Avant le Concile Vatican II, le 1er janvier correspondait à la fête du Nom de Jésus et de la Circoncision. Des représentations iconographiques nombreuses existent de la circoncision de Jésus Enfant. Le Concile a préféré honorer la Maternité divine de Marie. Mais cinq exégètes ont adressé à Benoît XVI une requête en vue d’un éventuel rétablissement de la fête liturgique de la Circoncision, soulignant qu’elle n’est pas incompatible avec celle la Maternité de Marie, au contraire. Pourquoi une telle demande ? Au nom du réalisme de l’Incarnation, et de la reconnaissance de la judéité de Jésus ? De la tradition liturgique ? Pas seulement.
L’évangéliste Luc – peut être le plus « grec » pourtant des quatre évangiles – est le seul à mentionner la circoncision de Jésus : « Quand, après huit jours, il fallut circoncire l’enfant, on lui donna le nom de Jésus » (Luc 2, 21) .
Ces 5 exégètes sont bien connus des biblistes : Georg Braulik, o.s.b., Norbert Lohfink, s.j., Gerhard Lohfink, Jean Radermakers, s.j., Christian Rutishauser, s.j. (rédaction). Et ils argumentent. Au moment où l’on attend la publication du deuxième livre de Benoît XVI sur Jésus, qui sera justement consacré aux Evangiles de l’Enfance, leur réflexion est particulièrement intéressante.
Qu’on écarte tout de suite une considération sociologique ou médicale : il ne s’agit pas de vouloir – comme les campagnes de l’OMS en Afrique – promouvoir la circoncision. Mais il s’agit de ne pas effacer ce fait historique de la théologie catholique et d’en tirer les conséquences pour l’annonce de la Bonne Nouvelle.
On se souvient aussi que dans son livre « Lumière du monde », Benoît XVI choisit d’employer l’expression « nos pères dans la foi » pour parler des juifs, qu’il préfère à l’expression « nos frères aînés » employé par Jean-Paul II à la grande synagogue de Rome en 1987.
A Noël, Benoît XVI a lui-même rappelé que la naissance de Jésus est un fait historique, « que des témoins crédibles ont vu » : « Dieu s’est fait homme, il est venu habiter parmi nous. Dieu n’est pas lointain : il est proche, ou mieux, il est l’ « Emmanuel », le « Dieu-avec-nous ». Il n’est pas un inconnu : il a un visage, celui de Jésus ».
On pense à la remarque de Don Luigi Giussani, le fondateur de Communion et Libération : la question n’est pas de savoir si Dieu existe ou n’existe pas (de fait, l’humanité est massivement religieuse aujourd’hui), mais si oui ou non Dieu s’est fait petit enfant.
Pour Benoît XVI, la fête de Noël porte « un message toujours nouveau, toujours surprenant, parce qu’il dépasse notre espérance la plus audacieuse ».
Toujours dans son message pour Noël 2010, le pape insiste sur l’historicité de la Nativité : « Ce n’est pas seulement une annonce : c’est un évènement, un fait, que des témoins crédibles ont vu, entendu, touché dans la Personne de Jésus de Nazareth ! Étant avec Lui, observant ses actes et écoutant ses paroles, ils ont reconnu en Jésus le Messie ; et le voyant ressuscité, après qu’il ait été crucifié, ils ont eu la certitude que Lui, vrai homme, était en même temps vrai Dieu, le Fils unique venu du Père, plein de grâce et de vérité ».
Et le « pourquoi » de l’Incarnation de Dieu c’est « l’Amour » : « Celui qui aime veut partager avec l’aimé, veut être uni à lui, et la Sainte Écriture nous présente justement la grande histoire de l’amour de Dieu pour son peuple, qui culmine en Jésus Christ ».
Dans ce temps de Noël, revenons donc aux arguments de nos exégètes qui lancent un appel, dans leur requête à Benoît XVI, en faveur du « rétablissement de la fête de la Circoncision du Seigneur le 1er janvier, associée à la fête de l’imposition du Nom de Jésus et de Marie, Mère de Dieu ». L’intitulé dit clairement qu’il ne s’agit pas non plus d’effacer la volonté du Concile. Mais de conserver à la solennité du 1er janvier toute la profondeur de la tradition.
