La dignité n'a jamais été photographiée - France Catholique
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La justice de Dieu
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La dignité n’a jamais été photographiée

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Le malade cherchant le remède du médecin

Et scrutant les lignes de ses mains

Et chaque chef-d’œuvre littéraire

Pour la dignité

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Quelqu’un m’a montré une photo, j’ai simplement ri

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La dignité n’a jamais été photographiée

J’ai été dans le rouge, j’ai été dans le noir

Dans la vallée des rêves desséchés

Tant de routes, tant d’enjeux

Tant d’impasses, je suis au bord du lac

Parfois je me demande ce qu’il faudra

Pour trouver la dignité

– Bob Dylan (« Dignity », 1991)

La dignité est stupide. Du moins c’est ce qu’affirmait, il y a plus de sept ans, le célèbre psychologue Steven Pinker, dans un article publié dans le The New Républic, habilement intitulé « la stupidité de la Dignité » . Le professeur Pinker argumentait que la notion de dignité humaine adoptée par certains philosophes, théologiens et spécialistes de la bioéthique est une une notion tellement « vaseuse  et subjective » qu’elle ne peut être d’aucun apport intellectuel à nos jugements éthiques. La seule chose dont nous avons réellement besoin est le principe d’autonomie, c’est à dire « l’idée que, parce que tous les êtres humains ont la même capacité minimum de souffrir, de prospérer, de raisonner et de choisir, aucun humain n’a le droit d’interférer avec la vie, le corps ou la liberté d’un autre. »

Ainsi que je l’avais indiqué dans cette revue l’année dernière, et que je l’avais argumenté en détail ailleurs, le Professeur Parker sous-estime la force explicative de « la dignité humaine » car nous pouvons facilement envisager des cas où des personnes peuvent, de façon autonome, choisir pour eux–même- des forme de vie indignes, comme par exemple être la meilleure prostituée du monde, ou volontairement ne pas prendre soin des ses parents âgés alors qu’on serait en mesure de le faire, ou de troquer son rein en échange pour un approvisionnement en jeux video pour toute sa vie.

Mais dire que se conduire de façon indigne de façon autonome, ne veut pas dire qu’on a perdu sa dignité lorsque le choix est concrétisé. Cela veut plutôt dire qu’il y a quelque chose d’authentique en nous en tant que personne humaine – quelque chose d’intrinsèque à notre nature – qui ne peut jamais être éradiqué aussi gravement que l’on ai été déshumanisé par les autres ou par soi-même .

Ceci était le point de vue du juge Anthony Thomas exprimé dans son désaccord énoncé dans le cas Obergefell v. Hodges : « les esclaves n’ont pas perdu leur dignité ( pas plus qu’il n’ont perdu leur humanité) lorsque le gouvernement a autorisé qu’ils soient réduits en esclavage. Ceux qui sont confinés dans des camps d’internement n’ont pas perdu leur dignité parce que le gouvernement les a enfermé. Et ceux à qui on a refusé les prestations du gouvernement n’ont certainement pas perdu leur dignité parce que le gouvernement leur refusé ces prestations. Le gouvernement ne peut pas donner la dignité et ne peut pas la retirer. »  Si vous pouvez faire preuve d’imagination pour regarder au delà du péché, à la fois originel et commis, vous verrez qu’il y a en chacun de nous une faible lueur de divin, qui, dans la théologie chrétienne est appelée imago dei, l’image de Dieu.

Cependant l’insistance du Professeur Pinker à affirmer que des notions telles que la dignité sont irréelles dans la mesure où elles ne peuvent pas être mises sous l’autorité, ou être maitrisées, par les sciences concrètes, illustre que la finalité du projet moderne est d’éradiquer de notre mémoire culturelle et de nos coutumes actuelles, tout ce qui, de loin, a un certain goût de transcendance. Mais es-il possible de vivre de cette façon? Les problèmes et les conflits nés de la recherche du sens, du but et de la vertu, peuvent- ils être compris ou confrontés de façon adéquate à des méthodes et à des outils mieux adaptés à la mesure et à la quantification de réalités physiques? Ainsi que le Pape François le note dans Laudato Si « toute solution technique que la science prétend offrir sera incapable de résoudre les graves problèmes de notre monde si l’humanité perd son compas ».

Pour cette raison, il n’est pas surprenant que le juge Antony Kennedy, dans son opinion marquante dans le jugement Obergefell v. Hodges, appelle à la transcendance, à la dignité et au sens du sacré : « Depuis son début, jusqu’à ses pages les plus récentes, les annales de l’histoire humaine révèlent l’importance transcendante du mariage. L’union de toute une vie entre un homme et une femme a toujours promis noblesse et dignité à toutes les personnes, quelque soit leur situation dans la vie. Le mariage est sacré pour ceux qui vivent en accord avec leur religion et offre un unique accomplissement pour ceux qui trouvent un sens dans le domaine civil.

Mais lorsqu’un langage distinctement religieux est utilisé dans un contexte légal, il est pratiquement attaqué comme étant en contradiction avec l’engagement de la constitution U.S. de « séparation de l’église et de l’état » ou de la neutralité du gouvernement en ce qui concerne les affaires impliquant le sens de la vie humaine.

Ainsi, par exemple, le même juge Kennedy exprime son opinion dans le Jugement Lee v. weisman (1992): « L’article du premier amendement sur les religions signifie que les croyances religieuses et les expressions religieuses sont trop précieuses pour être proscrites ou prescrites par l’Etat ». Et encore dans le cas Casey vs Planned Parenthood (1992): « Au coeur de la Liberté se situe le droit de définir son propre concept de l’existence, du sens de l’univers et du mystère de la vie humaine. Les croyances dans ces domaines ne pourraient pas définir les attributs de la personnalité s’ils étaient formés sous la contrainte de l’Etat.

On pourrait répondre que ces cas avaient été tranchés il y a plus de deux décades, et que, peut être, le Juge Kennedy, alors qu’il est devenu plus conscient de sa propre mortalité, est devenu plus réceptif à l’idée qu’un régime juste ne doit pas être satisfait en se débarrassant de la transcendance de la dignité et du sacré, mais, au contraire, qu’il en a besoin pour être pleinement enraciné dans sa propre compréhension. On peut toujours espérer.

Ce n’est pas seulement le caractère sacré des vies des enfants à naitre – dont les organes, comme nous l’avons appris récemment, sont des marchandises de prix pour les clients de la biotechnologie – qui est en jeu, mais aussi la noblesse et la dignité de chefs d’entreprise, ministres, des comités d’écoles religieuses, d’universités, d’hôpitaux, et d’agences pour l’adoption dont la compréhension de la signification du « mystère de la vie humaine » nécessite que leur conviction du « lien sacré du mariage » ne soit pas « formée sous la contrainte de l’état ».

Alors la dignité n’est plus stupide, nous ne devrons accepter rien d’autre.

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Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/07/16/dignity-never-been-photographed/


A propos de Francis J. Beckwith

Francis J. Beckwith est Professeur de Philosophy and Church State Studies à l’université de Baylor, ou il a aussi été en tant que Directeur Associé du programme de 3ème cycle de Philosophie. Parmi ses livres il faut noter Politics for Christians : Statecraft as Soulcraft ( InterVarsity Press, 2010)