Eh oui ! Ils n’étaient pas extrêmement nombreux. Quelques centaines à Paris et à Marseille mais ils étaient bien là à défiler pour la seconde Mad Pride. Au rythme des tambours et de la fanfare, vêtus de ponchos aux couleurs vives, de chapeaux du fou du roi ou grimpés sur des échasses, ils ont marché dans Paris, depuis l’hôpital Saint-Vincent de Paul jusqu’à la place de la Bastille. Parmi toutes les fiertés il fallait bien que celle-là se manifestât aussi. « Fou, et alors ? » Oui, les fous aussi peuvent être dans la rue, au risque de choquer, d’indisposer. Ou tout au moins de rappeler qu’ils existent ! Car ils vivent toujours à l’abri des regards derrière des murs clos. Sortir ainsi de l’univers asilaire, pour dire qu’on existe et de façon festive, cela ne va pas de soi. Y compris pour certaines associations, qui n’ont pas voulu participer à la fête, parce qu’elles estimaient que la gravité de la question psychiatrique ne peut ainsi s’exposer avec une telle légèreté.
C’est vrai qu’il y a un paradoxe à vouloir offrir une parade à ce qui est, tout de même, de l’ordre de la douleur la plus intime. Est-il possible de faire comprendre directement dans la rue les réalités de cet univers complexe, qui relève de disciplines dans lesquelles on ne s’introduit pas en amateur ? On parle encore de scandale carcéral, de méthodes violentes, de pratiques désuètes. Sans aucun doute il y a des dossiers à reprendre. Mais je serais bien embarrassé pour formuler un jugement, sauf à faire appel à une culture commune, qui fut sans doute plus partagée dans les années où l’on parlait d’antipsychiatrie. J’ai un souvenir particulier à ce propos. Il concerne la publication du premier grand livre de Michel Foucault, intitulé Histoire de la folie. L’auteur, qui devait devenir plus tard une des figures de référence de la pensée, eut énormément de mal à trouver un éditeur. Il fallut qu’il tombe sur un lecteur privilégié en la personne de Philippe Ariès, l’historien, dont les convictions solides n’étaient nullement contraires à une totale liberté de l’esprit. Ariès fut séduit par la nouveauté audacieuse et dérangeante de Foucault, qui renouvelait le sujet en bousculant les disciplines. Depuis lors, avons-nous vraiment progressé dans l’exploration de ce domaine troublant ? Les manifestations de samedi montreraient plutôt que non.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 15 juin 2015.