Le mystère total du Christ
Leur premier argument, c’est que la Circoncision est un « mystère de la vie du Seigneur » qui aide à « l’intelligence croyante du mystère total du Christ ». Ils insistent sur l’importance de la séquence liturgique « Nativité – Circoncision – Présentation au Temple » (Lc 2,1-39) parce qu’elle est « constitutive de l’intelligence du mystère de l’Incarnation », dans l’« accomplissement des promesses ». Ils la mettent en parallèle avec la séquence « Pâques – Ascension – Pentecôte » (en Luc–Actes) pour le « mystère de la Rédemption pascale ».
Ancienne et Nouvelle Alliance
Autre thème cher à Vatican II : « le rapport de l’ancienne et de la nouvelle Alliance ». Pour les auteurs, le mystère de la Circoncision dit « l’entrée de Jésus enfant dans l’« alliance à jamais » de Dieu conclue avec Abraham (Gn 17,9-14) ». Et ainsi ce rapport entre l’un et l’autre Testament truve dans ce mystère « son symbole le plus concret, inscrit dans le corps du Seigneur ».
En d’autres termes, « le sang versé par Jésus lors de la Circoncision, « pour » l’Alliance ancienne, sera celui qu’il versera pour l’Alliance nouvelle, dans sa conclusion pascale ».
Selon les auteurs, « l’amnésie du mystère de la Circoncision du Seigneur porte atteinte à la juste compréhension du dessein de Dieu », car « Dieu a envoyé son Fils, née d’une femme et assujetti à la loi » (Gal 4,4) et « la Circoncision est l’expression première de l’obéissance à la Loi par celui qui l’a portée à sa perfection (Mt 5,17), au point de faire vivre l’un et l’autre, le circoncis et l’incirconcis, le Juif et le Gentil (Rm 3,30), de l’Esprit de l’accomplissement évangélique1. »
Le Circoncision et le Nom
En outre nos exégètes soulignent al lien entre les deux événements de la Circoncision et de l’imposition du Nom de Jésus au 8e jour, selon la tradition juive: « Le mystère de la Circoncision est le cadre, et l’unique cadre, d’un autre mystère, celui de l’Imposition du Nom de Jésus. Rétablir liturgiquement le lien des deux mystères, le « huitième jour » (Lc 2,21), c’est donner à l’attachement des croyants au Nom de Jésus sa perspective la plus juste, et c’est consolider la spiritualité du Nom de Jésus en général. » Effectivement la fête du 3 janvier est souvent mal comprise ou même négligée.
Ils expliquent ce lien entre la Circoncision et la révélation du Nom donné à l’Enfant dans le cadre de l’ « Alliance » de Dieu avec son peuple et avec l’humanité, Dieu qui fait irruption dans l’histoire de l’humanité à une date précise (le Romain Quirinius gouvernait la Syrie): « Le Nom de Jésus, lié à sa personne depuis sa conception (Mt 1,21 ; Lc 1,31), est certes celui de l’enfant né à Bethléem, mais il n’est donné au nouveau-né et révélé à tous que le « huitième jour », lors de la Circoncision, c’est-à-dire dans un rituel inscrivant la famille et l’événement de la naissance dans le cadre de l’alliance de Dieu ».
Puis ils insiste sur le lien entre ces événements et la fête de la maternité divine de Marie : « La Mère de l’enfant, qui accueillit la révélation du nom (Mt, 1,21 ; Lc 1,31), s’est, la première, conformée à ce rituel : le mystère de son enfant (et de son Nom) est à la dimension du Dieu de l’alliance, du « Dieu qui sauve » (Yehošu‘a – Yešu‘a) ».
Et sur le lien entre ces événements – la Circoncision et la révélation du Nom- avec la paternité confiée à Joseph : « Dans ce don du Nom, Joseph a pleinement joué son rôle paternel (voir Mt 1,21.25 ; cf. Jean-Paul II, Redemptoris Custos, 11-12), inscrivant Jésus dans la filiation de David (voir Mt 1,16) et donc dans la promesse de Dieu « pour toujours » à la maison de David (voir 2 Sm 7). »
Enfin, actualisant le sens de ces événements, pour tout baptisé, les auteurs ajoutent : « Ce don du Nom dans le cadre de l’Alliance et des promesses éclaire le don de chaque nom lors du sacrement du baptême : les (pré)noms donnés aux enfants ne sont pas des reflets des vœux de leurs parents ; jusque dans leur sens, ces (pré)noms inscrivent les enfants dans la fidélité du Dieu de l’alliance ».
Arrivé à ce point, on commence à entrevoir toute la richesse de la catéchèse – baptismale et sacramentelle – que la fête de la circoncision contient.
