Après sa rencontre avec le Pape François, au Vatican, l’imam Ahmed El-Tayeb, francophone, qui possède un doctorat de la Sorbonne, a séjourné dans la capitale française du 24 au 27 mai, reçu par le président Hollande, entouré des ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur, reçu par la maire de Paris, par l’archevêque de Paris, le cardinal Vingt-Trois, par le député Jean-Frédéric Poisson, président de la commission parlementaire de lutte contre Daech, par le Conseil français du culte musulman, il a signé des accords entre l’université cairote et l’Institut catholique de Paris. Il s’est rendu devant le Bataclan pour prier pour les victimes des attentats terroristes qu’il avait condamnés à l’époque, condamnation qu’il a répétée en termes très forts à la mairie de Paris comme « contraires à la nature humaine, aux enseignements des religions, aux coutumes et aux lois ».
A proprement parler, l’imam de cet ensemble composite qu’est Al-Azhar, à la fois université, centre de recherches, académie pour le système scolaire, est un jurisconsulte. Il est supposé dire le droit, ce que l’imam El-Tayeb comprend de façon large au sens de jurisprudence, un droit qui tient compte des circonstances. Sauf qu’il n’en a nullement l’exclusivité, tout imam pouvant délivrer une fatwa, ou décret. à ce poste depuis 2010, il a réussi à traverser les péripéties du printemps égyptien. On le présente ainsi comme un homme de juste milieu à distance des extrémismes mais soucieux de l’identité.
Son discours de la mairie de Paris le 24 mai, en ouverture au colloque « Orient et Occident. Civilisations en dialogue », est à cet égard fort intéressant, surtout en regard de celui de son co-président, le fondateur de Sant’Egidio, Andrea Riccardi. Les liens anciens noués entre la communauté catholique du Trastevere et l’institution cairote ne sont pas étrangers à la venue du cheikh au Vatican. Ce ne sont pas que des liens protocolaires ou diplomatiques. La rencontre s’est faite dialogue autour d’un thème commun de réflexion qui est celui de la mondialisation.
Tous deux en formulent la critique : El-Tayeb ne croit pas que la mondialisation qui gomme les différences est la solution mais au contraire, il y voit la cause des conflits mondiaux. Il y oppose « l’universalisme » qui respecte les différences, et les fait entrer en relation de complémentarité. à cet égard, il y a un « universalisme de l’islam ». Les dérives extrémistes sont un effet de la mondialisation qui crée un vide culturel. Riccardi pense de même que « la civilisation occidentale contemporaine doit faire ses comptes avec la mondialisation de manière critique » sans pour autant rejeter celle-ci par principe puisque selon lui elle est un fait. Il partage l’analyse du vide et de ce qui le comble, l’extrémisme.
Il ne s’agit pas d’un débat purement intellectuel. Car en découlent, pour l’imam sunnite, une suite de conséquences sur la condition des musulmans en Occident — et accessoirement car il n’en parle pas, de la modernité des musulmans en Orient. Se limitant à Paris au premier volet, il pense qu’il est « grand temps de renouveler notre discours sur l’intégration ». à l’attention, dit-il expressément, des prédicateurs et imams en Europe. Enfin un début de cohérence : ce serait en effet inespéré que par exemple le Conseil français du Culte musulman, ou le collège de théologiens qu’il a mis en place récemment, puissent se référer à un corps de jurisprudence qui ferait autorité.
Donner à la relation politique franco-égyptienne un volet sinon religieux du moins culturel permet de parler d’autre chose que de ventes d’armes. Elle confère une épaisseur à un dialogue qui autrement serait désincarné.