoit. C’est le contraire.

(c) Par exemple : le Mimétisme (Hachette).

(d) Voir ma précédente chronique (F.C. n° 1358, 22 décembre).

(*) Chronique n° 124 parue initialement dans France Catholique – N° 1359 – 29 décembre 1972.

Notes de Jean-Pierre Rospars du 21 mai 2012

  1. Sur la découverte de Richard Leakey, voir la chronique n° 122, Les préhumanités : question pour l’homme (La découverte du crâne KNM-ER-1470 et l’inévitabilité d’un homme), parue ici il y a deux semaines. La phrase imprimée était « les vertébrés ont succédé aux limaces, les cryptogames aux manérogames ». Je ne sais ce que sont les « manérogames », j’ai donc corrigé la phrase.
  2. Le philosophe des sciences Karl Popper a beaucoup insisté sur ce caractère invérifiable du darwinisme mais sans en faire un motif de rejet. Sa position équilibrée mérite d’être connue. « Je suis arrivé à la conclusion, écrit-il, que le darwinisme n’est pas une théorie scientifique testable, mais un programme métaphysique de recherche – un cadre possible pour des théories scientifiques testables. » Il qualifie cette théorie de « métaphysique » justement parce qu’on ne peut pas la tester en raison de son faible « pouvoir de prédiction et d’explication ». Ainsi « [d]ire qu’une espèce − vivante maintenant − est adaptée à son environnement, est en fait presque tautologique. (…) [L]a possibilité de tester une théorie aussi faible que celle-ci est presque nulle. » Cependant « cette théorie est inestimable » car elle « éclaire énormément des recherches très concrètes et très pratiques. (…) Elle suggère l’existence d’un mécanisme d’adaptation, et permet d’étudier (…) ce mécanisme en action. C’est la seule théorie, jusqu’à présent, qui permette tout ceci. » (La quête inachevée, trad. Renée Bouveresse, Pocket coll. Agora n° 36, 1989, p. 237 et sq.).

    Dans un autre texte, Popper précise sa pensée : quelle que soit la légitimité des solutions darwiniennes il ne faut pas en être « pleinement satisfait ». « Le darwinisme est, semble-t-il, la seule théorie (ou le seul programme de recherche) exploitable que nous ayons en ce moment. Elle peut même être vraie. Mais elle a très peu de contenu et très peu de pouvoir explicatif, et est donc loin d’être satisfaisante. Aussi devrions nous faire un gros effort pour améliorer le darwinisme, ou pour trouver une alternative quelconque. » (The philosophy of Karl Popper, book II, éd. par P.A. Schilpp, The Library of Living Philosophers, La Salle, Illinois, 1974, p. 1084). Cette prise de position est, somme toute, très proche de celle d’Aimé Michel.

    Il n’en reste pas moins que la « fin du darwinisme » annoncé par le titre de la chronique n’est toujours pas en vue. Cela n’aurait guère surpris Aimé Michel qui pensait que seuls ses « arrière-petits-enfants » la verraient ! (voir la conclusion de la chronique n° 125, Une recette pour ne pas penser, que nous publierons la semaine prochaine).