L’identité du messie
Toujours dans le cadre de cette séquence liturgique « Nativité – Circoncision – Présentation au Temple », les auteurs ajoutent un quatrième argument, théologique et anthropologique: « La fête de la Circoncision est l’affirmation liturgique la plus appropriée d’une dimension de l’Incarnation que la culture contemporaine (y compris théologique) tend à ignorer ou à distordre: l’identité sexuée du Messie de Dieu. Les confusions qu’entretiennent certains à propos du rôle joué par la différence des sexes dans le dessein du Dieu créateur et sauveur sont nées d’amnésies profondes ; un rétablissement de la fête de la Circoncision pourrait contribuer à les guérir. »
Ceci posé, les auteurs reviennent – cinquième argument – à l’histoire de la fête liturgique de la Circoncision de Jésus : « L’histoire de la fête de la Circoncision est significative d’un « développement » de la mémoire liturgique et théologique de l’Église, qui a progressivement pourvu de son sens le jour de l’octave de la fête de Noël2. »
Ils rappellent l’origine byzantine q’une fête qui s’est progressivement répandue en Occident : en Italie méridionale, en Espagne et en Gaule. A Rome, l’octave de Noël était au départ consacrée à la maternité divine de Marie, on y joignit la mémoire de la Circoncision vers le 8e ou 9e siècle et l’imposition du Nom (fête franciscaine tout d’abord) au 16e siècle : elle fut ensuite étendue à l’Église universelle par Innocent XIII, en 1721.
Ce développement reflète « une croissance de l’intelligence liturgique et théologique de l’Église, reliant le mystère de Marie au mystère du Christ, et les situant l’un et l’autre à la charnière des deux alliances ».
« La liturgie et la théologie ont fait preuve d’une intelligence proprement biblique du mystère », insistent les auteurs.
Pour eux, « rétablir la fête de la Circoncision, unie à la fête de Marie, Mère de Dieu », ce serait manifester « la croissance de la Lex orandi », et « revitaliser la Lex credendi sur des points d’importance », au niveau universel.
Œcuménisme et dialogue interreligieux
Les auteurs soulignent le bénéfice « œcuménique », qu’on en tirerait : « Les Églises d’Orient ont conservé la fête de la circoncision de Jésus huit jours après sa naissance », et donc le 14 janvier. Dans l’Eglise catholique latine, la fête a été maintenue à Milan par le rite ambrosien.
Ils en soulignent aussi le bénéfice dans les relations avec le judaïsme dans la mesure où ce serait une autre façon d’affirmer le « respect pour l’identité juive de Jésus » non plus seulement du fait de sa naissance, mais aussi de « son entrée par la circoncision dans l’Alliance conclue par Dieu avec ses pères, Abraham, Isaac et Jacob ».
Enfin, les auteurs soulignent l’importance de ce « huitième jour » car « la fête mariale et la fête christologique ne sont pas en concurrence », mais « ce serait appauvrir le mystère que distribuer en des fêtes successives ce qui s’est accompli dans la sainteté d’un seul jour, le huitième ».
La demande de ces théologien a-t-elle une chance d’aboutir ? Dans le martyrologe de l’An 2000, Jean-Paul II a rétabli la fête du saint Nom de Marie, le 12 septembre. C’était un ex-voto de la victoire du roi polonais Jan Sobieski devant Vienne, le 11 septembre 1683. Une victoire célébrée par les fresques de la chapelle « polonaise » du sanctuaire italien de Notre-Dame de Lorette.
Si la fête du Saint nom de Jésus et de sa Circoncision étaient célébrées ensemble le jour de la solennité de la Mère de Dieu, cela demanderait en tous cas, une catéchèse précise sur le mystère de l’Incarnation et ses harmoniques.
C’est déjà ce que suggère le martyrologe romain – en latin – de 2004, même si la la fête du saint Nom de Jésus est située au 3 janvier. En effet, la fête du 1er janvier a conservé la trace de la fête de la Circoncision et du Saint Nom de Jésus dans son énoncé : En l’octave de la Nativité du Seigneur et au jour de sa Circoncision, solennité de la sainte Mère de Dieu, Marie, que les Pères du concile d’Ephèse ont proclamée « Théotokos », parce que c’est d’elle que le Verbe a assumé la chair et que le Fils de Dieu a habité parmi les hommes, prince de la paix, dont le Nom est au-dessus de tout nom.
Pour aller plus loin :
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- 8- Marie, la toute sainte
- Le rite et l’homme, Religion naturelle et liturgie chrétienne