Le dernier essai, dans ‘The Whimsical Christian’ (‘Le chrétien fantaisiste’, recueil d’essais posthume) de Dorothy Sayers débute ainsi : « Il est de notoriété publique qu’une des grandes difficultés pour écrire un livre ou une pièce de théâtre sur le Diable est d’empêcher ce personnage de voler la vedette ». De bien des manières, parler du mal est plus facile que parler de ce qui est bon. Même si le mal est supposé être précisément le « manque » du bien, quelque chose de solide l’environne quand nous sommes confrontés à lui.
Le mal a toujours quelque chose de « personnel » qui rôde autour de lui. En ce qui concerne le Diable, l’apôtre Jaques nous conseille simplement « résistez-lui et il fuira loin de vous » (4:7). Si Adam et Eve peuvent être de quelque information, le conseil est probablement plus facile à donner qu’à suivre. Mais nous avons affaire ici à une intelligence supérieure. Nous perdrions probablement tout débat. Donc, « résister » ou « fuir » est de bon conseil.
Beaucoup de non-croyants, selon comme ils le voient, ne prennent pas le Diable au sérieux. Ils le considèrent comme un personnage plein d’esprit, plutôt séduisant et débonnaire. Il est charmant, sophistiqué, et un échelon plus haut que nous.
Quand nous rencontrons le rusé Satan au premier chapitre du livre de Job, il vient de rencontrer un être d’exception. Satan a vagabondé sur la terre, la parcourant de long en large. Alors le Seigneur lui demande s’il aurait par hasard « remarqué » Son serviteur Job. Il est « irréprochable ». Nul sur terre n’est « comme lui ».
Satan, pour ne pas être battu, réplique que la seule raison pour laquelle Job est heureux est que Dieu lui a donné toutes les bonnes choses qu’il pouvait désirer. « Pas étonnant, il est riche » rétorque Satan, jovial. Déjà à ce moment, comme l’histoire se poursuit, nous avons des indices qu’il n’est peut-être pas bon de tout avoir dès le commencement.
Et quelle conversation plus délicieuse pouvons-nous trouver que dans ‘Tactique du Diable’ de C.S. Lewis ? Le vieux démon Screwtape dit au diablotin son élève que le jeune athée qu’ils sont en train de conduire astucieusement vers la partie la plus brûlante du monde souterrain « ne peut pas être trop prudent dans ses lectures ».
Les diables ne veulent pas le perdre en raison d’un traité chrétien égaré sur lequel il risquerait de mettre la main. En réalité, le croyant est celui le plus à même de lire à peu près tout. Le non-croyant n’ose pas permettre à une ligne d’argument d’atteindre son âme, une ligne qui le mènerait logiquement là où il refuse d’aller.
Le Diable est très bien connu comme « le Père du Mensonge » (Jean 8:44). Nous vivons dans une culture qui, de bien des façons, est bâtie sur un réseau de mensonges maintenant acceptés, logiquement reliés, auxquels nous avons donné force de loi, dans la vie privée et publique, sous l’appellation de « droits ». Nous exigeons pour nous-mêmes la liberté d’établir la distinction entre ce qui est bien et ce qui est mal. L’avortement est bâti sur un mensonge, tout comme le « mariage » homosexuel et l’euthanasie.
Les manifestations du mal les plus « agressives » dans notre monde tournent autour de comment sommes-nous venus à l’existence et que sommes-nous quand nous arrivons ici. Nous ne devrions probablement pas être excessivement surpris de la tournure des événements. Quelques jours après le vote irlandais sur l’avortement, le Premier Ministre a insisté sur le fait que tout hôpital public devait proposer l’avortement. Aucune exception.
Voulons-nous admettre que la bataille est finie ? Le conseil antérieur du Saint-Père de minimiser l’importance de l’avortement pour se consacrer à des causes plus hautes semble moins convainquant.
D’énormes efforts sont faits pour éviter que ne soit montré ce que ces « mensonges » impliquent précisément. Vous voyez des principes des plus basiques être supprimés ou édulcorés au nom de la protection de ces mensonges individuels ou collectifs. La vérité est que nos âmes, surtout si elles sont déréglées, ne peuvent pas supporter beaucoup de réalité. C’était le point central du conseil du démon Screwtape à son élève concernant le jeune athée. Il ne pouvait pas mettre les mensonges sur la sellette.
Le mal exerce à la fois fascination et répulsion. Ce qui est repoussant en lui n’est pas toujours évident. Pour préserver son existence même, le mal doit se cacher au milieu du bien. Blâmer Dieu d’avoir « créé » le mal équivaut à Le blâmer pour avoir créé quoi que ce soit. Si le mal était « quelque chose » et non le manque de quelque chose, nous pourrions à bon droit Le blâmer. Mais nous, les êtres humains, sommes « fascinés ». Nous nous voyons constamment présenter des choix et des alternatives que nous devrions absolument éviter. Dans notre mûre réflexion, nous soupçonnons souvent la présence d’un « tu ne devrais pas ».
La pensée 555 de Pascal commence ainsi : « les hommes blasphèment ce qu’ils ne connaissent pas. La religion chrétienne se compose de deux points : il est d’égal intérêt pour les hommes de les connaître, et il est également dangereux de les méconnaître. Et équitablement, dans sa miséricorde, Dieu nous a donné des indices pour tous deux. »
Dieu se préoccupe que nous ayons connaissance de la rédemption, de la Résurrection et de la Trinité. Ne pas connaître ces choses ne se limite pas à une ignorance indifférente. Ne pas savoir pour quoi et contre quoi nous nous battons et pourquoi le mal nous fascine est véritablement dangereux.
James V. Schall S.J., qui a été professeur durant 35 ans à l’université de Georgetown, est l’un des écrivains catholiques les plus prolifiques en Amérique.
Illustration : « Le Jugement Dernier » par Jacob de Backer, vers 1589 [Musée national de Varsovie, Pologne]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/07/03/on-the-fascination-of-evil/