  3. On ne peut nier que de nombreux évolutionnistes soient tombés dans ce travers que Stephen J. Gould a vigoureusement critiqué. « Les êtres humains sont des animaux sans cesse à la recherche de figures interprétables. Il nous faut trouver des causes et des raisons à tous les évènements (alors que la probable réalité est à la fois que l’univers ne se soucie pas de nous et qu’il procède au hasard). J’appelle cette manière distordue d’appréhender la réalité : “adaptationnisme” – c’est l’idée que chaque chose est bien agencée, réponds à une fin et, dans l’acceptation la plus forte, fait partie du meilleur des mondes possibles. » (Le pouce du panda de la technologie, in : La foire aux dinosaures. Réflexions sur l’histoire naturelle, trad. M. Blanc, Points Sciences n° S121, Seuil, Paris, 1993, p. 74). Ajoutons toutefois, sans même parler de son incise sur la nature de la réalité (qu’il a la prudence de qualifier de « probable »), que la critique de Gould ne desserre l’étau de l’adaptation universelle (soutenue par les matérialistes Richard Dawkins et Daniel Dennett) que pour mieux asseoir le rôle de la contingence. L’accord entre Gould et Michel est donc purement circonstanciel, leurs démarches d’ensemble étant opposées.
  4. On est sans doute ici au cœur du problème. Certes, l’explication de l’évolution par la sélection naturelle apaise ce prurit qu’est le besoin de comprendre, avec tous les dangers que cela comporte (sur ce point la remarque d’Aimé Michel est très juste et de grande portée). Mais c’est vrai de toute explication, modèle ou théorie, et pas seulement du darwinisme. La conclusion que j’en tire n’est pas que le darwinisme est à rejeter en bloc (et certainement pas parce qu’il a recours au « hasard »). Je pense que les défauts que dénonce Aimé Michel sont moins dans la théorie elle-même que dans l’usage métaphysique qu’en font à la fois les penseurs matérialistes (dont bon nombre sont des biologistes) et leurs critiques antimatérialistes. C’est le passage à la limite, l’extrapolation de la théorie scientifique de départ au-delà de son objet qui est critiquable. Mettons les points sur les i : la démonstration scientifique pleine et entière du darwinisme (à supposer que ce soit possible et que cette formulation ait un sens) ne prouverait nullement la vérité du matérialisme et l’inexistence de Dieu ; réciproquement, la substitution au néo-darwinisme d’une théorie scientifique plus complète l’englobant et le corrigeant ne sonnerait certainement pas le glas du matérialisme. Ceci est la conséquence inévitable de la découverte de Popper qu’aucune théorie scientifique ne peut prétendre à la vérité ultime ; on peut toujours espérer améliorer une théorie, ou au contraire la rejeter. En outre, il faut se souvenir que si la science est matérialiste c’est par méthode, et que s’il existe quelque chose qui échappe à sa méthode, elle ne peut rien en dire (voir à ce propos la citation de Richard Lewontin en marge de la chronique n° 13, La physique en panne, parue ici le 12.10.2009).
  5. Aimé Michel a présenté succinctement la position de l’éminent zoologiste Pierre-Paul Grassé dans la chronique précédente (voir note 6). Grassé l’a exposé dans son livre L’évolution du vivant. Matériaux pour une nouvelle théorie transformiste (Albin Michel, Paris, 1973). Il y explique pourquoi les données de la paléontologie et de la biologie moléculaire le conduisent au scepticisme à l’égard des explications néodarwinistes de l’évolution. Je n’y ai malheureusement pas trouvé l’explication du « défaut commun à toutes les expériences destinées à ruiner le postulat des mutations aléatoires comme unique source de changement génétique » remarqué par Grassé et que signale Aimé Michel.
  6. Cette découverte importante, celle de la transcriptase inverse, est présentée plus en détail dans la chronique n° 123, Les infortunes du hasard (La découverte de la transcriptase inverse) , parue ici la semaine dernière.
  7. Cette émission faisait suite à la parution l’année précédente en traduction française du livre, aujourd’hui classique, de Henri Ellenberger Histoire de la découverte de l’inconscient. Aimé Michel en avait fait une recension enthousiaste dans la chronique n° 23, La psychanalyse : connaissance ou chimère ? , parue ici le 07.12.2009. L’émission était probablement un entretien de Ellenberger avec Aimé Michel dans le cadre de l’émission Un certain regard du Service de la Recherche de la RTF. C’est dans ce Service (devenu l’INA, l’Institut National de l’Audiovisuel) dirigé par Pierre Schaeffer que travaillait Aimé Michel. Espérons que l’INA mettra prochainement cette émission à la disposition du public comme il l’a fait pour l’émission Les conteurs d’André Voisin consacrée à Aimé Michel (émission de 50 mn)